LA FRANCE PITTORESQUE
Vigne : sa culture
(D’après un article paru en 1836)
Publié le vendredi 15 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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La récolte des vins est, après celle des céréales, la plus importante de notre territoire ; on pourrait même dire en comparant la France à tous les autre pays du monde, que, sous le rapport des productions territoriales, les vins et les eaux-de-vie constituent notre richesse spéciale, notre objet principal d’échange : les céréales, en effet, ne sont point assez abondantes pour former une branche d’exportation, puisque nos très bonnes années ne fournissent que 56 jours au-delà de la consommation annuelle : tandis que les vins de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne, figurent sur toutes les tables des gourmets des deux hémisphères, et paient une grande partie du sucre, du café, des épices, que nous consommons.

Plus de deux millions d’hectares plantés en vignes rapportent au-delà de 600 millions de francs. Aucun pays n’offre une aussi grande étendue de vignobles que le nôtre, ni une aussi grande variété de vins agréables et spiritueux : vins secs d’Alsace et de Champagne, vins moelleux du Bordelais, de la Bourgogne et du Dauphiné, vins de liqueur du Languedoc et du Roussillon, vins noirs et blancs, vins rouges, vins de paille, vins ambrés.

Tous les climats ne sont pas également propres à la culture de la vigne ; le principe sucré du raisin ne se développe que sous l’action d’un soleil chaud ; la fermentation ne peut s’établir convenablement dans le Nord, et le vin reste affecté du vice de verdeur. Une chaleur excessive est également contraire, elle dessèche et brûle les grappes : la vigne est donc l’exclusive propriété des climats tempérés.

Vendangeurs. Les cultivateurs foulent le raisin dans la cuve, sur la charrette même qui a parcouru la vigne pour recevoir la récolte. Cela n'avait lieu en France au XIXe siècle que chez les paysans trop pauvres pour posséder un pressoir.

Vendangeurs. Les cultivateurs foulent le raisin
dans la cuve, sur la charrette même qui a parcouru
la vigne pour recevoir la récolte.
Cela n’avait lieu en France au XIXe siècle
que chez les paysans trop pauvres
pour posséder un pressoir.

En France, la limite septentrionale de nos vignobles part des Ardennes auprès de Mézières, traverse la partie méridionale du département de l’Aisne, et aboutit vers l’embouchure de la Loire. On voit que la ligne de démarcation des pays qui produisent du vin et de ceux qui n’en produisent pas est oblique par rapport aux parallèles de latitude, et va en s’abaissant de l’est à l’ouest. Cette même obliquité se remarque pour les limites de la culture en grand du maïs et de l’olivier, qui demandent aussi un coup de chaleur pour mûrir : la première partant de Saintes et remontant par Bourges jusqu’à Nancy, la seconde prenant son point de départ dans le comté de Foix, et gagnant Chambéry par Carcassonne, Lodève et Viviers.

Les terrains secs, légers et caillouteux, sont ceux que préfère la vigne, à l’opposé des grains, qui veulent des terres grasses et bien nourries ; au milieu des terres fortes et argileuses, les racines du cep ne peuvent se ramifier convenablement, et finissent par pourrir dans l’humidité permanente qu’elles y rencontrent.

La nature a parfaitement approprié les diverses espèces de terre aux diverses espèces de culture : ainsi, il serait généralement impossible d’obtenir immédiatement des productions agricoles autres que des raisins dans la plupart des sols qui donnent les meilleurs vins : le manque d’eau, de terre végétale et d’engrais, y repousserait, dit Chaptal, jusqu’à l’idée de joute autre culture. En Champagne, les terrains propres à la vigne reposent presque toujours sur les bancs de craie, et les excellents crus de la Gironde se récoltent dans des sables ; les terres volcanisées fournissent aussi des vins délicieux. Les vins des terrains gras et féconds peuvent être abondants, mais la qualité n’en est pas bonne ; les engrais ruinent aussi la qualité du vin tout en augmentant sa quantité.

Les produits de la vigne sont sans doute de tous les produits agricoles ceux qui sont les plus variables selon les conditions atmosphériques. S’il a trop plu dans l’année, le raisin n’a ni sucre ni parfum, le vin est insipide, sans alcool, et ne se conserve pas ; s’il a fait froid, le vin est rude et de mauvais goût ; s’il pleut au moment de la floraison, le raisin coule, on n’a pas de vin ; s’il pleut au moment de la vendange, le raison se remplit d’eau, et s’il ne pleut pas assez dans la saison, le raisin ne grossit pas ; le vent dessèche la tige ; le brouillard, mortel pour la fleur, nuit aussi au fruit déjà formé ; en un mot il faut une telle succession de soleil et de pluie, chaque variation atmosphérique est tellement importante, que les années de bons vins sont fort rares et s’enregistrent avec soin : tel propriétaire de vignobles n’a guère d’autre calendrier historique ; il lui suffit d’une bonne année, en effet, pour le faire rentrer dans toutes les avances des années précédentes.

On sent que, d’après cette incertitude des rentrées, les vignes ne peuvent appartenir qu’à des personnes possédant de grands capitaux ; car les frais de culture, de récolte, d’entretien du vin sont considérables, et lorsqu’il faut les soutenir longtemps sans percevoir de revenu, on risque d’y manger son fonds.

Le moment de la vendange est encore fort loin d’être indifférent ; si on le choisit inopportun, s’il ne sert pas les souhaits du cultivateur, la récolte peut être manquée. « Autrefois, dit Chaptal, dans la plupart des pays de vignobles, l’époque des vendanges était annoncée par des fêtes publiques célébrées avec solennité. Les magistrats, accompagnés d’agriculteurs intelligents et expérimentés, se transportaient dans les divers cantons de vignobles pour juger de la maturité du raisin ; et nul n’avait le droit de vendanger que lorsque la permission en était solennellement proclamée. Ces usages antiques étaient consacrés dans les pays renommés par leurs vins ; leur réputation était regardée comme une propriété commune. »

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