LA FRANCE PITTORESQUE
1er avril 1921 : âgée de 24 ans,
Adrienne Bolland est la
première aviatrice à survoler
la Cordillère des Andes
(Extrait des « Annales politiques et littéraires », paru en 1921)
Publié le lundi 1er avril 2019, par Redaction
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Quelques semaines après l’exploit d’Adrienne Bolland, première aviatrice à traverser la Cordillère des Andes en avion — un Caudron G-3 construit en bois et toile —, l’héroïne de l’air fait l’objet d’un élogieux article rédigé par Louise Faure-Favier — auteur de nombreux articles de presse, de feuilletons et de romans — et publié au sein des Annales politiques et littéraires.
 

Elle a votre âge, mesdemoiselles, écrit Louise Faure-Favier ; c’est une jeune fille comme vous, une Parisienne élégante et toute menue, qui vient de franchir ce grand mur de montagnes qui s’appelle la Cordillère des Andes, où tant d’aviateurs ont déjà trouvé la mort. De la République Argentine agricole et pastorale au Chili industriel, elle a survolé les hauts sommets, et partie de Mandoza, elle est venue se poser « comme une fleur » — c’est l’expression des aviateurs pour qualifier les bons atterrissages — sur l’aérodrome militaire de Santiago. Tel est l’exploit de cette petite Française de vingt-quatre ans.

N’est-ce pas que vous avez envie, maintenant, de la mieux connaître ? poursuit la journaliste. J’ai moi-même fait la connaissance d’Adrienne Bolland, l’automne dernier, au meeting de Buc. Elle m’emmena dans les airs sur son G-3. J’étais sa première passagère, et nous reçûmes les félicitations du ministre. Mlle Bolland les méritait, car elle est un excellent pilote, un véritable acrobate de l’air. Tandis que nous nous promenions par-dessus Versailles et la vallée de Chevreuse, elle riait, lâchait les commandes, me proposait loopings et glissades ; mais, lorsque vint l’instant de l’atterrissage, elle parut soudain sérieuse, le regard durci et toute sa volonté tendue. Je compris alors que ma pilote était un bon pilote.

Adrienne Bolland
Adrienne Bolland

Ce jour-là, Mlle Bolland, dans sa combinaison, ressemblait à un petit mécano imberbe. Seuls, ses pieds et ses mains menus révélaient la femme. Je la revis le surlendemain. Elle portait une jolie cape de Parisienne et un chapeau de dentelles. Je ne la reconnus pas.

Le ministre lui-même, qui était alors M. Flandin, éprouva la même méprise lorsqu’elle l’alla voir, quelque temps après, pour lui demander de l’accréditer officiellement auprès de la République Argentine. Car Mlle Bolland. avant que d’accomplir son raid, est allée représenter l’aviation française en Amérique du Sud. Depuis le 15 décembre, elle fait à Buenos-Aires des exhibitions d’appareils français, organise des meetings, emmène des passagers. Elle a même emmené une passagère, la belle Mlle Mercédès de Narvaja, qu’elle a promenée sur la vallée du Tigre.

Excellente représentante ! Mlle Bolland a pris à cœur sa mission patriotique. Elle m’écrivait, le moi dernier : « Chaque fois que je m’élève pour une exhibition, je tremble un peu, car il y a là non seulement de bons Argentins pour me regarder voler, mais il y a encore des Anglais, des Espagnols, des gens de tous les pays du monde. Et il y a aussi des Boches, des Boches qui me font beaucoup de politesses, mais qui, je le sens bien, sont jaloux de mon succès et guettent un instant de faiblesse, une erreur, une faute. Alors, vous comprenez !... »

Adrienne Bolland a tout de suite, en effet, retrouvé auprès des Argentins son succès parisien. Son talent de pilote a été apprécié dès le premier jour, tandis que sa grâce de femme lui attirait déjà toutes les sympathies.

Adrienne Bolland. Timbre émis le 24 octobre 2005 dans la série Poste aérienne. Dessin de Christophe Drochon
Adrienne Bolland. Timbre émis le 24 octobre 2005
dans la série Poste aérienne. Dessin de Christophe Drochon

À tant de mérites, Adrienne Bolland joint une parfaite éducation. Elle est la fille de l’écrivain sportif Henri Bolland. A vingt ans, cette jeune fille, qui est bien de son époque, à la fois pratique et aventureuse, dut songer au moyen de gagner sa vie. Quel métier choisir, où il n’y eût pas déjà de l’encombrement ? Pilote d’avion ? Pourquoi pas ? Là, du moins, elle ne rencontrerait pas de rivalités féminines ! Elle se présenta donc à la maison Caudron, avec ce mélange d’audace et de timidité qui la caractérise ; six mois après, elle obtenait son brevet de pilote et, en février de l’an dernier, elle traversait la Manche toute seule, sur son G-3, par un vilain temps de brume. Elle montra, comme pour son raid argentin, une ténacité extraordinaire.

Dès qu’il s’agit d’aviation, Adrienne Bolland témoigne d’une volonté d’acier, et ses nerfs sont forts aussi comme ceux d’un homme. Pour le reste, elle est très femme, très douce, coquette, sentimentale et semble un petit être très faible. Un mot la dépeint tout entière sous son double aspect. Le Chili, me disait-elle, est un pays où il y a peu de terrains d’atterrissage, mais, au contraire, beaucoup de grands champs broussailleux pleins de serpents. Or cela m’est égal de me « bigorner » et de mourir ; mais je ne voudrais pas être piquée par les serpents. J’ai tellement peur des serpents !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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