LA FRANCE PITTORESQUE
Rogations (Jours des) avant l’Ascension :
origines de leur instauration
(D’après « Essai sur les fêtes religieuses et
les traditions qui s’y rattachent », paru en 1867)
Publié le lundi 11 mai 2015, par Redaction
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Désignant les trois jours précédant immédiatement l’Ascension, les Rogations doivent leur naissance à l’évêque saint Mamert, cependant que vers 470 un grand nombre de prodiges épouvantaient la ville de Vienne, en Dauphiné : de fréquents tremblements de terre, et des bêtes fauves, telles que les cerfs et les loups, franchissant les portes, errant sans crainte dans la ville. C’est un concile tenu en 511 qui en généralisera l’usage sur tout le territoire du royaume franc.
 

Depuis un an de nombreux fléaux s’abattaient sur la ville, et état de choses durait, lorsque la fête de Pâques fit espérer au peuple que la miséricorde de Dieu mettrait pour le jour de cette grande solennité un terme à leur épouvante. Mais la veille même de cette glorieuse nuit, pendant qu’on célébrait les cérémonies de la messe, la maison de ville fut tout à coup embrasée par le feu du ciel. Tous les fidèles furent saisis de terreur et abandonnèrent l’église, craignant que cet incendie ne consumât la ville et que la terre ébranlée ne s’entrouvrît.

Saint Mamert

Saint Mamert

L’évêque Mamertus ou saint Mamert, resté seul, se prosterna devant l’autel et supplia avec des larmes et des gémissements la clémence de Dieu. La prière du saint évêque fut agréée, et comme si ses larmes avaient éteint l’incendie, l’embrasement cessa tout à coup.

Le peuple étant revenu à l’église pour continuer l’office divin, saint Mamert lui déclara que, pendant l’alarme, il avait voué à Dieu des rogations, c’est-à-dire des litanies ou supplications, qui devaient consister en une procession solennelle, accompagnée de jeûnes et de prières publiques. On choisit à cet effet les trois jours qui précèdent la fête de l’Ascension ; et la première station se fit à une église peu éloignée des murs de la ville.

Telle est l’origine des Rogations, qu’une homélie de saint Avit — successeur de saint Mamert à la tête de l’évêché — vient corroborer ; et ce fut le frère de saint Mamert, Claudien Mamert, qui composa l’office de cette fête. Dans le but d’attirer la protection du ciel sur les biens de la terre, on suivit de toutes parts l’exemple donné par saint Mamert. Dès la fin du Ve siècle, disent saint Avit et saint Césaire d’Arles, les Rogations furent établies dans presque toute la chrétienté.

Le premier concile d’Orléans, tenu en 511, ordonna que les Rogations seraient observées en France. Nous trouvons aussi, parle concile de Girone, assemblé en 511, qu’elles se pratiquaient en Espagne, mais qu’au lieu du lundi, du mardi et du mercredi qui précèdent l’Ascension, elles se célébraient le jeudi, le vendredi et le samedi après la Pentecôte. Quant à leur introduction à Rome, une source prétend qu’elles furent admises dans cette ville vers la fin du VIIIe siècle, sous le pape Léon III (795-816).

Charlemagne et Charles le Chauve défendirent au peuple de travailler pendant les Rogations ; mais cette obligation et celle du jeûne n’ont été ni universelles ni de longue durée.

Autrefois, à Paris, le clergé de Notre-Dame se rendait à Montmartre, le lundi des Rogations, lorsque le temps le permettait, où seulement à l’église de Saint-Denis de la Châtre. Le mardi il allait aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, et le mercredi, passant par Saint-Victor et Saint-Marcel, il venait assister à une messe chantée par les religieuses dans l’église de Sainte-Geneviève. L’écrivain et compilateur François-Alexandre de La Chesnaye-Aubert (1699-1784) a fait à ce sujet cette observation : c’est qu’à toutes les processions de Notre-Dame, les églises devant lesquelles elle passait, envoyaient deux prêtres en chapes, avec la croix et deux chandeliers, pour encenser la procession jusqu’à ce qu’elle soit passée.

