LA FRANCE PITTORESQUE
Jurements et jurons : traqués
et sévèrement punis par la loi
(D’après « Dictionnaire encyclopédique de la France » (tome 9), paru en 1843)
Publié le mercredi 14 avril 2021, par Redaction
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Déjà bien enracinée au Moyen Age, l’habitude de proférer des jurons considérés comme sacrilèges, notamment mentionnée au sein d’une bulle de la fin du XIIe siècle du pape Innocent III, fit l’objet, de la part du roi saint Louis qui s’abstint de jurer, de dispositions juridiques drastiques prévoyant châtiments corporels et humiliation publique, les plus récalcitrants écopant plus tard du carcan ou de la mutilation de la langue...
 

Le pape Innocent III (1198-1216) s’élevait avec force, au XIIe siècle, contre les jurements : « Nous sommes instruit, dit-il dans une de ses bulles, que c’est une coutume presque générale parmi les habitants de ce pays, que de proférer fréquemment, soit dans la colère, soit par légèreté, des jurements criminels et horribles. Non seulement ils ne craignent pas de jurer par les pieds, par les mains de la Divinité, mais encore leur bouche sacrilège va chercher jusqu’aux membres les plus secrets du Christ et des saints, et ils proclament dans leurs jurements des choses qu’il ne nous est pas permis d’écrire. »

On jurait alors par-dieu, par la mort-dieu, par le corps-dieu, par la tête-dieu, par le sang-dieu, par le ventre-dieu. On jurait encore, suivant le glossaire de du Cange (au mot Juramentum), par la gorge de Dieu, par sa langue, par sa dent, par sa chair, par sa figure, par le poitron (poitrine) du Dieu sanglant, par la forcelle-dieu, par le faire-dieu, etc.

Tous ces jurons, et ceux dont parle Innocent III, furent, au XIIIe siècle, sévèrement prohibés par saint Louis. Ce prince, comme tous ses prédécesseurs, avait d’abord adopté un juron, celui de par les saints de céans ; puis, s’étant corrigé de l’habitude de jurer, il voulut que chacun l’imitât, et, dans une de ses ordonnances, il infligea aux jureurs et aux blasphémateurs des amendes excessives et des châtiments corporels très rigoureux, comme la prison au pain et à l’eau, le fouet, le supplice de l’échelle, c’est-à-dire l’exposition publique, etc.

Saint Louis. Portrait extrait d'un timbre français émis en juillet 1954

Saint Louis. Portrait extrait d’un timbre français émis en juillet 1954

Ces peines étaient graduées suivant la gravité du jurement et l’âge de celui qui l’avait proféré. On récompensait les dénonciateurs, et même ceux qui dénonçaient les juges qui avaient été trop indulgents dans la répression du délit. Joinville raconte qu’un orfèvre accusé d’avoir juré fut, par ordre du roi, attaché presque nu à l’échelle, ayant autour du cou les boyaux et la fressure d’un porc, « en si grande foison, dit le chroniqueur, qu’elle lui venoit jusqu’au nez. » Le saint roi faisait marquer le front, brûler les lèvres, percer la langue avec un fer chaud à ceux qui étaient convaincus d’avoir juré. Il fallut une bulle, qui lui fut adressée en 1268 par le pape Clément IV (1265-1268), pour l’engager à modifier la sévérité de ces châtiments.

Les jurons se modifièrent avec le temps. Au mot dieu, on substitua les syllabes di, dié, dienne, bleu, guieux, etc., et l’on dit pardi, pardié, corbleu, morbleu, mordienne, tête-bleu, ventre-bleu, sang-bleu, sang dis, au lieu de par-dieu, corps-dieu, mort-dieu, tête-dieu, ventre-dieu, sang-dieu. Les femmes juraient aussi probablement ; et, au XIIIe siècle, elles avaient un juron assez singulier, c’était le mot latin diva (déesse).

Louis IX ne fut pas le seul roi qui prononça des peines sévères contre les blasphémateurs. Louis XII prescrivit, par une ordonnance du 9 mars 1510, que ceux qui blasphémeraient le nom de Dieu ou « qui feroient d’autres vilains serments contre Dieu, la sainte Vierge et les saints », fussent condamnés pour la première fois à une amende arbitraire, en doublant toujours jusqu’à la quatrième fois inclusivement ; qu’à la cinquième, outre l’amende, ils fussent mis au carcan ; qu’à la sixième, ils eussent la lèvre supérieure « coupée d’un fer chaud, et qu’ils fussent menés au pilori » ; qu’à la septième, la lèvre inférieure leur fût coupée, et enfin la langue à la huitième.

Plusieurs ordonnances relatives à ce délit furent rendues dans le courant du XVIe et du XVIIe siècle. Louis XIV donna, le 7 septembre 1651, une déclaration confirmative de l’ordonnance de Louis XII ; et c’est avec étonnement qu’on voit le grand roi faire reculer la législation de plusieurs siècles, en défendant, par une autre ordonnance de 1681, à tous soldats de jurer et de blasphémer le saint nom de Dieu, de la sainte Vierge et des saints, à peine d’avoir la langue percée d’un fer chaud. L’influence de madame de Maintenon se fait évidemment sentir dans ces dispositions, lesquelles furent d’ailleurs renouvelées après la mort du grand roi par une ordonnance de l’année 1727.

Brantôme nous a conservé les jurons de Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier, dans les quatre vers suivants :

Quand la pasque-dieu décéda,
Par-le-jour-dieu lui succéda ;
Le diable m’emporte s’en tint près ;
Foi de gentilhomme vint après.

Charles IX jurait par le sangdieu, par la mordieu ; et tout le monde connaît les célèbres jurons de Henri IV, ventre-saint-gris et jarnicoton.

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