LA FRANCE PITTORESQUE
Tour Jacquemart
de Romans-sur-Isère (Drôme)
(D’après « Revue du Dauphiné et du Vivarais », paru en 1878)
Publié le mardi 19 mai 2015, par Redaction
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La première horloge publique avec un poids pour moteur, une pièce oscillante pour régulateur, et un engrenage, fut placée en 1370, sous Charles V, sur la tour du Palais de Justice à Paris. Se piquant, peu d’années après, d’émulation entre elles, les principales villes du Nord décorèrent leurs Hôtels de ville d’horloges monumentales accompagnées d’automates et de carillons. Romans voulut aussi, à l’imitation des villes libres des Flandres, avoir son beffroi en rivalité avec le clocher du Chapitre.
 

Déjà, le 13 janvier 1412, les consuls et les notables de Montélimar avaient décidé qu’on doterait leur ville d’une horloge publique. Ils chargèrent Jacques Marcha, maître horloger de Romans, du soin de cette construction, pour le prix fait de 100 florins.

Ce fut encore un Romanais, Jean de Lauregua, qui fut chargé, moyennant 13 florins et 18 gros, de peindre magnifiquement le cadran de cette horloge. Le 11 juillet 1557, les Montiliens s’adressèrent à des ouvriers de Valence pour refaire le reloge de leur ville « à la forme d’icelluy de Romans ». Enfin, par là même occasion, ils voulurent embellir cette horloge d’un Jacquemart, à l’instar de celle de Romans ».

Notons au passage que le mot Jacquemart est un diminutif de Jacques-Marteau. Au Moyen Age on donnait le nom de Jacques-Bonhomme au paysan qui accomplissait avec résignation toute espèce de corvées, y compris celle de sonner les cloches.

Ainsi donc, dès 1412, Romans possédait des artistes habiles en plusieurs genres, et plus tard, l’horloge et le Jacquemart de cette ville servaient de modèle et de type pour les cités voisines, de même que de curiosité des étrangers.

Quoi qu’il en soit, les consuls de Romans voulant ériger dans leur ville un monument d’utilité publique (horologium pro communi servicio totius oppidi de Romanis), résolurent de faire la chose grandement, « sans regarder à la dépense ». Dans ce but, ils s’adressèrent à un artiste célèbre de Fribourg, Pierre Cudrifin, qui ajoutait à son nom les titres suivants : clericus, burgensis Friburgi, magister bombardarum et horologiorum. Il vint à Romans, s’entendit avec les autorités, et de retour dans son pays, il écrivit aux bourgeois de cette ville, à la date du samedi après la Toussaint (4 novembre 1425), pour leur demander les 50 écus d’or qu’ils devaient lui envoyer à Genève à la foire de Saint-Simon et de Saint-Jude, en ayant grand besoin, et ajoutant qu’il travaille à force à l’horloge : « Sachez certainement que je laboure grandement à votre besogne. »

Tour Jacquemart de Romans-sur-Isère (Drôme)

Tour Jacquemart de Romans-sur-Isère (Drôme)

Cette horloge fut placée dans une tour carrée. On l’appela le Jacquemart, du nom de l’automate armé d’un marteau pour frapper sur une cloche. Le 10 novembre 1453, le Dauphin (depuis Louis XI) accorda la faculté de faire une entrée par des degrés en dehors de la basse-cour de l’horloge, en construisant un mur pour empêcher l’évasion des prisonniers. En outre des cadrans pour marquer les heures, la tour portait sur ses quatre faces les armes de France, de Dauphiné, du Chapitre et de la ville.

L’œuvre étant faite et parfaite, il ne s’agissait plus que de satisfaire l’ouvrier. Le compte s’élevait à la somme importante de 500 florins d’or, c’est-à-dire à cinq fois autant que celle que la ville de Montélimar avait dépensée pour le même objet.

