LA FRANCE PITTORESQUE
Presse : son évolution de
Jules César à Emile de Girardin
(D’après « Comment on devient journaliste », paru en 1910)
Publié le dimanche 6 février 2022, par Redaction
Imprimer cet article
Si le premier journal est fondé par Jules César au temps de son premier Consulat pour combattre la puissance et amoindrir le prestige du Sénat romain, l’ancêtre de la Presse moderne entre bientôt dans une longue période de sommeil, avant que l’imprimerie ne lui donne un nouveau souffle. En France, il faut attendre 1605 pour que naisse la première feuille paraissant régulièrement ; mais la Gazette de Renaudot marque en 1631 l’avènement d’une presse qui, deux siècles plus tard sera profondément transformée sous l’impulsion d’Emile de Girardin.
 

Les « journaux » sous le règne de César étaient les acta diurna, sorte de petites affiches qui relataient les faits divers, les nouvelles et comptes-rendus politiques, religieux ou théâtraux, les chroniques judiciaires, les nécrologes, etc. On y trouvait déjà des annonces. On les placardait sous les portiques, dans les carrefours ou bien encore on les distribuait chez les barbiers. Les rédacteurs s“appelaient diurnarius. La Presse romaine fit bientôt des progrès sensibles. Cicéron parle d’un certain Chrestus dont la feuille était très répandue et Sénèque se défend d’avoir envoyé aux journaux la relation de ses bienfaits.

L’Empire ne fit qu’aider à son développement. Des feuilles nouvelles parurent que composaient un grand nombre de copistes et que les riches citoyens se faisaient lire pendant leurs repas. Elles donnaient alors le bulletin des réceptions privées et leurs comptes-rendus. Il en fut ainsi jusqu’à l’invasion de l’Italie par les Barbares. Alors les journaux disparurent.

Le Moyen Age les ignora, l’invention de l’imprimerie les fit réapparaître. Ce fut à Londres en 1588 qu’apparut le journal proprement dit sous le nom d’English Mercury. En 1605, le libraire Richet fonda sous le titre de Mercure de France le premier journal qui ait eu dans notre pays une existence régulière. Cette feuille qui dura près d’un demi-siècle précéda de vingt-six ans l’apparition de la fameuse Gazette fondée en 1631 par Théophraste Renaudot et qui, devenue la Gazette des Recueils, puis la Gazette de France, parvint jusqu’au XIXe siècle, après une courte disparition pendant la tourmente révolutionnaire.

Couverture du recueil des Gazette de l'année 1631

Couverture du recueil des Gazettes de l’année 1631

Théophraste Renaudot était un modeste maître d’école, né à Loudun, qui obtint de la Faculté de Montpellier le grade de docteur. Une bonne partie de sa vie fut employée, selon la spirituelle expression de Jules Janin, « à inventer toutes sortes de choses qui ont été inventées depuis lui. » En effet, il créa les bureaux de placement, les Petites-Affiches et le Mont-de-Piété. Le cardinal de Richelieu entrevit de suite l’utilité qu’il y aurait pour le gouvernement à se servir de l’invention de Renaudot, pour répandre dans les foules son opinion sur les événements de chaque jour. Il entra en relations avec le médecin-journaliste et s’assura du concours de sa Gazette. Renaudot inaugurait ainsi une ligne de conduite peu indépendante, mais lucrative, qui du reste a été suivie de tout temps par certaines feuilles et sous tous les régimes.

Jusqu’en 1762, la Gazette de France parut une fois par semaine en huit pages petit in-quarto et était divisée en deux parties dont l’une, portant le titre de Gazette, contenait les nouvelles officielles, tandis que l’autre s’intitulait : « Nouvelles ordinaires de divers endroits ». Puis elle parut deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, en quatre pages à deux colonnes. Bien que son prix, 15 livres par an, fût assez élevé pour l’époque, elle eut un très grand succès qui provoqua assez site des concurrentes.

Trois autres feuilles furent créées : le Journal des Savants qui faisait la critique des livres, la Gazette burlesque de Loret, qui se fit une spécialité des histoires scandaleuses et enfin le Mercure galant, ensuite Mercure de France dont l’existence se prolongea de 1872 à 1825 avec une vogue inouïe. Ce fut le plus complet, le plus original, et il les éclipsa tous. Il s’occupait à la fois de politique, de critique et de chronique. Le véritable journal était né frondeur, méchant mais spirituel et brave.

