LA FRANCE PITTORESQUE
Système métrique : une idée ancienne
mûrie par quelques précurseurs
(D’après « Le Spectateur du Nord : journal politique,
littéraire et moral », paru en 1799)
Publié le dimanche 7 mars 2021, par Redaction
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Si c’est lors des États généraux de 1789 que fut demandée l’uniformité des poids et des mesures pour tout le royaume, et si le marquis de Bonnay convertit ce vœu des cahiers en une motion formelle le 8 mai 1790, l’idée n’en appartient ni aux rédacteurs des cahiers, ni à l’abbé Morellet qui réclamait avec chaleur cette réforme dans le prospectus de son Dictionnaire de commerce, mais fut évoquée dès le XIVe siècle par le roi Philippe le Long et son conseil, avant que d’être à plusieurs reprises sur le point d’aboutir, sans succès
 

L’historien et académicien Mézeray (1610-1683) nous apprend qu’en 1321 Philippe V le Long (1316-1322) et son conseil songèrent déjà sérieusement à cette mesure ; mais les princes et les prélats qui avaient droit de billon — droit permettant à tout possesseur d’or de battre monnaie — et qui tyrannisaient le commerce dans leurs petits états, avaient de bonnes raisons pour craindre la réforme. Ils s’y opposèrent, et menacèrent de ne plus payer de subsides. Le roi retira son ordonnance.

En parcourant celles de Louis XI (1461-1483), de François Ier (1515-1547), de Henri II (1547-1559), de Charles IX (1560-1574), de Henri III (1574-1589) et de Louis XIV (1643-1715), on se convaincra des tentatives qu’ont faites souvent les rois de France, pour établir chez eux cette uniformité de poids et de mesures, mais en vain ; la fraude et la cupidité y mirent sans cesse des obstacles. Colbert, contrôleur général des finances de 1665 à 1683, en avait fait un article de son code marchand : les mêmes causes en arrêtèrent l’effet.

En Angleterre, sous le règne de Henri VII (1485-1509), que les historiens appellent le Salomon de son pays, le Parlement tenu en 1494 décida par un bill que l’on userait à l’avenir du même poids et de la même mesure dans toutes les provinces du royaume. Le bill ne fut point exécuté à la rigueur ; cependant c’est à lui qu’on est redevable en Angleterre, de ce qu’il se trouvait sur ce point plus d’uniformité qu’ailleurs avant la Révolution de 1789. Les étalons ou standards alors fixés, furent déposés aux archives de l’Échiquier (chambre des comptes anglaise).

On peut voir rassemblé tout ce qu’on a dit pour ou contre sur cette matière, dans le Journal de commerce, année 1765. Les savants, à l’envi des hommes d’État, firent souvent des propositions pareilles. On en trouve plusieurs dans les Mémoires de l’Académie des sciences, et dans les Transactions philosophiques. Picard, Bouguer, du Fay, Amontons, Huygens, d’autres mathématiciens encore s’en sont occupés. La Condamine proposa, en 1747, pour unité naturelle d’étendue, la longueur du pendule simple qui sous l’équateur, oscille en une seconde. Toutes ces proposions n’eurent nulle suite.

Mais revenons à ce qui s’est exécuté en France. La motion du marquis de Bonnay, député de la noblesse aux Etats généraux de 1789 avant d’être élu président de l’Assemblée le 13 avril 1790, fut décrétée, et le roi Louis XVI fut supplié en même temps d’écrire au roi d’Angleterre afin de l’inviter à une coopération sur cet objet. D’après les ordres des deux princes, deux commissions, l’une de l’Académie des sciences, l’autre de la Société royale de Londres, devaient se réunir et conférer sur le mode d’exécution. La tournure que prirent alors les affaires de France, rendit vaines ces mesures. Il n’en reste pas moins évident que le fond du projet appartient à l’ancien gouvernement.

