LA FRANCE PITTORESQUE
Facettes méconnues (Les)
du célèbre général Cambronne
(D’après « Le Livre et l’image : revue documentaire
illustrée mensuelle », paru en 1894)
Publié le mercredi 11 mai 2022, par Redaction
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Le général Cambronne aura eu une singulière fortune, popularisé par un mot qu’il n’a peut-être pas dit, mais qui a fait oublier ses glorieux états de service, dont le dernier fut de tomber, couvert de blessures, sur ce même champ de bataille de Waterloo qui devait attacher une légende immortelle à son nom
 

La célèbre réponse aux Anglais est devenue tellement inséparable du héros et de sa personne, que deux gamins, arrêtés, un jour, devant la statue du maréchal Ney, sur la place de l’Observatoire, et ne voyant que le sabre en l’air et la bouche largement ouverte, en conclurent que c’était Cambronne, criant ce que les gens polis se contentent de désigner par... le mot de Cambronne. Et voilà l’histoire arrangée.

D’autres, plus sérieux, veulent que Cambronne ait trouvé la fameuse phrase qui est aussi bien dans l’esprit que dans le style du temps. Elle n’est pas, dans tous les cas, plus extraordinaire que celle de Napoléon : « Soldats, du haut de ces pyramides... », ou que la lettre dans laquelle, se rendant à bord du Bellérophon, l’Empereur évoque le souvenir de Thémistocle. Il ne faut pas trop rire de ces choses ; et, quoi qu’ait répondu Cambronne, il n’en reste pas moins une vaillante figure méritant d’être restituée, dans son intégrité, à l’histoire.

Cambronne à Waterloo

Cambronne à Waterloo

C’est ce que fit en 1894, dans un livre très fouillé, Léon Brunschvicg, avocat nantais, ancien rédacteur du Phare de la Loire. Comme le lui écrit, dans une lettre-préface, un autre Nantais, Paul Chauvet : « Cambronne n’appartient pas seulement à notre région, il appartient à la France. » Brunschvicg ne négligea rien pour le lui rendre. Il dressa l’arbre généalogique du général, dont le père était né à Saint-Quentin ; la mère, Françoise-Adélaïde Druon, à Noyon. Deux communes de l’Oise portent le nom de Cambronne, ce qui atteste bien, sinon le berceau, du moins l’origine picarde.

Le mariage avait eu lieu à Noyon, le 31 janvier 1769. Le père, Pierre-Charles, mourut à Nantes, le 6 octobre 1784, âgé de 45 ans seulement. Qu’est-ce qui l’y avait attiré ? Probablement son commerce de marchand de bois du Nord. Il eut huit enfants : Pierre-Jacques-Étienne, le futur général, né à Nantes le 26 décembre 1770, était le second ; un autre, le sixième, Constant-Louis-François, né le 15 août 1778, fut tué à Austerlitz à l’âge de 28 ans ; il était sous-lieutenant au 46e de ligne, dans la compagnie même où avait servi La Tour d’Auvergne.

Ce qui nous amène tout de suite à dire que celui qui illustra la famille, servant dans la même demi-brigade, refusa toujours de prendre la succession et le titre de premier grenadier de France, qu’on voulait lui faire porter. Il s’en défendit comme un beau diable, et enjoignit même, vers la fin de sa vie, à un biographe de La Tour d’Auvergne, qui lui lisait son manuscrit, encore inédit, où il lui donnait cette belle qualification, d’effacer cela de son papier. « Mon cher monsieur, lui dit-il, cela n’est pas exact, et je désire que ce passage soit supprimé de votre écrit. »

Était-ce pure modestie ? se demande Léon Brunschvicg. Cambronne en était bien capable. Il fit preuve, en effet, de cette réserve pendant toute sa carrière, et elle est inscrite à son actif, autant que sa vivacité qui domine en toute circonstance. Napoléon disait de lui : « Voilà un vrai et noble soldat. Que ne ferait-on pas avec de tels hommes ! » Mais comme on a toujours les défauts de ses qualités, Pons de l’Hérault, qui avait eu l’occasion de l’apprécier à l’île d’Elbe, a porté sur lui ce jugement qui démêle bien ce phénomène observé déjà de natures primesautières, soumises, quand elles ont adopté un maître de prédilection : « Le général est d’un caractère extrêmement violent, et il y avait à craindre que quelque contrariété n’excitât son emportement naturel ; mais telle est la force de son dévouement à l’Empereur qu’il était devenu d’une douceur extraordinaire, et ce n’est pas un des traits les moins remarquables de l’influence de S. M. le Roi de l’île d’Elbe. »