Procession des Rogations

Procession des Rogations

A Paris, au XVIIIe siècle, le clergé de la paroisse Saint-Gervais allait encore, tous les ans, faire une station à une statue de la Vierge que l’on avait placée derrière le petit Saint-Antoine. L’origine de cette cérémonie venait de ce que, à la fin du mois de mai 1538, un protestant avait décapité cette statue. L’image mutilée fut portée à l’église Saint-Gervais et remplacée par une autre en argent, ce qui donna lieu à une procession à laquelle assista François Ier. Comme on aurait dû le prévoir, la nouvelle statue tenta la cupidité des voleurs ; elle fut soustraite le 17 décembre 1545. On en plaça une nouvelle en bois, qui fut brûlée, selon La Chesnaye, par les hérétiques. Cet auteur disait même, vers la fin du XVIIIesiècle, que « l’évêque de Paris en posa avec solennité une quatrième, qui est celle qui s’y voit à présent. »

Les processions des Rogations ont une telle similitude avec les Ambarvales romaines consacrées à Cérès, que l’on voudrait croire que cette fête a passé du paganisme dans les pratiques de l’Église catholique. Mais ceci n’a pas été démontré. Les Ambarvales, Ambarvalies, Amburbiales ou Amburvies, avaient lieu deux fois par an : en janvier ou en avril, pour demander l’accroissement et la maturité des récoltes ; en juillet ou en août, afin d’obtenir la conservation des grains et autres fruits de la terre.

On sait qu’il y avait deux sortes d’ambarvales : les ambarvales particulières et les ambarvales publiques. Les premières étaient célébrées par chaque chef de famille, assisté de ses enfants et de ses esclaves. On promenait autour des blés une truie pleine ou une génisse, précédée d’un homme couronné d’une branche de chêne et qui dansait, en chantant, à la louange de Cérès, des hymnes auxquelles toute la famille répondait par de grands cris. La victime se nommait praecidanea (qui précède la coupe des blés). On se servait aussi d’œufs dans les purifications des champs ainsi que dans toutes les autres, et on faisait des libations de lait, de vin et de miel.

Procession des Rogations

Procession des Rogations

Les secondes ambarvales se célébraient dans l’enceinte de Rome — suivant Strabon, on allait jusqu’au dixième mille, premières limites du territoire de ces Romains qui devaient conquérir le monde. Des prêtres au nombre de douze, nommés frères arvales (fratres arvales), portant pour insignes des bandelettes blanches et une couronne d’épis, marchaient à la tête des citoyens, ornés de feuilles de chêne, en implorant la protection des dieux ruraux. Un cochon, une brebis et un taureau, couverts de guirlandes, étaient ensuite immolés. Ces sacrifices s’appelaient Suove Taurilia, et Caton l’Ancien , dans son traité De re rustica, en recommandant aux familles de faire célébrer avec soin les ambarvales, cite un fragment des chants usités dans cette circonstance.

Nous trouvons la même recommandation dans Virgile (70 av. J.-C.-19 av. J.-C.), qui donne au sein de ses Géorgiques une description de ces fêtes dont voici la traduction :

« Surtout honore les dieux et offre à la puissante Cérès un sacrifice annuel au milieu des riantes prairies, lorsque l’hiver sur son déclin fait place aux jours sereins du printemps. Alors les agneaux sont plus gras, les vins sont plus moelleux, le sommeil est plus doux, l’ombre plus épaisse sur les montagnes. Que toute la jeunesse villageoise adore avec toi Cérès : offre-lui pour libations du miel délayé dans du lait et du vin vieux ; que la victime propitiatoire fasse trois fois le tour de la moisson naissante, que le chœur des compagnons de tes travaux t’accompagne en triomphe, et que leurs voix appellent sur ta demeure les faveurs de Cérès : surtout que personne ne livre les blés mûrs à la faucille avant d’avoir, le front ceint d’une couronne de chêne, célébré Cérès par des chants et des danses rustiques. »

Selon un auteur, ce fut Romulus qui institua les ambarvales, en l’honneur d’Acca Laurentia, sa nourrice, dont les douze fils faisaient chaque année un sacrifice sur les champs de leur mère ; on dit même qu’ils eurent les premiers le titre de frères arvales et qu’après la mort de l’un d’eux, Romulus se fit initier et prit sa place. Cette assertion est inexacte, car, avant la fondation de Rome, les ambarvales se pratiquaient déjà à Albe ; Romulus ne put donc que les emprunter aux Albains. Toutefois, on ne saurait mettre leur existence en doute, et, outre les nombreuses preuves que nous avons déjà citées, un document nous indique qu’en 1777 on a trouvé, à Rome, une table de marbre sur laquelle était inscrit le cérémonial de ces fêtes, qui appartient à l’année 218 après Jésus-Christ.

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