LA FRANCE PITTORESQUE
Roquefort (Caves de)
(D’après un article paru en 1848)
Publié le vendredi 15 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Dans le Rouergue, à trois lieues à peine de la ville de Saint-Affrique, s’élève au milieu de hautes montagnes un petit village du nom de Roquefort, modeste hameau de cent feux à peine, qui doit sa réputation européenne aux excellents produits de ses caves, à ses fromages.

L’origine de Roquefort se perd dans les nuages du passé, aussi bien que la date des premiers essais des caves. M. de Gaujal, dans son savant ouvrage sur le Rouergue, pense qu’elle remonte à 1070, au règne de Philippe Ier ; et il base cette assertion sur une charte des archives de Conques. Cependant il est permis de supposer qu’antérieurement les habitants du pays tiraient déjà profit et utilité de ces caves. Primitivement propriété de tous, elles devinrent sans doute, par l’usage ou l’abus, propriété particulière. Le fromage était apporté à la cave ; il y séjournait quelque temps moyennant redevance aux propriétaires ; puis le fermier venait reprendre son bien. Mais bientôt le fermier vendit son fromage brut aux négociants de Roquefort. Les uns et les autres y trouvaient avantage. Ce mode fut adopté ; il continue de nos jours.

Les caves de Roquefort sont situées au-dessous du niveau du sol, couvertes de rochers gigantesques. Elles comprennent plusieurs compartiments où l’on a pu établir jusqu’à cinq étages ; les unes sont naturelles (au nombre de vingt-trois), les autres artificielles (au nombre de onze). La température (+4°C) n’est pas la même dans chaque cave ; ce qui ne laisse pas d’influencer diversement sur le fromage. Dans les unes, sa maturité est plus prompte ; réciproquement et par conséquent, pour qu’il atteigne le degré de perfection désirable, il lui faut un séjour successif dans chacune des caves.

Comment se produisent ces effets différents ? On ne peut que les attribuer à des courants d’air glacial qui s’épanchent dans ces souterrains à travers des fissures irrégulières, ouvertes dans l’intérieur du roc, et dont la profondeur n’est pas susceptible de mesure. Pour la variation de température, l’explication est plus facile : dans les unes, l’air, s’épanchant dans ces énormes souterrains, perd de son calorique au contact d’amas d’eau, et devient humide ; dans les autres, il rencontre des terrains secs et augmente ainsi la somme de son calorique.

Le fromage de Roquefort est fait avec du lait de brebis ; après avoir trait le lait, on le passe à travers un linge, et on le coagule à une température de 20 à 25°C. Le caillé se forme ; on l’agite fortement une demi-heure. Le petit lait se sépare, se précipite au fond de la chaudière, d’où on le transvase. On met alors le caillé dans des moules, où il reste dix heures à peu près ; on a préalablement soin de répandre sur la première couche du pain moisi qui forme ces marbrures, signe distinctif des fromages de Roquefort. On l’égoutte avec soin, et lorsqu’il a acquis une certaine consistance, on l’enlève des moules. On le laisse un jour entier entre deux linges ; on le porte enfin à Roquefort, où il se vend généralement 1 franc le kilogramme.

A réception des fromages à la cave, on les superpose par trois, et on les sale d’un côté. Lorsque le sel a pénétré, on renverse les formes, et sur l’autre côté on opère de même. Huit jours après, on enlève la première couche, le plus souvent en putréfaction ; puis l’on place les fromages sur le côté, à une distance de 10 centimètres. Ils se couvrent alors d’une moisissure blanche ; on les racle tous les quinze jours, et au bout d’un certain temps ils revêtent leur robe définitive.

Le village est bâti en amphithéâtre et adossé à d’énormes quartiers de roches qui forment un plateau fort élevé, et dans lesquelles s’ouvrent les caves. Rien d’intéressant dans l’intérieur du village ; mais les rochers sont curieux à visiter, surtout la grotte des Fées, qui renferme une belle quantité de stalactites et de stalagmites. Cette grotte a 1800 mètres de profondeur ; il est dangereux de la parcourir sans guide, car de profonds abîmes s’ouvrent à chaque pas. Du sommet le plus élevé de ces rochers (le Cambalou, élevé à 500 mètres au-dessus de la vallée), l’on découvre un pays pittoresque, mais sévère. Le sol est gris, pierreux, aride ; quelques bruyères seules interrompent cette triste monotonie, et il semble que de cette terre, désolée par Ies orages, la Providence a exilé la vie.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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