Ancêtre de l’immatriculation moderne, le numérotage des voitures publiques, qui n’avait pour but que de contrôler le service de ces véhicules, date de 1660 ; quant aux voitures privées, il arriva que leur vitesse, celle des cabriolets notamment, fût à l’origine d’accidents indisposant la population, Mercier, à la fin du XVIIIe siècle, se faisant l’écho de ces plaintes. A cette époque, pour être taxé de vitesse, il n’était pas même nécessaire de faire du 60 à l’heure. Il fallut là encore prendre des mesures contraignantes.
La rapport qu’on va lire, en date de décembre 1814, émane d’Antoine d’André, qui venait de succéder (le 3 décembre) à Beugnot comme directeur de la Police générale du royaume. Son rapport est curieux, en ce sens qu’il nous apprend que déjà les auteurs d’accidents causés par la vitesse, cherchent à se dérober aux conséquences de leur faute par la fuite. Le préfet de police ne voit qu’un moyen de réprimer cette scandaleuse pratique : numéroter les voitures privées sans exception.
Mais comment décider les propriétaires de ces voitures à se soumettre à une règle qui leur semblera humiliante ? L’exemple ne vient-il pas d’en haut ? N’est-ce pas au souverain à le donner : qu’il fasse numéroter les voitures de la cour, et le particulier n’aura plus le droit de protester contre un usage auquel le roi lui-même se plie, et le premier. Voici le rapport que, dès sa prise de fonction, d’André adressa au sujet du numérotage à Louis XVIII :
« Rapport au roi
« Sire
« Mon prédécesseur [le comte Beugnot], frappé du grand nombre d’accidents causés dans Paris par les cabriolets, a rendu, le 14 du mois dernier, une ordonnance de police qui oblige indistinctement tous les cabriolets à prendre un numéro avant le 15 du mois courant.
« Ce signe est indispensable pour pouvoir reconnaître ceux qui, après un malheur arrivé, cherchent, par la vitesse de leurs chevaux, à échapper à la surveillance et à l’action de la police.
« Beaucoup de personnes de la Cour et de la ville, les militaires surtout, répugnent à se soumettre à cette disposition qui serait bientôt éludée, comme elle l’a été tant de fois, si l’on admettait la moindre exception. La vanité continuerait alors à s’en mêler : le cabriolet bourgeois craindrait d’être, à cause de son numéro, confondu avec le cabriolet de louage et de place.
Antoine d’André, directeur de la Police générale du royaume nommé en 1814 © Société française d’histoire de la police (http://www.sfhp.fr) |
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« Votre Majesté, jalouse de montrer combien elle met de prix à la vie de ses sujets, vient d’offrir un exemple qui répondra noblement à tous les murmures de la vanité. Elle a permis que M. le marquis de Vernon, Ecuyer commandant de ses Ecuries, prît, en son nom, aux bureaux e la Police de Paris, huit numéros pour autant de cabriolets appartenant à la maison royale. Un exemple venant de si haut contribuera puissamment à la complète exécution de la nouvelle ordonnance.
« J’ose soumettre à Votre Majesté un second moyen qui ne serait pas moins efficace : ce serait qu’elle daignât ordonner qu’à dater du 15 courant, terme péremptoire pour le numérotage, nul cabriolet, sans un numéro conforme au modèle ne serait plus reçu dans la Cour des Tuileries, ni dans celle des Princes.
« Une fois que Votre Majesté aurait bien voulu donner cette consigne aux Tuileries, avec ordre d’y tenir sévèrement la main, on la publierait dans les journaux pour lui assurer plus de solennité. Je m’entendrais d’un autre côté, avec les Ministres, pour les engager à établir la même consigne, à la porte de leurs hôtels : je la prescrirais moi-même dans les autres établissements publics et à l’entrée du bois de Boulogne.
« Ainsi, par la seule force de l’opinion, sans avoir besoin de recourir à des punitions, la facile exécution d’une ordonnance nécessaire à la sûreté de chacun deviendrait un nouveau bienfait de Votre Majesté, et l’existence serait peut-être conservée chaque semaine, à plusieurs de vos sujets.