Dans la séance de l’Assemblée constituante du 26 mars 1791, le comte de Talleyrand-Périgord (d’abord jeune débauché, puis petit-collet, puis évêque catholique, puis évêque constitutionnel, puis émigré, puis ministre directorial, et du reste, rempli de connaissances et d’esprit) remit à l’ordre du jour la motion de Bonnay. L’Assemblée consulta l’Académie, laquelle nomma cinq de ses membres pour commissaires : Messieurs de Borda, Lagrange, Laplace, Monge et le marquis de Condorcet. Ceux-ci décidèrent, et l’on décréta sur leur avis que « l’arc de nonante degrés, ou le demi-méridien de la Terre, serait pris pour base du nouveau système des mesures ; que le dix-millionième de cet arc deviendrait l’unité pour toutes les mesures, poids et monnaies, et qu’enfin on y adapterait la division décimale. » On décréta en même temps que l’arc du méridien de Dunkerque à Barcelone serait mesuré de nouveau.

Gabriel Mouton, vicaire de l'église Saint-Paul à Lyon

Gabriel Mouton, vicaire de l’église Saint-Paul à Lyon : précurseur du système métrique

Bien des savants, aux yeux de qui une planète n’est guère plus admirable qu’un arbre ou qu’un animal, n’y voulurent voir qu’une puérilité et une source d’erreurs, n’étant pas possible, selon eux, de déterminer d’une manière assez précise la longueur du méridien terrestre qu’on voulait prendre pour base ; et il arguèrent qu’il devrait résulter la nécessité de changer de mesure à chaque fois qu’un nouveau géomètre ferait un calcul qui semblera plus exact. Selon ces mêmes savants, la taille moyenne de l’homme dans nos climats, la brasse, la coudée, la paume, le pied, une fois bien fixés, étaient des mesures aussi convenables et aussi adéquates pour l’homme que le dix-millionième du demi-méridien.

Quoi qu’il en soit de ces opinions opposées, nous observerons en passant que l’idée ci-dessus énoncée n’appartient point aux cinq académiciens, deux écrivains réclamant la priorité. C’est à Gabriel Mouton (1618-1694), mathématicien et astronome lyonnais, que semblent revenir les honneurs de l’invention. A la fin de son livre Observationes diametrorum, imprimé à Lyon en 1670, se trouve une petite dissertation sous le titre de : Nouvelle idée des mesures géométriques. L’auteur y propose formellement d’appliquer le système décimal aux dimensions terrestres, et d’adopter pour unité générale la longueur d’une minute du méridien, à quoi il donne le nom de milliare. Le millième d’arc était appelé virga — correspondant à environ 2 mètres actuels.

Mouton, il est vrai, calculait la longueur de son arc d’une minute, d’après la fautive estimation du degré terrestre par le jésuite italien et astronome Giovanni Riccioli (1598-1671), la meilleure qu’on connût alors. Il est clair cependant que voilà le mètre inventé, et qu’après l’astronome lyonnais, personne n’a plus rien à réclamer.

En 1790, un M. Bonne, ingénieur-géographe de la marine, publia un livre intitulé : Principes sur les mesures en longueur et en capacité, sur les poids et les monnaies, dépendants du mouvement des astres principaux et de la grandeur de la terre. L’ingénieur-géographe propose pour unité métrique une partie aliquote, non du méridien, mais ce qui vaut mieux peut-être, de l’équateur. Son mètre, qu’il nomme pied équatorial, estimé d’après le pied-de-roi (qui équivalait à 324,839 mm entre 1668 et 1799), devait être égal à 1 pied, 1 pouce, 1 ligne, 8 points, 55/71.

Le nouveau mètre, adopté par la République, fut fixé provisoirement d’après l’ancienne mesure du degré terrestre de 57027 toises ; dans laquelle hypothèse, l’arc de 90 degrés = 5132430 toises ; son dix-millionième, par conséquent, égale 0,513243. Cette nouvelle mesure avait cela de bon qu’elle mit le gouvernement français dans la nécessité de faire toiser le méridien avec plus d’exactitude, et avec des instruments plus parfaits qu’il ne I’avait été jusqu’alors. A la tête de cette opération travailla l’infatigable géomètre Delambre, dont la mesure fut adoptée par la France le 7 avril 1795 comme mesure de longueur officielle. En 1799, un nouveau mètre-étalon en platine fut créé à partir de cette définition et devint la référence, par la loi du 19 frimaire an VIII (10 décembre 1799).

Plusieurs redéfinitions du mètre eurent lieu depuis, la dernière ayant été fixée en 1983 par la Conférence générale des poids et mesures, comme la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1/299 792 458 de seconde.

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