Ici s’arrête la première période du journalisme ; la critique littéraire va mourir pour ne renaître que longtemps après.

La Révolution donna le signal d’une subite éclosion de journaux rédigés, la plupart du temps, par les hommes politiques les plus en évidence. Pour Paris seulement on en compte environ 790 parus depuis 1789 jusqu’en 1800. Ces innombrables feuilles vécurent peu et les plus célèbres furent le Courrier de Provence de Mirabeau, le Vieux Cordelier de Camille Desmoulins, la Patrie en danger, et enfin deux publications luttant entre elles de férocité et de cynisme ; le Père Duchesne de Hébert et l’Ami du Peuple de Marat. C’est à ce moment aussi, le 24 novembre 1789. que fut fondé le Moniteur Universel qui demeura l’organe du gouvernement jusqu’à la création du Journal Officiel.

Le 17 janvier 1800, Bonaparte supprima tous les journaux, sauf treize, puis devenu Empereur, en réduisit encore le nombre à cinq, parmi lesquels : le Moniteur et le Journal des Débats. Sous la Restauration, la situation de la Presse ne s’améliora pas beaucoup. Les seuls journaux dont la création fut autorisée étaient presque tous des feuilles royalistes, telles que la Quotidienne, le Conservateur où Chateaubriand écrivait, et le Nain Jaune qui publia des notes rédigées par Louis XVIII. Personne n’ignore aujourd’hui que Thiers suivit cet exemple et que sous le masque d’un « Vieil abonné » il fit paraître, pendant sa présidence, de nombreux et longs articles dans le Figaro.

En 1836, Émile de Girardin, député de la Creuse depuis déjà deux ans, fit paraître la Presse. Ce fut une profonde révolution dans le journalisme. Elle le démocratisa en réduisant de moitié le prix habituel de l’abonnement, et en mettant ainsi le journal à la portée du plus grand nombre. La combinaison reposait sur cette idée économique, dont le succès a constaté la justesse : « Le produit des annonces étant en raison du nombre des abonnés, réduire le prix d’abonnement à sa plus extrême limite, pour élever le chiffre des abonnés à sa plus haute puissance. » En même temps Émile de Girardin créait le roman-feuilleton en rez-de-chaussée signé d’Alexandre Dumas ou d’un autre écrivain a la mode. Il tira alors à 150 000 exemplaires, résultat inconnu jusqu’a lui. Le succès était atteint, l’œuvre de la Presse allait commencer sans qu“il soit désormais au pouvoir de personne d’en atténuer la force.

Théophraste Renaudot et Émile de Girardin. Carte maximum avec oblitération premier jour, lors de l'émission, le 1er juin 1981, d'un timbre pour le centenaire des lois sur la liberté de la presse

Théophraste Renaudot et Émile de Girardin. Carte maximum avec oblitération premier jour,
lors de l’émission, le 1er juin 1981, d’un timbre pour le centenaire des lois sur la liberté de la presse

Plus tard sous le second Empire, l’idée de Girardin fut complétée. En 1863 Moïse Millaud fonda le Petit Journal à cinq centimes et la réussite fut telle, que du premier coup, il put s’offrir le luxe de payer 100 000 francs par an un « Premier Paris » quotidien au fameux Léo Lespès, plus connu sous le nom de Timothée Trimm.

Par une coïncidence heureuse, le vote de lois plus libérales permit au nouveau journal de ne pas se maintenir exclusivement dans le domaine littéraire et son bon marche le répandit tellement dans la France entière qu’il atteignit, en peu de temps, cinq cent mille lecteurs, chiffre qui fut plus que doublé ensuite.

Tandis que Paris voyait apparaître successivement les feuilles que nous venons de citer, la province avait commencé d’avoir ses organes et quelques-uns comme le Journal du Havre (créé en 1751 sous le nom de Feuille d’annonces maritimes), le Journal de Rouen et le Journal de Maine-et-Loire créés fondés un peu plus tard. Viennent ensuite : le Courrier du Loiret (1790) ; le Journal de Lot-et-Garonne ; le Journal de Meurthe-et-Moselle ; le Journal d’Indre-et-Loire ; puis le Courrier du Pas-de-Calais, les Tablettes des Deux-Charentes, le Journal de Toulouse, le Journal du Cher, la Haute-Loire, le Journal de la Marne, l’Écho de l’Est, l’Abeille d’Étampes, l’Écho pontoisien, etc.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE