LA FRANCE PITTORESQUE
Corniche (La) lui est tombée dans l’oeil
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Publié le vendredi 19 juin 2020, par Redaction
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Il a eu du bonheur
 

Dans Amusements à la Grecque, ou les Soirées de la Halle (p. 23) paru en 1764, on peut lire : « Tu sais qu’elle a quitté les alumettes pour vendre des motes ; il y a queuqu’jours que j’la rencontris qui en avoit encore un reste : ce jour-là, il étoit tard, j’ n’avions rien fait d’la journée, elle avoit du bonheur, ell’ me demande si j’veux lui en donné à moquié d’gain. Moi, sans barguigner, comm’ j’lui connoissions de la grecq’rie, j’faisons nos conventions. Ell’ prend l’devant, la chance l’y tourne, comm’ selle avoit joué au bâtonet avc moi, la cornich’ l’y tombe dans l’œuil, chacun en achete, et au bout d’un moment ell’ r’vient à vuide. »

La corniche n’est pas ici cette avancée qui règne autour d’un bâtiment, à la naissance du toit, mais une petite corne. On disait d’un mari trompé par sa femme, « qu’il lui était tombé une corniche sur la tête » ; mais l’on disait aussi « heureux comme un trompé », parce qu’on supposait que cet état du mari était une cause de bien-être et de prospérité dans le ménage.

Nos vieux conteurs et La Fontaine après eux ont donné de la vogue et du crédit à ce préjugé, et le peuple de Paris en est encore imbu. C’est que la même cause qui l’entretient subsiste encore, et qu’elle ne semble pas près de finir.

Madame de Sévigné, sur le bruit qu’une corniche de la maison de Bussy était tombée sur sa tête, lui écrit que « ce ne sont pas des diminutifs qui font du mal à la tête de la plupart des maris, et qu’ils se trouveraient bien heureux de n’être offensés que par des corniches. » (Lettre du 6 juin 1668). Ce même dicton a échappé aux recherches de Littré.

Comme, dans notre exemple, il s’agit d’une femme que la fortune favorise, l’auteur a cru devoir lui faire tomber la corniche dans l’œil au lieu de la tête ; mais qu’elle tombât sur telle partie de la tête ou sur telle autre, il est certain que la chute en était regardée comme un signe de bonheur.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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