LA FRANCE PITTORESQUE
Camille Allary (1852-1889) : jeune écrivain
provençal et prometteur adulé par Zola
(D’après « La France moderne » paru en 1890
et « Au pays des cigales » paru en 1876)
Publié le mardi 1er mars 2016, par Redaction
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En décembre 1889, le monde littéraire déplorait la disparition d’un jeune écrivain de Marseille, romancier, nouvelliste, journaliste, poète âgé d’à peine 37 ans et promis à un avenir des plus brillants, au dire même d’Émile Zola qui l’avait très tôt vivement engagé à venir déployer son talent au sein de la capitale. Quelques semaines plus tard, un chroniqueur de La France moderne rendait hommage à son oeuvre cependant bien fournie et fleurant bon l’amour d’un pays natal qu’il se languissait de retrouver après avoir cédé aux tentatrices sirènes parisiennes...
 

D’une nature douce et affectueuse, d’un tempérament d’artiste, Camille Allary cachait sous une grande modestie un réel talent d’écrivain, écrit en mars 1890 le journaliste Gustave Bélair au sujet de Camille Allary. Son roman, Laurence Clarys, poursuit-il, dont l’action principale se déroule en plein Marseille, est d’un style vif, coloré, avec de fines observations du cœur humain. Ce roman est dans la note du jour, le naturalisme. On sent dans ces pages l’influence du maître, Emile Zola.

L’auteur des Rougon-Macquart était d’ailleurs dans de cordiales relations avec le jeune écrivain et avait applaudi à ses premiers succès en ouvrant un de ses livres par une charmante lettre-préface. Ce livre intitulé Au pays des Cigales, est plein de soleil, de poésie, de jeunesse et d’espérance. Zola engageait vivement Camille Allary à venir à Paris y déployer, dans toute son envergure, les remarquables ressources de son esprit inventif : « Si Paris n’a pas le soleil, lui écrivait-il, il a la gloire, qui éclaire et qui brûle, elle aussi. »

Mais lui point. Là-bas dans cette fournaise, sous ce ciel gris, loin des siens, il rêvait du pays, il avait la nostalgie. Son petit village, sa famille, son soleil, ses champs parfumés, ses collines aux enivrantes senteurs du thym et du romarin, étaient sa vie. Lisez plutôt cette page exquise tout ensoleillée de poésie :

« O Paris, grand faiseur de révolutions, grand démolisseur de trônes, tu ne vaux pas, malgré ta renommée, le petit village, où je vins au monde, un jour de beau soleil. Je suis bien loin de lui, pourtant je vois d’ici son clocher pointu et ses maisons blanches. Il est attaché au flanc d’une colline, mon petit village ; à distance on peut le prendre pour un nid que les aigles ont abandonné. Là, tout est paix et bonheur. Le hameau semble inhabité ; les portes sont closes, les rues désertes : tout le monde est aux champs, et j’entends rire des filles dans les vignes. Un rideau de toile grossière palpite sur le seuil de la boucherie. Des bruits de voix, des frôlements d’ailes sortent d’une fenêtre entrouverte. Sur la place, le chien du maire rêve devant l’église.

« Etendu sur le fumier humide et puant de sa loge, un porc, que les mouches assaillent, grogne de colère. Des rubans de fumée montent d’une cheminée et vont se perdre dans la limpidité du ciel, et, là-bas, à l’entrée du cimetière, le fossoyeur chante joyeusement en creusant la tranchée large et profonde au fond de laquelle iront dormir nos morts. »

