LA FRANCE PITTORESQUE
Démêlés du polémiste et anarchiste
Proudhon avec un propriétaire
(D’après « La Revue hebdomadaire », paru en 1903)
Publié le jeudi 21 janvier 2016, par Redaction
Imprimer cet article
Une anecdote assez curieuse sur Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), le célèbre polémiste, philosophe et précurseur de l’anarchisme, nous le donne à voir aux prises avec un propriétaire
 

Un jour, Proudhon conçoit l’idée de fonder à Paris une librairie populaire. Il visite plusieurs appartements et en découvre un très vaste, rue Vivienne, situé au premier étage et qui lui paraît faire tout à fait son affaire. Se mettant en rapport avec le propriétaire et débattant avec lui du prix du loyer, il l’arrête au prix de 6 000 francs par an.

Il était enchanté de son acquisition lorsque, quelques jours plus tard, rencontrant un de ses amis, il lui parle du fameux loyer. L’autre hausse les épaules et lui démontre clair comme le jour, qu’il a été dupe, que le prix est beaucoup trop élevé et que le propriétaire, comme on le dit vulgairement « l’a mis dedans. » Proudhon ne veut pas être battu : il cherche, et enfin, il trouve un expédient. Il retourne chez son propriétaire :

Pierre-Joseph Proudhon et ses enfants en 1853, par Gustave Courbet

Pierre-Joseph Proudhon et ses enfants en 1853, par Gustave Courbet

— Votre appartement est bien petit.

— Ah ! que voulez-vous, monsieur Proudhon ? Vous l’avez vu avant de signer le bail, et celui-ci est signé dans toutes les formes.

— Sans doute, mais c’est à cause de mon commerce.

— Comment, votre commerce ? Mais je vous croyais rentier.

— Hélas ! les temps sont durs, j’ai dû acheter un fonds...

— Un fonds de quoi ?

— Marchand de fromages en gros.

— Marchand de fromages ! Mais, malheureux, vous n’y songez pas : vous allez empester la maison.

— C’est possible, monsieur, mais il fallait me demander mon genre de commerce, et, comme vous le disiez tout à l’heure, notre bail est signé dans toutes les formes ; il n’y a plus à se dédire.

Le propriétaire se met à geindre, à entrer en fureur, à supplier, puis il s’apaise et propose à Proudhon une transaction :

— Pardon, monsieur Proudhon, mais quand on me condamnerait à 1 000 francs de dédit, je les payerais plutôt que de voir entrer chez moi des cargaisons de fromages.

— Eh bien, monsieur, je ne suis pas si exigeant ; je ne vous demande que 600 francs pour le dédit, et nous résilions le bail.

Ce qui fut dit fut fait. Le bail fut résilié, et le propriétaire compta 600 francs à Proudhon qui les envoya aux pauvres de Besançon. Le lendemain, les petits journaux s’emparaient de l’aventure et accusaient Proudhon d’accaparer les fromages.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE