LA FRANCE PITTORESQUE
Féminisme : leurre destructeur
et pur produit de la
société consumériste ?
(D’après « La lecture française : arts, lettres, sciences », paru en 1911)
Publié le mardi 8 mars 2016, par Redaction
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Au début du XXe siècle, Anna Zuccari, écrivain italienne à succès se consacrant préférentiellement à la narration et l’analyse de la condition féminine, publie sous le pseudonyme de Neera un fascicule bientôt traduit en français (1908) intitulé Les Idées d’une femme sur le féminisme : considérant la conception matérialiste du bonheur comme le véritable asservissement dont les femmes devraient se libérer, déplorant leur propension à se sentir plus utile en gagnant de l’argent qu’en accomplissant la mission « splendide et merveilleuse » qu’elles seules sont en mesure d’assurer, elle affirme que le féminisme est un mot vide de sens servant de drapeau à une quantité d’aspirations disparates, parce qu’il est semblable à une outre vide que chacun remplit à sa guise et selon son bon plaisir.
 

Dans son chapitre consacré à la conception matérialiste du bonheur, elle affirme que le caractère, ce thermomètre de l’âme, de même que la santé qui est le thermomètre du corps, subit les influences dominantes, l’ambiance du moment, si bien qu’en temps de peste il y a efflorescence de bubons, et qu’en temps d’utopie égalitaire on a jusqu’à la fantaisie de l’égalité des sexes et ce phénomène, quoique ancien, est certainement des plus intéressants par les rapports intimes qui le lient à tous les autres.

On a déjà remarqué que ce phénomène se présente aux époques dont le niveau moral est le plus bas, ajoute-t-elle, comme si le sanctuaire de l’âme étant vide de forces divines, les puissances ennemies y fussent concentrées, donnant rendez-vous aux plus misérables instincts, revêtant les dépouilles laissées par le dieu disparu, brûlant les parfums sacrés restés au fond des encensoirs.

Y eût-il dans ce mot de féminisme une petite parcelle d’idée juste qu’on l’étouffe sous une phraséologie fausse et boursouflée, faite pour déplaire aux esprits bien équilibrés, affirme-t-elle encore. De l’article de fond de la première page des journaux qui aspirent à délivrer la femme, à la rendre semblable à l’homme — nos compliments pour tant de modestie ! — aux annonces de la quatrième où se présentent invariablement comme employées de magasins ou gouvernantes des dames distinguées, la confusion des attributs est un fait courant. Les domestiques ne s’en tiennent plus comme recommandation aux anciennes qualités de fidélité et de dévouement, elles veulent être des dames distinguées !

Il ne suffit pas davantage aux vraies dames d’être belles, intelligentes, bonnes, et comme telles de réjouir et d’ennoblir la vie de l’homme ; il leur semble que l’œuvre d’amour, qui est leur raison d’être et qu’elles ont accomplie jusqu’à présent avec tant de sagesse, les amoindrisse en regard de je ne sais quels droits et quels besoins intellectuels qui, paraît-il, seraient comblés en exerçant les professions masculines, poursuit Anna Zuccari.

En réalité, écrit-elle plus loin, le féminisme n’existe pas. Il y a des questions économiques et morales qui intéressent également les deux sexes, questions qui seront résolues ou qui, tout au moins, marcheront vers l’amélioration à mesure qu’iront en s’améliorant les conditions générales de l’humanité, celle-ci étant considérée telle que nous la révèlent la science et le sentiment, comme un tout indivisible formé d’une partie masculine et d’une partie féminine, mais indivisible. Les expériences biologiques n’ont-elles pas fait connaître que la vie embryonnaire résulte de la fusion de deux masses de substance plastique, aucune desquelles n’a de vie propre considérée isolément. A quoi donc peut conduire un mouvement qui va à l’encontre des lois naturelles, heurte l’harmonie, détruit la beauté et que dément la science ? s’interroge notre écrivain.

Parler de supériorité et d’infériorité à propos des sexes est un vain discours, indigne de quiconque pliant le front sous le baiser maternel s’est senti effleurer par l’aile du mystère. Et qui n’a pas senti cela ne comprend rien à la vie.

Pour notre auteur, la compréhension matérialiste de la vie, c’est là l’origine de tout de qui la trouble. La Beauté descendue de son autel idéal et poursuivie par des désirs de concupiscence ; l’admiration souillée par l’envie, perdent leur puissance bienfaisante. C’est comme si l’on brisait les étoiles pour en faire des lanternes ; les demeures des hommes n’en seraient pas bien éclairées et le ciel serait privé de sa splendeur.