Et voilà pourquoi le jeune écrivain, aiguillonné pourtant par le grand désir de produire, est retourné dans son pays pour nous donner son premier roman et un joli livre de nouvelles édité par la maison Lemerre, paru tout dernièrement, reprend Gustave Bélair. Lisez et relisez ces charmantes nouvelles. Le Tambourinaïre de Cassis, qui ne veut pas commencer et ne veut plus finir ; Boniface, ce chat coureur qui finit dans la fange ; un Philosophe, ce chien qui n’a pour maître que lui-même, d’une humeur vagabonde et capricieuse ; le Grand Pacte, cette jolie idylle qui se déroule à Martigues, sur les bords de l’étang de Berre ; la Légende des Trois Larmes, magnifique esquisse du sacrifice maternel ; le Petit Patriote, les Deux Fleuves, la Meunière, la Première Capture, traversées par un beau souffle patriotique, et quelques autres toutes plus vivantes, dont Le Figaro, qui les avait publiées dans son supplément littéraire, disait : « L’auteur de ces fort jolies nouvelles, M. Camille Allary, est un très jeune écrivain de Marseille à qui nous ne craignons pas de prédire un brillant avenir littéraire, à en juger par les petites productions qu’il nous a déjà envoyées pour notre supplément. »

Camille Allary avait aussi abordé avec succès le théâtre dans une petite pièce en un acte, les Baisers du Roi, représentée à Marseille sur la scène du Gymnase en 1873, dans les Lilas Blancs et dans l’Enfant des Halles.

Pourquoi la mort est-elle venue le surprendre dans toute sa jeunesse, dans ses projets d’avenir et les rêves de son oeuvre à peine ébauchée ? écrit Gustave Bélair. S’il eût vécu, il eût marqué sa place au rang des premiers écrivains. Sa petite œuvre n’en restera pas moins pleine de bon sens , d’un jugement sain et quelque peu hardi, encadrée d’une poésie charmante et d’un naturalisme étudié , où les jeunes pourront venir se délecter.

Danse provençale et tambourinaïres, par Charles Homualk (1900-1996)

Danse provençale et tambourinaïres, par Charles Homualk (1900-1996)

Voici la lettre-préface d’Émile Zola en date du 28 mai 1876, adressée à Camille Allary, et qu’il inséra au début d’Au pays des cigales :

« Mon cher confrère,

« Vous m’envoyez de votre beau pays de lumière un livre tout parfumé de thym et de lavande, et vous me priez de lui souhaiter la bienvenue dans notre Paris noir de pluie, où les roses de mai, cette année, n’ont pu fleurir, brûlées par les vents et les gelées.

« Oui, qu’il soit le bienvenu. Il m’apporte, à moi, ma jeunesse déjà lointaine, les cours du collège d’Aix, que je revois souvent en fermant les yeux, avec leurs gros platanes, leurs vols de moineaux, la terre dure où l’hiver nous battions la semelle, le bassin dans lequel nous pataugions l’été ; il m’apporte mon adolescence, nos grandes courses jusqu’à Sainte-Victoire et au Pilon du Roi, nos premiers vers écrits sous les ombrages des Pinchinats, nos premières amours, le soir, sous les fenêtres des demoiselles, auxquelles nous donnions des sérénades, comme dans Byron et dans Musset.

« Quand je les ai lus, ces nouvelles et ces contes dorés par le soleil de Provence, il m’a semblé que je redevenais tout petit pour me remettre à grandir. J’avais cet attendrissement des vieilles lettres d’amour retrouvées au fond d’un tiroir. Savez-vous quel rêve je faisais ? Je me voyais au bord de l’Arc, dans un trou de feuilles que je connais bien. Il y a vingt ans que je ne suis allé m’asseoir sur cette berge ; mais elle est restée pour moi avec son printemps éternel, son bouquet de saules, son eau blanche argentant les cailloux, ses terres rouges, en face, allant jusqu’à l’horizon bleu, toutes flambantes de l’incendie de midi. J’étais là, votre livre évoquait ce coin de mystère, où j’ai laissé mon cœur.

