LA FRANCE PITTORESQUE
De l’influence des moeurs sur
le marché littéraire de notre époque
(D’après « Revue parisienne », paru en 1839)
Publié le lundi 30 mars 2015, par Redaction
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Un moyen à la fois sûr et facile pour le moraliste de reconnaître les divers changements survenus dans le caractère, les habitudes et la situation politique d’une nation, consiste à suivre attentivement la marche et les progrès de la littérature, des sciences et des arts, affirme-t-on en 1839 dans une société dominée par les seuls intérêts financiers. Déjà...
 

Tout obéit, tout cède à l’impulsion générale, c’est-à-dire à l’empire de la mode, au goût du jour, au caprice du moment, écrit en 1839 un chroniqueur de la Revue parisienne. Plusieurs écrivains ont signalé l’influence des lettres sur les mœurs ; nous croyons au contraire que ce sont les mœurs qui influent activement sur les lettres et leur font prendre de préférence telle ou telle direction.

En effet, quel est le but principal, le but réel, le but avoué de tout auteur de bonne foi, lorsqu’il prend la plume et qu’il confie au papier le fruit de ses études et de ses réflexions ? s’interroge notre journaliste. Quel prix attend-il de tant de veilles et d’efforts ? Ce qu’il désire, ce qu’il veut avant toute chose, c’est qu’on le lise.

L'Alchimiste (1680), par David Teniers le Jeune (1610-1690)

L’Alchimiste (1680), par David Teniers le Jeune (1610-1690)

Or, pour avoir des lecteurs il faut plaire à la multitude, et le meilleur secret de lui plaire c’est d’adopter aveuglément sa manière de sentir et de voir, ses aversions, ses penchants, en un mot, jusqu’à ses faiblesses et ses erreurs. Il serait sans doute plus généreux, plus noble, plus grand, plus glorieux de donner que de recevoir des lois, d’être le guide et non le complaisant de son siècle, de frayer la route aux idées nouvelles, au lieu de se traîner à la suite de la foule moutonnière. Un privilège aussi flatteur n’appartient pas à tout le monde ; il est réservé seulement à quelques-uns de ces génies supérieurs dont la nature se montra toujours si constamment avare.

Eh bien ! que l’on se donne seulement la peine de réunir, d’examiner, de comparer avec soin les nombreux et différents sujets sur lesquels s’exerce le plus volontiers l’éloquence de nos prosateurs ou la verve de nos poètes.

On aura bientôt acquis avec nous une triste et déplorable conviction. C’est qu’aujourd’hui, plus que jamais, une pensée financière domine tous les esprits, toutes les intelligences ; on spécule en littérature comme en politique, dans les sciences et dans les arts comme dans toutes les autres branches de commerce, à la cour comme à la ville, au théâtre comme à la bourse.

Auteurs, savants, artistes, sont hommes d’affaires avant tout ; ils ne se contentent plus d’espérer l’ambroisie ; il leur faut une nourriture plus substantielle et plus solide ! C’est le profit qu’ils cherchent sur le chemin de la gloire, et quand une fois ils ont trouvé l’un ils ne s’embarrassent plus de courir après l’autre.

Aujourd’hui, sachons-le bien, tout se résume dans ce mot doré, SPÉCULATION ; et l’auri sacra fames (exécrable faim de l’or) d’Horace explique tout !

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