LA FRANCE PITTORESQUE
Balbutiements de l’aérostation
et premier dirigeable manoeuvrable
du capitaine Renard
(D’après « Le Petit Journal illustré », paru en 1927)
Publié le dimanche 9 janvier 2022, par Redaction
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Ceux qui posèrent les premiers principes d’une science nouvelle, firent les premières expériences, subirent tous les déboires réservés généralement aux novateurs et ouvrirent cependant des voies nouvelles au génie humain, ont le droit de n’être point oubliés par la postérité. Ainsi des frères Robert, de l’inventeur Henri Giffard ou encore de Charles Renard, créateur du premier dirigeable, fondateur du premier laboratoire d’essais aéronautiques au monde, et mettant au point divers moteurs et aérostats.
 

Le problème de la direction des ballons avait commencé à passionner les imaginations dès le lendemain même de l’invention des frères Montgolfier. Détail curieux : c’est en 1884 qu’il fut résolu par le colonel — alors capitaine — Charles Renard. Or, la première tentative pour atteindre au même but avait été faite exactement cent ans auparavant. C’est, en effet, au mois de septembre 1784, que les frères Robert partirent des Tuileries dans un ballon de forme cylindrique — comme les dirigeables qui devaient leur succéder — auquel ils avaient adapté un appareil de direction constitué par une combinaison de rames et de gouvernail qui devait, croyaient-ils, faire merveille.

Cet appareil, comme bien on pense, ne les empêcha pas d’être entraînés par le vent ; cependant, si l’on en croit le procès-verbal de l’ascension, il leur fut de quelque utilité au moment de la descente. Après un voyage d’un peu plus de six heures, les aéronautes se trouvèrent en vue du château de Beuvry-en-Artois. C’était fête dans la commune, et le châtelain, prince de Ghistel-les-Richebourg, venait tout justement de lancer une petite montgolfière pour amuser ses vassaux.

Henri Giffard

Henri Giffard

On juge de l’effet produit sur cette foule par l’apparition du grand ballon cylindrique des frères Robert. On cria aux aéronautes de descendre, ce qu’ils firent très doucement, mais, dit le procès-verbal de la descente, rédigé par deux notaires, « l’approche d’un moulin qui se trouvait près le grand chemin allant de Béthune à Lille, ayant paru les gêner, ils ont fait agir des machines en forme de rames, et ont décrit un quart de cercle pour se conduire au milieu de la plaine. »

Voilà donc le premier essai de dirigeabilité des ballons. Il date de près de deux siècles et demi. Passons sur d’autres tentatives moins heureuses. Rien d’intéressant n’est à signaler, dans l’histoire du dirigeable, jusque vers le milieu du XIXe siècle, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où les progrès de la mécanique commencèrent à faire entrevoir la possibilité d’appliquer aux aérostats des moteurs assez puissants pour combattre la force du vent.

En 1852, Henri Giffard fit la première expérience sérieuse d’aérostation dirigeable. Le premier, il eut l’audace de s’élancer dans les airs, emportant dans son ballon une véritable machine à vapeur chauffée au charbon. Giffard parvint à se maintenir contre le vent, mais le danger qui résultait du voisinage de son moteur à vapeur placé sur le ballon, n’encouragea pas les imitateurs. Seul, semble-t-il, l’aéronaute Yon renouvela avec succès quelques années plus tard la tentative de Giffard, et réussit à lutter également contre le vent, grâce à deux hélices propulsives actionnées par un moteur dont la chaudière était chauffée au pétrole.

C’étaient là des expériences d’une audace folle, et dans lesquelles l’aéronaute risqua sa vie. Pour obvier aux dangers d’explosion, on songea alors à employer l’électricité comme force motrice. Les frères Tissandier construisirent, en 1883, un ballon actionné par une dynamo électrique, avec lequel ils purent tenir tête à un vent de trois mètres à la seconde. Mais c’est de l’année suivante que date vraiment le premier triomphe de l’aérostation dirigeable.

Le 9 août 1884, les Parisiens qui déambulaient par les Champs-Élysées, eurent une surprise : au-dessus de leur tête, dans la claire atmosphère de ce jour d’été, un ballon d’aspect pisciforme évoluait. Ce ballon venait de l’ouest : il plana un instant au-dessus de la place de la Concorde, puis, ayant, à l’ébahissement des spectateurs, décrit un cercle complet, il reprit la même route et s’en alla comme il était venu.

Le dirigeable La France de Charles Renard et Arthur Krebs

Le dirigeable La France de Charles Renard et Arthur Krebs

Ce ballon portait un nom glorieux. Il s’appelait La France. Son inventeur, le capitaine Charles Renard, le montait ce jour-là en compagnie de son meilleur auxiliaire, le capitaine Arthur Krebs ; et les deux officiers venaient d’accomplir la première expérience réelle d’aérostation dirigeable. Dans les mois qui suivirent, le capitaine Charles Renard renouvela, à plusieurs reprises, la même expérience, et toujours avec un pareil succès. Son compagnon fut alors son frère Paul, plus tard lieutenant-colonel, savant ingénieur comme lui, et le plus ardent, le plus dévoué de ses collaborateurs.

