LA FRANCE PITTORESQUE
27 juin 1570 : bataille d’Arnay-le-Duc
opposant 4000 protestants à l’armée royale
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Publié le samedi 20 juin 2015, par Redaction
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A la tête des forces protestantes, l’amiral Gaspard de Coligny, laissant une garnison sûre à La Rochelle, conçut le hardi projet de rallier, par une marche dans le midi de la France, le Dauphiné et la Bourgogne, toutes les troupes du parti et de marcher sur Paris avec ces forces réunies, afin d’obliger le roi à la paix.

La Noue, célèbre capitaine protestant, qui, durant cette expédition, fut chargé de la défense de La Rochelle, a laissé un récit intéressant de cette mémorable entreprise. « Il estoit force, dit-il, que messieurs les princes et admirai, après leur route (défaite), s’esloignassent de l’armée victorieuse ; ceste résolution leur profita à cause de l’imprudence des catholiques, lesquels laissant rouler, sans nul empeschement, ceste petite pelote de neige, en peu de temps elle se fit grosse comme une maison ; car l’authorité de messieurs les princes attiroit et esmouvoit beaucoup de gens : la prévoyance et les inventions de M. l’admiral faisoient exécuter choses utiles ; et le corps des reitres, qui estoit encore de trois mille chevaux, donnoit réputation à l’armée.

« Ils (les protestants) souffrirent beaucoup jusques à ce qu’ils fussent en la Gascongne où ils se renforcèrent d’arquebusiers dont ils avoient très grand besoin mesmement pour garantir la cavallerie des surprises de nuict, qui sont fort communes en ces quartiers là, pour la voisinance des villes et chasteaux. — On les entremesloit parmy les cornettes de reitres, et autres troupes françoises, de manière que, tant ès pays larges que couverts, ils estoient tousjours préparez pour se défendre...

« Le plus long séjour que ceste demy armée fit, fut vers les quartiers d’Agenois et de Montauban, où elle passa quasy tout l’hyver ; et par le bon traitement qu’elle y reçut, se refirent comme de nouveaux corps aux hommes...

« Les premières forces qui se joignirent auxdicts princes furent celles du comte de Montgommery, revenant victorieuses de Béarn, qui fut certes un brave exploit ; car, par diligence, il prévint l’armée de M. de Terride, qui assiégeoit Navarins, jà harassée par le long temps qu’elle avoit là séjourné.

« Sur la fin de l’hyver ils s’acheminèrent vers Toulouse, où il se commença une façon de guerre très violente par les bruslements qui furent permis, et seulement sur les maisons de la cour du parlement. — La cause estoit, disoit-on, pour ce qu’ils avoient tousjours esté très aspres à faire brusler les luthériens et huguenots, aussi pour avoir fait trancher la teste (en 1563) au capitaine Rapin, gentilhomme de la religion, qui leur portoit l’édit de la paix la part du roy. Ils trouvèrent ceste revanche bien dure : néantmoins on dit qu’elle leur servit d’instruction pour estre plus modérez à l’avenir, comme aussi ils se sont monstrez tels. M. le mareschal d’Anville estoit alors dans ladicte ville avec de bonnes forces et estoit mordu des calomniateurs, qui l’accusoient d’avoir intelligence avec son cousin l’admiral : cependant, en tout le voyage nul ne fit si vivement la guerre à l’armée des princes que luy, et leur desfit quatre ou cinq compagnies de chevaux.

« L’armée donna jusqu’à la comté de Roussillon, où il fut fait du saccagement, encore qu’elle appartint aux Espagnols. De là elle tira tout au long du Languedoc, et estant approchée du Rhosne, M. le comte Ludovic (Louis de Nassau) le passa avec partie des forces de l’armée, pour assaillir quelques places. Mais la principale intention des chefs estoit pour tirer infanterie du Dauphiné, pour rengrossir le corps, comme aussi ils avoient pensé faire de Gascongne et de Languedoc, lequel désir ne se put bien effectuer ; car quand les soldats venoient à entendre que c’estoit pour s’acheminer vers Paris et au cœur de la France, et qu’après ils se représentoient les misères qu’eux et leurs compagnons, qui y estoient demourez, avoient souffertes l’hyver passé, chacun fuyoit cela comme un mortel précipice, et aimoient sans comparaison mieux demourer à faire la guerre en leur pays. Toutefois encores ramassèrent-ils plus de trois mille harquebusiers délibérez d’aller partout, qui se disposèrent par régiments, mais tous estoient à cheval...

« M. l’admiral, qui estoit fort expérimenté aux affaires, voyoit bien, encore que la paix se negociast, qu’il estoit bien malaisé d’en obtenir une bonne qu’on ne s’approchast de Paris ; et sçachant aussi que delà la rivière de Loire, il trouverait faveur et aide, il hastoit le voyage ; mais la difficulté de passer les montagnes des Cevennes et du Vivarets donna quelque retardement, et encore plus sa maladie qui luy survint à Sainct-Estienne de Forest, qui le cuida emporter... Enfin Dieu luy envoya guérison, au grand contentement de tous, après laquelle l’armée marcha si légèrement qu’en peu de temps elle arriva en Bourgongne, à René-le-Duc (Arnay-le-Puc).

« M. le mareschal de Cossé, qui commandoit à l’armée du roy, avoit eu charge expresse de luy d’empescher que celle des princes n’approchast de Paris, mesme de la combattre s’il voyoit le jeu beau ; ce qui le fist accoster d’elle en délibération de ce faire. L’ayant trouvée placée en assez forte assiette, il la voulut oster de ses avantages avec son artillerie, de quoy les autres estoient dépourveus, et par attaques d’harquebuserie leur faire quitter certains passages qu’ils tenoient. Un seulement fut abandonné du commencement, et là se firent de grosses charges et recharges de cavallerie, où les uns et les autres furent à leur tour poursuivis.

« Les capitaines qui attaquèrent les premiers du costé des catholiques, furent messieurs de La Valette, de Strosse et de La Chastre, qui se portèrent bien. Ceux qui soustindrent de la part des huguenots furent M. de Briquemaut, mareschal de camp, le comte de Montgommery et Genlis. Et en ceste action messieurs les princes, encore très jeunes, firent voir par leur contenance le désir qu’ils avoient de combattre, dont plusieurs jugèrent que quelque jour ce seroient d’excellents capitaines. Enfin les catholiques voyant la difficulté de forcer leurs ennemis se retirèrent à leur logis, comme aussi firent les princes, qui, après avoir considéré que le séjour leur estoit nuisible, aussi qu’ils manquoient de poudre, s’acheminèrent à grandes journées vers La Charité et autres villes qui tenoient leur party, pour se remunir des commoditez nécessaires. Peu après, la tresve se fit entre les deux armées, à laquelle succéda la paix, qui fut occasion que chacun mit les armes bas. »

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