LA FRANCE PITTORESQUE
Langue du blason, contemporaine
de la formation du français
(D’après « Ma revue : hebdomadaire illustré pour la famille », paru en 1907)
Publié le dimanche 1er mai 2022, par Redaction
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Sans doute la connaissance de la langue du blason est de nos jours moins utile pratiquement que la connaissance d’une langue étrangère. Si on ne l’enseigne point aux examens d’entrée de nos grandes écoles, elle présente un réel intérêt historique : contemporaine de la formation de notre langue elle-même, elle a conservé un certain nombre d’expressions vigoureuses et pittoresques.
 

Les littérateurs ont très souvent emprunté à la langue du blason des vocables. Le poète José-Maria de Heredia (1842-1905) a fait tout un sonnet qui utilise et met en valeur les expressions héraldiques. Il importe donc d’en connaître le sens. C’est d’ailleurs une excursion dans le passé qui ne manque ni d’attrait, ni d’imprévu.

Indiquons d’abord sommairement quelle est l’origine primitive de ces blasons, de ces écus, de ces armoiries qui servaient, en quelque sorte, de signe distinctif aux familles nobles. Voici un siècle, les armoiries se gravaient encore sur les cartes de visite ou se peignaient sur la portière des voitures de maîtres. Elles s’inscrivaient également sur les portefeuilles, sur les porte-cartes, où elles figuraient en métal précieux sur les cuirs de luxe, souples et fins.

Blason de la famille de La Trémoïlle

Blason de la famille de La Trémoïlle :
d’or au chevron de gueules accompagné de trois aiglettes d’azur,
becquées et membrées du second

Mais leur usage originel était plus belliqueux. Aux débuts de notre histoire, les combats de grandes masses étaient inconnus. On ne connaissait guère que le corps à corps et l’opposition de petites unités. Dans ces luttes, où les seules armes employées étaient la lance et l’épée, les mêlées n’étaient pas seulement fréquentes, mais étaient la règle. Comment les soldats auraient-ils reconnu leur chef, sous son épaisse armure, sans un signe distinctif, bien clair, bien caractéristique ? Tel était au début le rôle et l’utilité des armoiries.

Le mot blason vient du verbe allemand blasen, qui veut dire souffler et aussi sonner du cor. Dans les combats singuliers et les tournois, un héraut d’armes avait pour mission, avant que les combattants n’entrassent en lice, de sonner du cor et de proclamer à haute voix les armoiries, le blason de chacun des chevaliers qui se présentaient au tournoi.

Les couleurs du blason sont au nombre de sept : le bleu, le rouge, le vert, le noir, le violet, le jaune et le blanc. Les cinq premières de ces couleurs sont désignées sous le nom d’émaux et portent en langage héraldique les noms suivants : azur, gueules, sinople, sable, pourpre. Les deux dernières sont dites métaux et se nomment or et argent. A ces sept couleurs, il faut joindre deux autres tons, dits fourrures et qui sont l’hermine et le vair.

La pièce essentielle des armoiries est l’écu, en forme de bouclier. Mais il existe aussi des pièces accessoires, qui servent à distinguer les différents degrés de dignité et marquer les différences, les particularités de famille à famille. La première et la plus importante de ces pièces accessoires est le timbre, qui sert uniquement à désigner le rang, le titre. Donnons comme exemple la tiare papale, le chapeau des cardinaux, les croix, les couronnes, les casques.

Les tenants sont des images latérales qui semblent supporter, soutenir, tenir l’écu. Ce sont des figures humaines ou symboliques. Elles sont quelquefois remplacées par des animaux ou des êtres chimériques. Dans ce cas, on les appelle des supports.

La devise est une inscription formée d’un ou de plusieurs mots, formant un texte ou une maxime. Elle est inscrite au-dessous de l’écu sur une banderole, qui prend plus souvent le nom de listel.

La partie supérieure de l’écu se nomme chef ; la partie basse : pointe ; le côté : dextre à droite, senestre à gauche. Quand l’écu ne présente qu’une seule couleur, on dit qu’il est simple, plain ou plein. Quand il est orné de plusieurs émaux, on dit qu’il est composé ou divisé. Les lignes qui divisent l’écu, selon le contour des couleurs, s’appellent partitions. On dit alors que l’écu est coupé, parti, écartelé, tranché, taillé, ou gironné, selon la direction des lignes qui le divisent.

Blason de la famille Failly

Blason de la famille Failly :
d’argent au houx de trois feuilles arraché de gueules, accompagné de
deux merlettes de sable affrontées en pointe

Ces divisions de l’écu ont donné naissance à des figures conventionnelles, qu’on appelle pièces. Les plus fréquentes sont les besants, figure arrondie, colorée d’un des deux tons métalliques (or et argent de la gamme héraldique). Les tourteaux ont la même forme, mais empruntent leur teinte à l’une des cinq couleurs émaux, dont nous avons parlé plus haut.

Enfin, il faut citer les pièces dites meubles d’armoiries, animaux, étoiles, croissants, qui se subdivisent en figures naturelles, artificielles ou chimériques. Voici quelques exemples de figures naturelles : le soleil, le croissant, le léopard ; de figures artificielles : la roue, l’ancre, le pont ; de figures chimériques : le dragon, la sirène, le chérubin.

Quelques exemples donneront une idée du pittoresque et de la précision de la langue héraldique. Lorsque le lion est dressé sur ses pattes, on dit qu’il est rampant ; lorsqu’il est représenté marchant, on dit qu’il est passant ; couchant, lorsqu’il est étendu sur le ventre. Le lion naissant montre seulement la moitié supérieure de son corps. Contourné, il regarde la partie gauche de l’écu ; quand il sort d’une pièce, il est issant. On indique la couronne qu’il porte en disant qu’il est couronné de... Quand ses griffes et sa langue sont d’un émail différent, on dit qu’il est armé de... ou bien lampassé de... Sans queue, il est diffamé. Sans griffe ni langue, il est morné. Deux lions qui se regardent sont dits affrontés ; quand ils se tournent le dos, on dit qu’ils sont adossés.

Ces indications très simples, très élémentaires ne permettent évidemment pas de lire couramment la langue du blason. Mais elles suffisent à la déchiffrer, à la comprendre dans ses éléments essentiels. Elle fait partie de ces langages spéciaux, dont Théophile Gautier disait qu’ils sont, avec les langages techniques, la meilleure école pour bien écrire le français.

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