« Et je vous souhaite aussi la bienvenue au nom de notre grand Paris entier, où vous arrivez avec la belle saison tardive, un peu après les hirondelles, un peu avant les roses. Il n’est pas besoin d’avoir laissé son cœur en Provence pour rire et pour pleurer avec vous. Quand le soleil vient, les bras se tendent, on lui ouvre sa demeure, sans l’avoir connu à son berceau ; et c’est le soleil que vous apportez à tous, la jeunesse vaillante, l’enthousiasme et la foi, les premiers récits d’un poète qui sont comme les premières tendresses d’un amant. Soyez sans crainte, les livres les plus chers sont les livres de la vingtième année. Le vôtre a déjà pour lui les femmes qui aiment, les jeunes gens qui espèrent et les vieillards qui se souviennent.

« Je ne veux point ici faire œuvre de critique et vous louer en argumentant sur votre talent. Ce rôle de pédant, au milieu de vos fleurs, me paraîtrait bien lourd. Non, je tiens seulement à vous dire toute mon émotion, le charme sous lequel vous m’avez tenu. Imaginez que je sois allé vous voir, près de Marseille, aux Aygalades ou à Montredon, dans un petit jardin rafraîchi par les brises de mer. Je suis un passant, un invité, un ami émerveillé de vous entendre ; et jusqu’au soir nous causons, et je m’en vais, en emportant votre chant de cigale adouci, pareil dans la nuit tiède à un chant de flûte.

« D’abord, ce sont vos souvenirs d’enfant, votre oncle, l’abbé de Saint-Chamas, chez lequel vous avez passé une nuit si terrible, en l’écoutant ronfler ; ce sont vos souvenirs de collège, le pion Taddeï, le petit Parisien, un fils de la maîtresse du sous-préfet, que les maîtres saluaient très bas ; le nouveau, un enfant tendre et farouche, qui restait immobile, à l’étude, avec le regret du grand air et de la liberté dans les yeux.

« Ce sont encore vos trois journées passées près de votre sœur Thérèse, à sa naissance, à son premier rire de gamine, à sa mort de pauvre ange innocent. Contes légers, sans dénouement, d’une impression exquise d’histoires qui commencent et qui ne sauraient finir. C’est la vie elle-même, le sanglot d’une minute, le sourire d’une seconde, un brin de chèvrefeuille cueilli, respiré et jeté, ce qu’on rêve en regardant les nuages du ciel s’envoler et passer comme des migrations d’oiseaux de neige. Rien ne peut être plus délicat comme art, ni plus ému comme sentiment.

« Ensuite, vous avez grandi, vous menez Margot à Roquefavour. Ah ! la tendre journée ! le train qui vous emporte, la fête qui déroule des danses sur l’herbe, le coin de solitude où vous finissez par aller vous baiser sur les lèvres, doucement, de peur d’effaroucher les oiseaux ! Et cela, avec votre grand soleil sur la tête, les pins qui jouent autour de vous leurs mélodies d’orgues, leur musique grave, ralentie et filée en notes pures d’harmonica. Toute la jeunesse est là, dans les violettes que Margot a cueillies et que vous avez gardées entre les feuillets d’un livre. Il vous a suffi d’aimer pour être un poète et pour écrire en quelques pages l’adorable poème du premier amour, qui enchante le monde depuis six mille ans.

« Puis, la fantaisie arrive, vous inventez la vie de tendresse et la mort navrante d’une hirondelle. Vous contez la légende des trois larmes de Marthe, donnant ses larmes à son fils Benezet, et mourant un peu à chaque perle qui lui tombe des yeux. Vous nous dites encore l’histoire de Vidal, l’enragé tambourinaïre de Cassis, l’agonie d’une bohémienne entourée de sa tribu, jusqu’aux amours romaines du jeune Myron et de l’hétaïre Archenassa. C’est ici l’écrivain qui se dégage de l’homme, le poète donnant son coup d’aile. Il y a bien de l’imagination et bien du style dans ces contes, que vous avez dû porter longtemps et ciseler avec un soin jaloux.

