LA FRANCE PITTORESQUE
13 mai 1840 : naissance de
l’écrivain Alphonse Daudet
(D’après « Le Petit Parisien » du 17 décembre 1897)
Publié le mercredi 13 mai 2015, par Redaction
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Alphonse Daudet conquit des lecteurs dans toutes les classes de la société. Il écrivait une langue si claire, si allègre, si pure ! C’est comme une eau limpide, et on y peut boire sans que les lèvres en gardent aucune âcreté. On aime ces œuvres exquises et fraîches, d’une émotion pénétrante : le Nabab, Jack, Fromont jeune et Risler aîné, Sapho, etc., et cette épopée de la gaieté :{} Tartarin, et ces petites pages tour à tour mouillées d’une larme ou éclairées d’un sourire : les Lettres de mon Moulin et les Contes du Lundi.

Alphonse Daudet à 29 ans

Alphonse Daudet à 29 ans

Mais avant de conquérir notoriété puis gloire, que de luttes avant cela, et que d’épreuves ! Il les a dites lui-même dans un livre : Trente ans de Paris. Né le 13 mai 1840, à Nîmes, d’une famille très humble, il était à dix-sept ans maître d’études dans un collège. Dans le Petit Chose, il nous a narré cette période de son existence. Après un an, il résolut de venir à Paris, où se trouvait déjà l’un de ses frères, Ernest Daudet.

— Nous allons charger ton bagage, lui dit celui-ci, qui l’attendait à la gare.

« Il était joli, le bagage ! raconte Alphonse Daudet. Une pauvre petite mallette garnie de clous avec des rapiéçures et pesant plus que son contenu. Telle fut mon entrée dans Paris. Serré contre mon frère, le cœur angoissé, j’éprouvais une terreur involontaire. Si tu n’es pas trop pressé de voir ma chambre, allons déjeuner d’abord ! me dit Ernest. Oh ! oui, mangeons ! Littéralement, je mourais de faim ! » Le repas ne fut pas plantureux. On déjeunait dans un restaurant à seize nous. Mais, de cette époque si rude, Alphonse Daudet ne garda aucune aigreur. « La vache enragée est une lamentable nourriture, disait-il, mais je vivais plus par la tête et le cœur que par l’estomac ! »

Le premier livre de Daudet fut un volume de vers : les Amoureuses, où se trouve ce joli poème des Prunes, qui est dans toutes les mémoires :

Mon oncle avait un grand verger,
Et moi, j’avais une cousine.

Il fit du journalisme. Il écrivait au Figaro, au Monde Illustré, et il était de tous les petits cénacles des littéraires. Ceux qui le connurent alors pouvaient dire quel aimable compagnon c’était. Très beau, d’une beauté de Méridional brun, avec de longs cheveux ondulés encadrant un visage pâle et fin, il était d’une gaieté spirituelle. Tout en rédigeant des chroniques et des contes pour les journaux, il faisait des pièces de théâtre : la Dernière Idole, le Frère aîné, le Sacrifice, les Absents, l’Œillet blanc.

Elles ne réussirent pas toutes, loin de là. Et lui-même a raconté plaisamment, mais non sans émotion, l’effet que lui produisirent les sifflets du public. Il ne protestait pas ; il disait simplement : « C’est à recommencer ! » Et, tenace, il recommençait. Une fois, à l’Ambigu, le soir de la première représentation de Lise Tavernier, en mettant le pied sur la scène, derrière les coulisses, il aperçut un des fils de Mme Marie Laurent, la célèbre actrice, et lui demanda, anxieux :

— Eh bien ! comment ça marche-t-il ?

— Maintenant, cela va un peu mieux !

Alphonse Daudet

Alphonse Daudet

Tout juste le mot d’une garde-malade après une crise. Mais Daudet devait avoir de glorieuses compensations. Plus tard, en mettant à la scène quelques-uns de ses romans ou récits : Fromont jeune et Risler aîné, l’Artésienne, Sapho, les Rois en exil, Numa Roumestan, il obtint d’éclatants succès. L’Obstacle, au Gymnase, fut aussi très applaudi.

Le premier roman de Daudet avait été le Petit Chose, livre attendrissant, plein d’un charme un peu amer. Puis, vinrent les Lettres de mon Moulin, où il y a toute la lumière joyeuse du pays des cigales. Et, alors, à mesure que l’écrivain produit, son talent s’affirme et devient génie. Voici les chefs-d’œuvre à brassées : Jack, le Nabab, les Rois en exil, Numa Roumestan, Robert Helmont, l’Évangéliste, Sapho, Femmes d’artistes.

