LA FRANCE PITTORESQUE
À Vannes, la toute dernière épidémie
de variole en France en 1955
(Source : La Croix)
Publié le mercredi 11 janvier 2023, par Redaction
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En janvier 1955, une épidémie de variole se déclare à l’hôpital de Vannes. Elle provoquera 16 morts en dépit d’une grande campagne de vaccination dans le Morbihan.
 

Une épidémie de variole peut-elle être provoquée par des pyjamas ? En ce mois de janvier 1955, l’hypothèse est évoquée très sérieusement par la presse. Les journalistes se perdent alors en conjectures face à une épidémie de variole qui touche l’hôpital de Vannes.

« Des pyjamas contaminés », titre un journal. « Le microbe était embusqué dans les vêtements », soutient un autre, convaincu que le virus est arrivé en Bretagne via les pyjamas d’un sergent parachutiste, rapatrié quelques jours plus tôt d’Indochine. « À l’époque, cette explication n’était pas si absurde. Une étude, en 1949 en Angleterre, affirmait que du pus séché, provenant de croûtes de la variole, pouvait rester infectant pendant un an », explique Patrick Zylberman, historien de la santé.

À Vannes, tout a commencé le 9 décembre 1954. Ce jour-là, Georges Cadoret, chef du service de pédiatrie de l’hôpital Chubert, est appelé au domicile de Daniel, un bambin d’un an et demi, avec une forte fièvre et des boutons. Le médecin diagnostique une varicelle mais, prudent, fait hospitaliser l’enfant. Douze jours plus tard, le docteur Cadoret tombe malade. De la fièvre, des maux de tête et une très grande fatigue. Une grippe, pense-t-il, qui le cloue au lit plusieurs jours.

En son absence, plusieurs enfants et une aide-soignante du service de pédiatrie, où a été accueilli le petit Daniel, présentent des symptômes qui font penser à la varicelle. Mais à son retour, le docteur Cadoret a des doutes. Il échafaude des hypothèses, consulte ses livres de médecine. « Mon sentiment est qu’il y a de la variole dans l’air », écrit-il le 31 décembre dans son journal de bord. Une intuition confirmée quelques jours par l’Institut Pasteur.

Alerte à la variole ! Une du journal Radar en date du 23 janvier 1955

Alerte à la variole ! Une du journal Radar en date du 23 janvier 1955

C’est bien la variole qui sévit dans cet hôpital breton, une des maladies infectieuses les plus meurtrières de l’histoire, heureusement en voie de disparition dans cette France de l’après-guerre. « Grâce au vaccin, le nombre de cas de variole avait très nettement baissé, même si on voyait encore quelques épidémies isolées comme à Marseille en 1952 », indique Patrick Zylberman.

À Vannes, c’est le branle-bas de combat. Le docteur Cadoret alerte les autorités et impose une quarantaine en pédiatrie et dans le « pavillon 10 » qui accueille les malades contagieux. Le 3 janvier, c’est le premier décès, une fillette de 6 mois. Et au fil des jours, les cas se multiplient chez des enfants mais aussi chez les médecins, les soignantes et les religieuses, qui les soignent. « Hier, on a enterré une petite sœur de Kermaria, 22 ans, qui était venue avant Noël voir une novice (...). Le directeur de la santé a recommandé, par prudence, de ne pas suivre le cercueil jusqu’à notre chapelle », écrit une sœur, placée en quarantaine.

En ville, l’épidémie suscite bien sûr des inquiétudes. Dans les écoles, on scrute le moindre signe de la maladie. « Tous les soirs, les sœurs nous faisaient nous déshabiller afin de nous examiner à la pile électrique, à la recherche de boutons », raconte une ancienne interne de l’école de Sainte-Anne dans une exposition organisée en 2005 par l’hôpital. Mais l’ambiance n’est pas non plus à la psychose. Et nombre de Vannetais tombent des nues en lisant certains récits de la presse parisienne. « La variole, faucheuse de générations, monstre que l’on croyait mort chez nous et qui surgissait soudain avec la canine aiguisée des bêtes qui ont trop jeûné », écrit Paris Match, tout en décrivant une ville en proie à « l’épouvante » et « assiégée de nouvelles circulant à la vitesse des feux de brousse ».

C’est en fait avec calme qu’une bonne partie de la population du Morbihan participe à une grande campagne de vaccination organisée du 6 au 14 janvier. En seulement deux jours, 60 % de la population de Vannes reçoit la précieuse piqûre. Et au total, 250 000 personnes sont vaccinées. « À l’époque, la population était très disciplinée face aux messages sanitaires, avec une très grande confiance dans le vaccin, souligne Patrick Zylberman. Ce n’est que dans les années 1960 et 1970, lorsque le risque épidémique sera devenu moins pressant, qu’on verra émerger des débats sur les effets secondaires des vaccins. »

L’épidémie finit par s’éteindre en février, avec un total de 73 cas et 16 décès. Le tout premier malade, le petit Daniel, réussira lui à guérir. Et c’est son père, le fameux parachutiste revenu d’Indochine, qui, sans nul doute, lui a transmis la maladie. Une histoire de pyjamas contaminés ? Pas le scénario le plus probable selon les médecins de Vannes, convaincus que le militaire, bien que vacciné, a véhiculé une forme atténuée du virus. Et à l’origine de ce qui aura été la toute dernière épidémie de variole en France.

Pierre Bienvault
La Croix

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