« Enfin, l’âpreté de la vie est venue, et vous vous êtes risqué hors des fleurs. Votre Boniface, ce chat voluptueux qui s’engraisse en attendant les nuits d’amour, et qui revient maigre et crotté, après des orgies sur les toits, n’est-ce pas toute la luxure humaine, faisant le gros dos et laissant de sa graisse dans chaque boudoir ? Un jour, on trouve Boniface crevé, jeté au tas d’ordures, le ventre ouvert et grouillant d’un vol de mouches. Voilà la fin commune, la boue du ruisseau, où s’en vont la virilité des amants et la beauté des amantes. Leçon terrible et qui fait songer, trou que vous avez creusé au bout de votre allée fleurie, comme pour nous rappeler que la terre est là, que la réalité est là, à réclamer nos rêves.

« Un naturaliste, un réaliste — le gros mot est lâché —, me semble grandir en vous. N’est-ce pas, le livre d’aujourd’hui est une poignée de fleurs que vous donnerait public, pour le fêter ? Mais la maturité du talent s’annonce déjà, et vous allez maintenant cueillir des fruits, dans cette Provence aux fruits d’or, empourprée de ses oranges et de ses grenades. On devine jusque dans votre grâce une force, une puissance qui s’affirment. Vous êtes un observateur et un peintre. Vous avez les nerfs d’un sensitif, ce qui est le don par excellence, en ces temps d’analyse exacte et colorée. Demain, il faut quitter le conte pour le roman et apporter votre page, votre document, à l’universelle enquête que notre génération fait sur l’homme et sur le monde.

« J’ai gardé une critique. Dans un de vos contes, Le Mal du pays, vous racontez vos impressions de tristesse et de découragement, un jour d’hiver, à Paris, au fond d’une chambre sombre. Ah ! ne dites pas du mal de notre grand Paris, où l’on se bat, où l’on triomphe ! Sans doute, les enfants du soleil, venus comme vous des bords de la mer bleue, y pleurent, y tendent les bras vers la patrie absente. Les brouillards de la Seine les étouffent ; ils revoient là-bas des coins aimés et ensoleillés qui les appellent, et ils partent souvent, ils fuient avec des sanglots de femme. Mais, quand ils ont le courage de rester, ils s’aguerrissent et deviennent des hommes. Si Paris n’a pas le soleil, il a la gloire, qui éclaire et qui brûle, elle aussi. Mes tendresses d’adolescent sont restées où je vous ai dit, dans ce trou de verdure, près de l’Arc ; mes amours d’homme sont ici, dans nos rues boueuses, sur nos trottoirs où la foule se heurte, en pleine lutte. Et vous êtes de reins assez forts, quoique bien jeune, vous devez aimer Paris pour son champ de bataille, rester debout sous le ciel menaçant, après avoir envoyé à la Provence vos baisers d’adieu.

« Écoutez cette dernière parole. Le grand Paris vous lira, le grand Paris vous applaudira, et vous aimerez le grand Paris.

« Toutes mes amitiés. ÉMILE ZOLA. »

Tambourinaïres, par J. Presta

Tambourinaïres, par J. Presta

Dans Les amours buissonnières, Camille Allary insérait un vif remerciement, en date du 1er février 1881, à cet Émile Zola qui lui avait prédit une si prometteuse carrière littéraire :

« C’est à vous que je dois la conquête de ma part de soleil ; c’est vous qui, le premier, m’avez prédit les applaudissements du « grand Paris » ; c’est encore de votre bouche qu’à l’heure des sourdes batailles du début sont sortis les conseils fraternels, les encouragements virils dans lesquels j’ai retrempé mes forces. Des uns, est née ma profonde affection pour vous ; les autres, ont eu pour résultat la certitude de voir, un jour, mon labeur récompensé.

« Voilà pourquoi, pareil à ces fiers mosaïstes de Venise, moitié poètes, moitié soldats, qui, leurs fresques terminées, mettaient dans un coin bien en vue des immenses voûtes de Saint-Marc l’idéale figure de l’être aimé sous la protection duquel ils plaçaient l’œuvre, j’inscris, mon vaillant ami, afin qu’il reste ce témoignage de ma reconnaissance, votre nom vainqueur en tête de ce livre. CAMILLE ALLARY »

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