Dans ses Trente ans de Paris, Daudet a fourni de nombreux détails sur sa méthode de travail. Il déclare n’aimer mettre en œuvre que des faits réels, observés directement par lui et qui lui servent de canevas. Il modifie les types à sa convenance, en opère la fusion avec des types voisins, ajoute aux faits qui lui sont fournis par la vie ou en retranche. « Tous les personnages du roman, dit-il d’un de ses livres : Numa Roumestan, sont créés de plusieurs modèles. »

Et le procédé qu’il applique aux hommes, Daudet l’applique aux villes, et il ajoute : « Aps-en-Provence, la ville natale de Numa Roumestan, je l’ai bâtie avec des morceaux d’Arles, de Nîmes, de Saint-Remi, de Cavaillon, prenant à l’une ses arènes, à l’autre ses vieilles ruelles étroites et cailloutées comme des torrents à sec, son marché du lundi sous les platanes massifs du Tour-de-Ville, puis un peu partout ces claires routes provençales bordées de grands roseaux, que je courais quand j’étais enfant. »

On saisit ainsi sur le vif les procédés d’inspiration du romancier ; on voit comment il a créé les types de Jeansoulet, du docteur Jenkins et du duc de Mora, dans le Nabab ; de Numa Roumestan ; du sculpteur Caoudal, dans Sapho ; d’Elysée Mérault, des Rois en exil, et de bien d’autres, dans lesquels on croit reconnaître avec exactitude telle personnalité, qui s’évanouit dès qu’on a tourné la page.

Après la publication de Sapho, on parla de l’entrée de Daudet à l’Académie française. Il refusa de poser sa candidature. Dans une lettre demeurée célèbre, il disait : « Mes maîtres dans le conte et le roman, Balzac, Stendhal, George Sand, Théophile Gautier, Flaubert, les Goncourt, n’ont pas été de l’Académie. Pourquoi en serais-je ? Mettons que, durant la vie, les palmes vertes gratouillent notre vanité ; mais la fin venue, quand nos livres sont seuls à parler de nous, l’estampille de l’Académie compte pour bien peu de chose. » Et, pour bien souligner sa résolution, il publia l’Immortel, où une certaine catégorie d’académiciens est assez malmenée.

Alphonse Daudet dans son cabinet de travail avec son épouse

Alphonse Daudet dans son cabinet de travail avec son épouse
Détail d’une peinture de Louis Montegut (vers 1880)

Daudet n’était pas seulement un écrivain. C’était un causeur. Avec quelle bonne grâce, quelle humeur incessamment aimable il vous recevait ! Vivant toujours dans l’intimité de la famille, il avait une tendresse pénétrante et chaude.

C’était un laborieux. Dès le matin à la tâche, il n’abandonnait la plume que le soir. Depuis surtout que la maladie le forçait à rester sédentaire, il passait ses journées dans son cabinet de travail, ayant à ses côtés sa chère femme, une vaillante, sa collaboratrice souvent, à qui, un jour, cloué au lit avant d’avoir achevé les Rois en exil, il disait : « Si je m’en vais, finis mon bouquin ! »

Si Daudet était malade, sous l’enveloppe physique, l’énergie morale demeurait. La tête était restée belle, si le corps était fatigué, contracté ; la parole était vive, l’œil ardent, la bouche souriante. Et, d’ailleurs, tant d’affections, tant de sympathies l’entouraient qu’il oubliait ses souffrances. Jusqu’à la dernière minute, il travailla. Peu avant de rendre l’âme, il venait d’achever un roman : Soutien de Famille. Il y avait à peine mis le mot « Fin », que la mort, en brisant soudain son existence, le prononçait à son tour pour l’épilogue suprême.

Il partit en pleine renommée, le 16 décembre 1897. Il se promettait, dès les beaux jours, de repartir pour sa petite maison de Champrosay, sur les bords de la Seine, dans ce coquet village où se passent les scènes d’un de ses derniers romans : la Petite Paroisse. C’est là que, dès le matin, se promenant dans son jardin, il venait, comme il disait, « boire du soleil ». Le soleil, c’était sa joie ; il entrait pour une grande part dans son œuvre.

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