Le 29 juillet 1426, les chanoines de Saint-Barnard permirent aux habitants de Romans un octroi pour faire face aux dépenses nécessitées par l’établissement de l’horloge publique, mais refusèrent d’y participer. D’où des discussions qui retardèrent le paiement de cette dette et qui donnèrent lieu à plusieurs arrêts de justice. D’abord, une ordonnance, à la date du 16 décembre 1427, de Jean de Schalone, sacristain de Die, official de Vienne à Saint-Donat, chanoine résidant à Romans, pour contraindre plusieurs habitants qui n’avaient pas payé la taille pour l’entretien de l’horloge ; puis une assignation aux consuls à Grenoble par Pierre Cudrifin, qui réclamait le paiement de son travail ; enfin, un arrêt du 27 janvier 1429 du gouverneur du Dauphiné, Raoult de Gaucourt, rendu en conseil à Grenoble, qui condamnait la communauté de Romans à payer, sous toutes les imputations légitimes, la somme de 500 florins d’or due à Pierre Cudrifin, bourgeois de Fribourg, pour prix d’une horloge faite pour la ville de Romans. Ce dernier étant mort peu après, ce ne fut que le 16 juillet 1431 que Jean Cudrifin, son frère et son héritier, reçut des consuls de Romans ladite somme de 500 florins ou de 300 écus d’or. La quittance fut passée dans la boutique de draperie d’Antoine de Manissy, l’un des consuls.

La tour a toujours contenu trois cloches : une grande et deux petites. La première a été refondue. Les consuls firent, le 10 janvier 1544, avec Nicolas Dubois, « campagnyer » du lieu de Neuchâtel en Suisse, un traité pour la refonte de la cloche de la grande horloge de Jacquemart, de même grandeur qu’elle était de présent, moyennant 50 écus d’or au soleil, outre le métal nécessaire, qui fut livré par Robin, au prix de 18 livres le quintal. La cloche, mesurant 1m30 de haut sur 1m55 de large et pesant 46 quintaux, fut fondue dans un local de l’Aumône de Sainte-Foy, qui était très rapproché du clocher. Elle donne le si naturel de la clef de fa, et porte l’inscription suivante : Maistre Nicolas du Bois me fit l’an mil V XXXXV. — Jesus Maria custodi nos Domine sicut pupillam oculi.

Il y a, en outre, trois petits tableaux : la Vierge tenant l’enfant Jésus dans ses bras ; saint Michel perçant le dragon ; et un personnage vu à mi-corps, les mains liées. Les inscriptions des petites cloches sont ainsi :

Petite cloche (sud-ouest) : Christus rex venit in pace. Deus homo factus est. Christus nos salvet. Amen.

Petite cloche (sud) : Christus vincit. Christus regnat. Christus imperat. Christus nos custodiat. Amen.

Ces deux petites cloches, de dimensions à peu près égales (60 centimètres de haut sur 67 de diamètre) datent du XIIIe siècle, et peut-être du XIIe, et sont, par conséquent, antérieures à la construction de l’horloge. Elles donnent, l’une, le mi naturel, et l’autre, le fa dièze de la clef de sol.

Jacquemart de Romans

Jacquemart de Romans

Les trois cloches de Jacquemart ont toujours fait entendre leurs joyeux carillons pendant le passage des processions, dans toutes les fêtes publiques et à l’occasion de l’arrivée des grands personnages. Avant la Révolution, elles servaient à annoncer la réunion du Conseil municipal, celle des Pénitents, etc. La flèche, élevée de 34 mètres, a été souvent réparée : après les guerres de religion, les soldats s’étant amusés à percer la toiture à coups d’arquebuse ; en 1775, on dépensa 3103 livres ; en 1812, 10 800 francs ; en 1840, une plus forte somme ; en 1877, 4501 francs, pour la réfection complète de la charpente et de la couverture de la flèche.

Le 14 décembre 1792, sur la réquisition du procureur de la commune, la ville fit enlever la fleur de lis qui ornait la cime du clocher, par un grenadier de la garnison à qui on donna 150 livres pour cette opération dangereuse. Sous le premier Empire, on plaça au même endroit une aigle ; sous la Restauration, une fleur de lis ; sous Louis-Philippe, une boule ; aujourd’hui, il y a une simple pointe de paratonnerre accompagnée d’une girouette découpée en forme de lyre.

Le Jacquemart est si éminemment populaire qu’il a donné son nom à divers établissements, à une place, à une rue, à un faubourg. Plusieurs journaux satiriques se sont parés de son nom et de son effigie, et lui ont fait parler un langage plus réaliste que poétique, car, ainsi que le latin, « le patois dans les mots brave l’honnêteté ».

Toutefois, notre Jacquemart a toujours eu une tenue correcte vis-à-vis des gouvernements existants, et toujours son habit de fer-blanc a été à peu près conforme aux idées du jour. Il était en garde national en 1789 ; en lancier polonais sous l’Empire ; en troubadour sous la Restauration ; enfin, depuis 1830, en volontaire de 1792. Du moins pensait-on qu’il s’agissait de ce costume, avant qu’un historien local fît remarquer, en 2012 lors d’une rénovation du Jacquemart, que son costume était celui de la milice bourgeoise de Romans.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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