LA FRANCE PITTORESQUE
Petit Dunkerque
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Publié le samedi 9 mai 2015, par Redaction
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Sorte de bazar de fines porcelaines et de curiosités artistiques, de charmantes et délicates inutilités, qui en font un bric-à-brac
 

A Paris, il y eut autrefois un magasin en vogue qui avait pour enseigne : Au Petit Dunkerque ; on y vendait tous les petits meubles recherchés qui pouvaient parer un boudoir ou les tablettes d’un bahut distingué. Voici donc ce qui est bien constaté et bien défini : on sait à point nommé ce qu’est un Petit Dunkerque, mais pourquoi ce nom d’une ville de la Flandre maritime fut-il donné à cet assemblage de jolies choses ?

Est-ce que la ville de Dunkerque était jadis en possession de fournir ces objets enviés par les dames ? Les relations de ce port avec la Hollande et l’Angleterre y amenaient-elles plus facilement les porcelaines de la Chine qu’en d’autres localités ? Un renseignement historique vient peut-être jeter quelque jour sur l’étymologie de cette singulière locution.

Carte-réclame du magasin Au Petit Dunkerque à Paris

Carte-réclame du magasin Au Petit Dunkerque à Paris

Lord Clarendon, ministre de Charles II, roi d’Angleterre, prêta l’oreille à la proposition de vendre à Louis XIV la ville de Dunkerque, dans un moment où les finances de la Grande-Bretagne étaient loin d’être prospères. Le lord voulait douze millions de ce port si envié des Anglais. Ce marché se conclut au prix de cinq millions. Le parlement protesta et expédia au gouverneur la défense de livrer la ville. Le message arriva quelques heures trop tard. Les Français se trouvaient en possession de la place en novembre 1662.

Le traité de lord Clarendon fut regardé comme fatal à la perfide Albion ; on disait qu’il avait livré à la France la clé de l’Angleterre et la plus forte barrière qu’elle pût opposer aux flottes françaises ; le lord fut accusé par la chambre des communes ; le peuple partagea l’opposition du parlement, la rumeur publique disait que Clarendon s’était vendu à Louis XIV : enfin le ministre fut banni et dut s’exiler en France où il mourut neuf ans plus tard.

Mais avant de partir de Londres, le lord y avait fait bâtir un hôtel magnifique qu’il meubla avec un certain luxe ; cette maison reçut alors et conserva, toujours dit-on, le nom de Petit Dunkerque.

Voilà sans doute d’où il faut tirer l’origine du dicton qui se rattache à une de nos villes de Flandre ; Clarendon, riche et luxueux, aura chargé d’ornements splendides et de colifichets brillants la délicieuse retraite qu’il s’était ménagée dans un des plus beaux quartiers de Londres, et le peuple, qui lui en voulait, n’a pas manqué de baptiser cette demeure du nom de la cité qu’il lui reprochait d’avoir cédée à la France.

Voici, in extenso, la réclame pour le Petit Dunkerque parue au sein de la feuille hebdomadaire L’Avant-coureur en 1771 :

« Magasin curieux du petit Dunkerque. A Paris, quai de Conti, au coin de la rue Dauphine.

« Le Sr Granchez, tenant ce Magasin, a, dans la vue de satisfaire de plus en plus le goût du public, fait une tournée dans les diverses Fabriques. II s’est surtout arrêté dans celles des Sieurs Wedgwood & Bentley, qui en s’appliquant à copier les beaux vases antiques viennent de mettre au jour des morceaux précieux. Le Sieur Granchez a fait un choix très complet de ces morceaux qu’il vend à Paris au même prix que dans leurs Fabriques, savoir : figures, bas-reliefs, & médaillons d’Hommes illustres d’une composition de belle porcelaine noire ou terre cuite ; lampes d’ornements, trépieds, urnes, aiguières, chandeliers en vases, avec médaillons en bas-reliefs de la même composition de porcelaine noire.

« Les mêmes formes ci-dessus d’une autre composition imitant le porphyre, le jaspe, l’agate, & autres pierres précieuses. Les mêmes d’une composition nommée encaustique bronze d’or, ou biscuit d’or, dont l’or cuit au four est parfaitement durable étant incorporé avec la matière.

« Pots à oignons de fleurs en ornements de cheminée. On en trouve de garnis de fleurs en plumes de Paris, supérieures en beauté à celles d’Italie & imitant mieux la nature. Vases, urnes, &c. ornés de peinture encaustique, d’après les plus beaux modèles qui nous sont restés des Étrusques. Ces peintures peuvent nous rappeler en partie l’art des anciens depuis longtemps perdu, celui de fixer les couleurs par le moyen du feu fans le glacis désagréable de l’émail.

« Une collection de Bustes en albâtre représentant Henri IV, Sully, Montesquieu & M. de Voltaire. Ces Bustes sont exécutés d’après les meilleurs originaux.

« Chaînes de femmes, souvenirs, pommes de cannes, garnitures de boucles, le tout en acier violet pourpre couvert d’or, d’un goût & d’un travail supérieur à tout ce que l’on a fait jusqu’à présent.

Magasin Au Petit Dunkerque créé vers 1760, 3 quai Conti, Paris 6e

Magasin Au Petit Dunkerque créé vers 1760, 3 quai Conti, Paris 6e

« Nouvelles sarbacanes à pompes faites en forme de fusil très légères & très promptes à charger.

« Nouveaux sacs à filet. Les Dames s’étant plaint de la difficulté qu’elles avaient d’y commencer leur ouvrages, on y a remédié en faisant forcir le petit métier de dedans le coffre & le plaçant sur l’un des côtés. De plus on y a ajouté une pelote qui n’en augmente point le volume. On en trouve de fort riches & d’unis.

« Tabatières en métal de Manheim , imitant si bien l’or que le Marchand, pour éviter les abus qui pourraient se commettre par des personnes mal intentionnées en les vendant ou engageant comme de l’or, s’est cru obligé de faire frapper dans le fond : (Métal de Manheim).

« Bonbonnière à tableau mouvant représentant de petits sujets plaisants, comme le Congé des Ecoliers ; la Guinguette en désordre ; l’Apothicaire en fonction & autres sujets burlesques. Ces boîtes sont toutes galonnées en or très solidement.

« Le Sr Granchez vient aussi de recevoir du cordonnet de diverses couleurs, & de la foie de Nankin torse d’Angleterre ; des épées de Cour en acier trempée & polies. Il attend encore une infinité d’autres articles nouveaux qu’il aura soin d’annoncer. »

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