Il ne serait pas juste toutefois, écrit-elle, d’inculper uniquement le sexe jadis désigné comme le sexe faible et qui aujourd’hui aspire à se faire appeler fort, d’une maladie qui est générale. Bien que les féministes prétendent attribuer la résistance de beaucoup de femmes aux idées nouvelles tout simplement à l’éducation autoritaire qui depuis des siècles pèse sur elles, il est permis de penser, au contraire, que toute cette agitation dite féministe n’est que la queue du serpent : les novatrices qui s’imaginent guider le mouvement sont les premières à être conduites, ou, pour mieux dire, entraînées par la folie égalitaire qui souffla sur la fin de notre siècle tourmenté.

Mais c’est néanmoins du côté des femmes, des vraies femmes, simples, saintes, aimantes, que doit partir le premier cri courageux de : Assez ! Cri courageux, vraiment, car il s’attaque à des amis aussi bien qu’à des ennemis, car il doit lutter contre l’attraction de la nouveauté et de promesses fantastiques, lesquelles traînent à leur suite une foule d’appétits et de désirs, les uns nobles, les autres médiocres, quelques-uns ignobles, si bien que l’armée des féministes a vraiment tout à fait le caractère de ces troupes ramassées à l’aventure où le héros peut bien se rencontrer, mais où se coudoient aussi le bandit et le filou. Oui, cri courageux celui des femmes qui ont osé résister au courant de ces eaux troubles ! s’exclame l’écrivain. Une fois de plus, elles ont fait preuve d’être les dignes compagnes de l’homme, veillant sur l’urne de l’idéal déposée entre leurs mains.

Le matérialisme, écrit-elle encore, n’est pas à craindre tant qu’il reste à sa place, entre l’argile et la fange ; il n’atteint alors que celui qui veut s’y enfoncer et quand il le veut. Ces sentiments qui cachent leur origine matérialiste sous des apparences idéalistes sont au contraire des plus dangereux, parce qu’ils révolutionnent ainsi et facilement ceux-là même qui ne voudraient pas de révolutions. C’est dans ce cas qu’il est particulièrement difficile de combattre, l’adversaire étant de bonne foi, croyant fermement marcher vers la lumière et jugeant dès lors pour le moins puéril l’avertissement de se méfier des ténèbres.

Un peu plus loin, Anna Zuccari explique dans l’idée, dans les idées, il y a une grandeur immatérielle qui se dilate parfois dans l’âme solitaire du génie, mais qui se fragmente misérablement et tombe en poussière lorsque ces idées sont poussées de force dans des esprits vulgaires. C’est ainsi que se dissolvent les religions, ainsi que l’on va de nos jours altérant la signification de la pitié et celle plus importante encore de l’harmonie entre les besoins matériels et les besoins spirituels, symptômes parmi lesquels l’agitation féministe est, à ses yeux, un des plus graves.

Notre écrivain cite les paroles du moraliste américain William Ellery Channing (1780-1842) prononcées en septembre 1838 dans son Discours sur l’éducation personnelle ou la culture de soi–même : « Celui qui possède les divines facultés de l’âme est un être grand, quel que soit le poste qu’il occupe dans le monde ». Pourquoi donc, déplore Anna Zuccari, ne fait-on rien pour développer ces facultés de l’âme, tandis que l’on concentre tous ses efforts sur l’instruction qui est tout autre chose ; chose importante, sans doute, mais de bien moindre importance ; nous dirons dans la proportion d’une amphore comparativement à l’essence qu’elle renferme. De grâce, cherchez d’abord à avoir l’essence, vous vous inquiéterez ensuite de trouver l’amphore, et ne se trouvât-elle pas que la vertu de l’arôme agirait encore de quelque façon, tandis qu’un récipient qui reste vide ne peut être qu’un inutile embarras dans la vie.

L’âme ! l’âme, que ce soit d’elle que se préoccupent les femmes. La voilà, la malade, la dénuée, celle qui est en danger. Mais l’âme ne réside pas dans un diplôme conquis, ni dans un peu d’or disputé à l’homme. Car depuis que le monde a tenu des annales, il y a eu des femmes d’un admirable savoir et ce n’est pas dans des inventions nouvelles qu’on en retrouvera le secret. Les femmes ont perdu leur voie ; qu’elles retournent en arrière et la cherchent. Ce qu’elles veulent aujourd’hui ne vaut pas la peine du changement. Alors même qu’elles arriveraient à faire ce que fait l’homme, qui ferait ce qu’elles ne veulent plus faire ?

Elles croient donner beau jeu à leur orgueil et jamais elles ne s’humilièrent davantage qu’en confessant implicitement de n’avoir fait jusqu’à présent rien qui vaille. Elles disent que le ménage, avec les coutumes modernes, ne suffit plus à leur activité ; et voilà bien le point faible, voilà la conception matérialiste, comme si la maison, le foyer dans le sens profond du mot, pouvait avoir le moindre rapport avec les fourneaux à gaz et les machines à coudre. Je sais, poursuit notre écrivain, que les féministes disent : Mais est-ce qu’à présent les femmes restent dans leur maison ? Ne sortent-elles pas une bonne partie de la journée pour faire des visites et se livrer à d’oiseux bavardages ? Qu’elles sortent donc le reste du temps pour courir à nos comités, nos associations et nos ligues ; singulière façon de raisonner, en vérité ! semblable à celle de l’individu qui, possédant deux écus et venant à en perdre un, jetterait l’autre par la fenêtre.