Le général Cambronne

Le général Cambronne

Celui-ci, d’ailleurs, eut un jour à réprimer l’excès de zèle de son trop fidèle serviteur, qui voyait des espions partout. Comme il avait la surveillance de la police de l’île, il reçut mal des officiers napolitains qui n’avaient d’autre envie que de saluer le souverain, prisonnier de la Sainte-Alliance, et les fit rembarquer de suite. Napoléon blâma la vivacité du général et voulut réparer son peu de courtoisie en l’envoyant à bord du vaisseau. Mais il n’était plus temps, et il fut impossible de rejoindre les visiteurs.

Ce qui n’empêchait pas Napoléon de rendre justice à Cambronne après Waterloo. En apprenant la blessure dont peut-être ses propres commandements avaient été cause, il s’écria : « Ah ! le brave ! il avait bien dit que la garde mourait et ne se rendait pas ! » Ce n’est pas précisément le mot à la mode dont la Porte-Saint-Martin fait recette, mais les deux peuvent avoir été entendus à la fois. Dans la clameur des combats, tout n’est pas réglé par un maître de ballets.

La vie de Cambronne est un modèle de vertu, de courage et de patriotisme. Elle mérite de figurer dans les bibliothèques scolaires, populaires et militaires. Elle est pleine d’enseignements. Sans doute, comme le dit Brunschvicg, né à toute autre époque, Cambronne eût été amené à auner du drap dans quelque boutique de la rue de la Poissonnerie, à Nantes, ou à s’engager comme commis marchand sur le quai de la Fosse. Sa bonne étoile décida de sa vocation militaire au début de la plus formidable épopée qui eût jamais bouleversé le monde. Les états de service de Cambronne sont là pour donner du cœur à ceux qui ne craignent pas les assauts.

En commençant le 27 juillet 1792 par l’enrôlement volontaire du grenadier au 1er bataillon de Mayenne et Loire, le rideau tombe le 18 juin 1815 à la suprême bataille ; mais, dans l’intervalle, par combien de coups de feu et de coups de mitraille ce nouveau Cid gagne-t-il ses éperons ! « Son corps était couturé de cicatrices », a dit le général Mellinet, qui s’était baigné tout enfant avec lui dans la Loire.

Statue du général Cambronne par Debay (Nantes)

Statue du général Cambronne par Debay (Nantes)

On sait la fin. Il fut une des causes célèbres de la Restauration. Berryer père plaida éloquemment pour lui devant les conseils de guerre et fut plus heureux que pour Ney. Il est vrai qu’il n’y avait pas les mêmes charges contre lui. Cambronne, rentré en grâce, se maria, se rallia et redevint commandant de corps à Lille en 1820. Il ne se crut pas délié de son serment envers la branche aînée par l’avènement de la branche cadette, et resta désormais étranger à toute manifestation politique. Il ne s’en était jamais mêlé, à proprement parler, même au débarquement de Cannes, où il ne se considérait que comme une sorte de fourrier d’un souverain étranger, qu’il avait suivi dans sa principauté de l’île d’Elbe. La conscience du soldat était en repos. Louis-Philippe fit graver son nom sur la partie nord de l’Arc de triomphe de l’Etoile.

Monselet disait avoir gardé de lui le souvenir d’un homme fort laid. Sa physionomie témoigne pourtant moins de la laideur que de l’énergie et d’une bienveillante et sarcastique finesse. Les yeux grands, expressifs, la bouche large, le nez fort, reflètent admirablement le caractère énergique du héros de Waterloo. A peine mort (29 janvier 1842), la ville de Nantes lui éleva une statue sur un emplacement qui porte son nom, se trouvant au milieu de la cité bretonne. Une grille dont les angles sont surmontés d’aigles entoure le piédestal. Cambronne étreint sur sa poitrine un drapeau déchiré, criblé de balles. Il résiste toujours quoique blessé et paraît vouloir se réserver pour linceul le précieux emblème. Telle est l’attitude que lui a donnée le sculpteur Debay.

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