Charles Renard naquit le 23 novembre 1847, à Lamarche, petite ville des Vosges qui s’honore d’avoir donné naissance à l’un des plus intrépides lieutenants de Napoléon, le Maréchal Victor ; et aussi à une héroïne dont le nom mériterait de ne pas tomber dans l’oubli ; Antoinette Lix, qui fut lieutenant des francs-tireurs, en 1870. Méline disait de cette petite cité qu’elle avait toujours été « un foyer intense de vertus civiques et de courage militaire ». Charles Renard en fut le digne fils.

En 1866, il était reçu à Polytechnique : nommé sous-lieutenant élève du Génie en 1868, il était lieutenant au 3e régiment de cette arme quand la guerre de 1870 éclata. Le général Hirschauer qui fut, à Chalais, son collaborateur et son ami, et présida par la suite le Comité chargé de lui élever un monument, dit avec quelle vaillance le jeune Lorrain fit son devoir. « Soldat valeureux, dit-il, il l’est, quand au sortir des Ecoles, il prend part aux terribles luttes de 1870, d’abord sur la Loire, puis dans la tragique opération de l’armée de l’Est sur Héricourt et Belfort. Le jeune lieutenant Renard est même l’objet d’une proposition pour la Légion d’honneur, à l’occasion d’un épisode que je veux dire :

« C’est le 2 décembre 1870, près de Poupry ; la section du Génie commandée par le lieutenant Renard, défend une barricade formée de quelques charrettes et tombereaux renversés ; les balles prussiennes pleuvent, la résistance faiblit, la retraite se dessine... Mais tout à coup les cœurs se ressaisissent, les défenses se reportent à la barricade, un feu violent arrête net l’ennemi... Le lieutenant Renard n’est-il pas debout sur la plus haute charrette, regardant froidement les mouvements de l’adversaire, cible vivante, vivant exemple de courage et d’abnégation...

« Et c’est là, ajoute le général Hirschauer, c’est là l’image de sa vie, vie d’exemple, vie debout, vie face au devoir... » La guerre finie, le lieutenant Renard rentre à Arras. La science, désormais, occupera les loisirs de sa vie de garnison.

Charles Renard

Charles Renard

Il se consacra tout d’abord à l’étude du plus lourd que l’air, construisit et lança, du haut d’une tour, un aéroplane à plans parallèles qui vint atterrir horizontalement, sans choc. L’officier, par cette expérience, avait voulu démontrer la possibilité du vol plané, et l’avait, en effet, démontrée péremptoirement. Le plus lourd que l’air continua d’ailleurs à le passionner ; et, avec un éclectisme que plus d’un savant pourrait prendre pour modèle, même après les triomphantes expériences de son aérostat dirigeable, il ne renonça jamais à l’étude du vol plané. En 1905, au moment où la mort l’enleva, il se disposait à expérimenter un hélicoptère et un hélico-aéroplane dont la construction avait été l’objet de tous ses soins.

Quand il arriva, en 1877, dans ce port de Chalais-Meudon, qui avait été le berceau des aérostiers de l’an II, il le trouva dans un pitoyable état d’abandon. Aidé de son frère, de quelques collaborateurs actifs et d’une poignée de sapeurs du génie, il éleva des bâtiments, créa une usine, des laboratoires, dont il construisit lui-même les instruments, et il ne tarda pas à transformer Chalais en un établissement modèle qui, bientôt, fit l’admiration de tous.

C’est qu’avant de prendre la direction de Chalais, le savant officier avait tout étudié, tout approfondi. Et il arrivait là, apportant sur la construction des ballons, sur les procédés de gonflement, sur les méthodes d’emploi, des théories nouvelles, des procédés inédits, qui devaient doter la France, dès l’origine, d’un service d’aérostation parfait et que toutes les nations s’empressaient d’imiter.

C’est de Chalais que sont datés tous ses travaux, que toutes ses inventions prirent l’essor. C’est de Chalais que partit le dirigeable La France pour porter vers Paris les premiers échos de sa renommée. C’est là qu’en 1893, il résolut le problème des moteurs à vapeur légers et construisit sa première chaudière de 80 chevaux, qui ne pesait que 128 kilos, c’est-à-dire 1 kg. 600 par cheval, alors que les chaudières les plus légères connues et employées dans la marine pesaient de 8 à 10 kilos par cheval.

C’est à Chalais encore qu’il créa le train qui porte son nom, le train automobile à traction continue, avec toutes ses voitures motrices, qui passe par tous les tournants, gravit toutes les pentes, dans lequel chaque roue, guidée par une loi mystérieuse, vient passer dans la voie tracée par celle qui la précède, ce merveilleux « train Renard » qui fit l’étonnement de Paris, et dont on s’étonne, qu’en France, du moins, l’industrie des transports n’ait pas tiré meilleur parti.

C’est à Chalais, en un mot, qu’il inventa ou qu’il perfectionna tout ce qui touche aux ballons dirigeables et à l’aérostation militaire : moyen nouveau de produire de l’hydrogène, forme des aérostats, méthodes de construction, et tant d’appareils et tant de procédés qui, désormais, portent son nom. Le colonel Renard fut le véritable créateur de l’aérostation militaire et l’inventeur du dirigeable.

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