Déguisées en pompiers, les suffragettes anglaises parcourent un quartier de Londres sur une pompe à incendie, en 1910

Déguisées en pompiers, les suffragettes anglaises parcourent un quartier de Londres
sur une pompe à incendie, en 1910. Illustration parue dans le
Supplément illustré du Petit Journal du 3 avril 1910

Penseur modeste, mue uniquement par le désir de la vérité, je lis toujours avec attention, explique Anna Zuccari, ce qu’écrivent mes adversaires pour soutenir leur opinion, disposée à me raviser si je trouvais dans leurs arguments une seule pensée élevée, un véritable idéal pour l’humanité ; mais j’avoue ne l’avoir jamais trouvé. Si les hommes étaient meilleurs que les femmes, oh ! alors, celles-ci devraient certes faire tout au monde pour les égaler, mais comme ils sont simplement différents et que la loi harmonique de la nature qui assigne une fonction particulière à tout ce qui a vie, gît précisément dans cette différence, la femme ne peut atteindre aucun noble but dans cette concurrence ; et quant à toutes les autres raisons alléguées, on ne doit pas en tenir compte lorsque des problèmes moraux d’un ordre aussi élevé sont en discussion.

Que la femme reste à son poste, là où elle a fait tant de bien à l’humanité, où elle en fera tellement encore en résistant à l’esprit vulgaire qui s’étend de tous côtés et la circonvient elle aussi, revêtant, naturellement, les blanches ailes d’un ange libérateur, assène notre auteur. Le véritable asservissement dont elle doive se libérer consiste dans la conception matérialiste du bonheur ; dans sa croyance que son génie produirait des fruits meilleurs et lui donnerait de meilleures satisfactions en occupant une chaire plutôt qu’en restant à son foyer ; dans l’idée qu’elle serait plus utile à l’homme et à elle-même en gagnant de l’argent ; dans l’incapacité de comprendre l’exquise délicatesse, la mystérieuse ardeur qui entourent sa mission sur la terre ; dans l’oubli de cette mission tellement splendide et merveilleuse que la femme pourra, oui, en dégénérant, faire œuvre masculine, mais qu’aucun homme ne saurait jamais, à quelque hauteur qu’il parvînt, préparer les miracles qu’elle accomplit dans le silence de son amour.

Ce sont, renchérit Anna Zuccari, des miracles intimes, invisibles, impondérables, sans nom connu, ne pouvant ni se mesurer ni se décrire, mais qui sont le propre de son génie, qui constituent son œuvre, son privilège, son secret. L’intelligence de la femme ne doit pas se disperser ailleurs, parce qu’ailleurs il n’est pas besoin d’elle, tandis que si elle s’éloigne du foyer, du temple domestique, la mort y entrera.

Nous pouvons déjà voir les funestes effets de la propagande féministe matérialiste dans un des pays où elle s’est le plus répandue, en Belgique, écrit encore notre auteur. Là, dans les mélancoliques bourgades noires d’ateliers et de fabriques, où sur les maisons basses toutes semblables ne s’élève pas la majesté de l’église et où brillent seulement les sinistres lueurs des tavernes, hommes et femmes mènent la même vie de manufactures, hors de la maison.

Et Anna Zuccari de conclure. Les femmes ont des représentantes au Conseil du travail et de l’industrie, elles ont droit au vote, elles reçoivent le même salaire que l’homme, mais voici ce qui arrive : l’homme privé de sa responsabilité de chef de famille, privé du sentiment généreux de la force protectrice, s’adonne plus que jamais à l’alcoolisme, et la femme ne lui présentant plus aucun idéal de douceur, il lui semble naturel de se décharger sur elle de tous les fardeaux et de vivre à ses dépens. Conséquence logique et fatale d’une doctrine qui étouffe toute élévation pour y substituer comme but le niveau commun, lequel est fort bas. Alors les barrières où les conquêtes de la civilisation avaient enserré l’animalité primitive étant renversées, celle-ci revient avec tous ses sauvages instincts.

Oh ! lance l’écrivain, le moment est bien venu vraiment pour inspirer une nouvelle Jeanne d’Arc, une combattante de l’idéal, qui, ceinte de vertus féminines, courrait à cette guerre nouvelle et brandirait contre ce prétendu féminisme, fait d’ambitions et de matérialité, le verbe d’amour qui est le secret, la puissance, la supériorité de son sexe. Et je souhaiterais qu’elle ne fût pas stérile comme Jeanne d’Arc, mais que la maternité lui eût déjà révélé la voie lumineuse de la femme à travers les siècles.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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