« Je suis, etc.
« Dandré.
Approuvé, Paris, le 12 décembre 1814. »
On sait qu’à Paris, les premières voitures de louage furent mises en circulation, au début du règne de Louis XIV, par Nicolas Sauvage qui était établi rue Saint-Martin vis-à-vis de la rue de Montmorency, dans une maison ayant pour enseigne l’image de Saint-Fiacre. Sauvage louait, à l’heure et à la journée, des carrosses qui prirent le nom de fiacres sous lequel on désigna longtemps les voitures de place, mais comme il ne s’agissait pas de voitures stationnant sur la voie publique, elles ne furent pas, alors, l’objet d’une réglementation spéciale.
C’est vers 1650 que plusieurs loueurs, voulant imiter l’exemple de Sauvage, sollicitèrent un privilège pour offrir aux amateurs, des carrosses de louage stationnant sur certaines places ou dans des rues déterminées. Ces carrosses conservèrent le nom de fiacres. D’autres entrepreneurs louèrent des voitures à la journée, à la semaine ou au mois, qui furent appelées carrosses de remise. Enfin, en 1662, on mit en circulation des voitures à quatre chevaux pour conduire le public aux résidences royales. On les désigna sous le titre de voitures pour la suite de la cour.
C’est alors que le lieutenant de police rendit des ordonnances pour assurer la sûreté et la tranquillité de la voie publique, la liberté de la circulation, la discipline des cochers, etc. Il fut enjoint aux loueurs d’avoir des voitures en bon état, de n’en confier la conduite qu’à des hommes âgés d’au moins 18 ans, de ne pas employer de cochers ayant fait l’objet de plaintes du public, notamment.
Il fut également prescrit d’apposer des numéros sur les voitures, afin de pouvoir les distinguer les unes des autres. On trouve, en effet, dans tous les règlements de l’époque, la disposition suivante : « On fait aussi à sçavoir que l’on a marqué tous les carrosses, et que la marque est posée au haut des moutons, aux deux côtés du siège des cochers, avec des fleurs de lis par 1, 2, 3, 4, 5, etc.
« Et ainsi on prie ceux qui pourraient avoir quelque sujet de se plaindre des cochers, de vouloir se souvenir de la marque du carrosse et d’en donner avis. Les carrosses seront toujours armoriez de la Ville de Paris, et les cochers vestus d’une casaque bleue. »
Fiacre et son cocher au XIXe siècle |
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Ces premières ordonnances ont servi de modèle et de type à tous les règlements qui, depuis cette époque jusqu’à nos jours, ont été édictés sur la police des voitures. ON peut donc affirmer que l’origine du numérotage des voitures de place date de l’époque de la création de ces voitures, c’est-à-dire de 1660.
Quant au numérotage des voitures particulières, il n’existait certainement pas sous l’Ancien Régime, mais il est non moins certain qu’il est antérieur au rapport Dandré datant de 1814. En effet, l’article 6 de l’Ordonnance du 16 pluviôse an IX (5 février 1801) prescrit que : « Les cabriolets destinés uniquement à l’usage de leurs propriétaires, ainsi que ceux tenus sous remise pour être loués à la journée, au mois ou à l’année, seront numérotés au-dessous de la capote, sur le panneau de derrière et ur les panneaux des côtés. Les numéros seront en chiffres arabes noirs de 0,08 cm. De hauteur sur 0,00678 centi-millimètres de plein, dans un carré long, fond blanc, peint à l’huile. »
Cette disposition fut renouvelée par l’Ordonnance du 29 février 1812, puis par celle du 14 novembre 1814 à laquelle se réfère le rapport Dandré. Quelques jours après, le 8 décembre 1814, une nouvelle ordonnance confirmait l’obligation du numérotage des cabriolets particuliers, en modifiant seulement la hauteur des chiffres et en remplaçant l’écusson blanc, qui avait donné lieu à des protestations, par écusson sur fond noir ne pouvant être confondu avec l’écusson des voitures de remise.
Plus tard les ordonnances des 16 juillet 1823 et du 20 avril 1843, rappelèrent la prescription du numérotage des voitures particulières.
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