LA FRANCE PITTORESQUE
28 juillet 1789 : création du
révolutionnaire Comité des recherches,
véritable police de la pensée
(D’après « Histoire parlementaire de la
Révolution française » (Tome 3), paru en 1834)
Publié le samedi 17 janvier 2015, par Redaction
Imprimer cet article
La crise de l’été 1789 posant très tôt le problème d’une police politique destinée à déjouer les intrigues du « complot aristocratique » et à prévenir les crimes de lèse-nation, l’Assemblée constituante créa le 28 juillet 1789 un Comité des recherches pris parmi ses membres et doté de pouvoirs considérables, en particulier celui de décerner des mandats d’arrêt. Le 30 novembre suivant, lors d’une séance publique, cette entité pour laquelle « le silence, en matière de délation, est un crime sous l’empire de la liberté », expose le premier compte-rendu de ses actions.
 

Le 30 novembre 1789, la foule fut grande à désirer entendre le premier rapport du comité des recherches, le compte-rendu étant lu à l’assemblée générale des représentants de la ville de Paris par M. Agier, au nom de ce Comité créé quelques mois plus tôt par l’Assemblée constituante — cette dernière compta près de 1200 députés et siégea du 9 juillet 1789 au 30 septembre 1791 — et encourageant, louant les bienfaits d’une délation élevée au rang de comportement citoyen exemplaire...

« Messieurs, arrivés à un point remarquable de la carrière que nous avons à parcourir, nous croyons devoir à l’assemblée un compte succinct de nos travaux ; et il est satisfaisant pour nous que ce compte, rendu dans votre première séance publique, apprenne d’abord à nos concitoyens ce que vous avez fait, ce que vous ne cessez de faire pour remplir une de vos principales obligations.

Membre du Comité des recherches

Membre du Comité des recherches. Scène satirique publiée en 1790

« Chargé par vous de la fonction honorable, mais délicate, de rechercher les trames formées contre cette ville et contre l’État, votre comité a pensé qu’il était de son devoir indispensable de les scruter, de les démasquer toutes, sans distinction, ni réserve, quels qu’en puissent être les auteurs. Et, en suivant cette conduite, il a cru apercevoir clairement trois natures différentes de complots.

« L’une, qu’il faut attribuer au parti aristocrate ; et dans cette classe on doit ranger, soit le rassemblement de l’armée autour de Paris et Versailles, qui a déterminé l’heureuse insurrection du mois de juillet, soit le projet qui paraît avoir été formé depuis, de conduire ou d’emmener le roi à Metz, en levant, pour cet effet, un corps de troupes considérable, sous le nom de Gardes-du-roi surnuméraires, que l’on prétendait opposer à la garde nationale.

« La seconde espèce de complots appartient à un autre parti ; et, jusqu’à ce qu’une information juridique les ait pleinement dévoilés, il convient de tirer le rideau sur les attentats qui devaient en être le terme ; vous pouvez seulement en juger par les abominables excès commis au château de Versailles, dans la matinée du 6 octobre, et que le comité des recherches s’est cru obligé de dénoncer.

« La troisième espèce de complots paraît appartenir à tous les partis à la fois, et elle comprend tous les genres de manœuvres successivement employées pour émouvoir ou inquiéter le peuple, tels que le marquage des maisons, les faux bruits, les écrits séditieux, les motions incendiaires, et surtout les trames relatives à nos subsistances, tant à Paris qu’au dehors.

« Tels sont les divers complots qui ont dû fixer l’attention de votre comité ; et puissent ses efforts avoir répondu à votre attente ! Nous avons été secondés dans nos travaux par les membres de cette assemblée, par tous les bons citoyens, par les comités et officiers de plusieurs districts. Les renseignements nous sont venus, pour ainsi dire, de toutes mains : mais, au milieu de cette espèce d’abondance, nous avons été obligés, plus d’une fois, de reconnaître que nos moyens étaient insuffisants, particulièrement en deux points.

« L’un, est le manque d’observateurs, espèce d’armée qui était aux ordres de l’ancienne police, et dont elle faisait un si grand usage. Si tous les districts étaient bien organisés, si leurs comités étaient bien choisis et peu nombreux, nous n’aurions vraisemblablement aucun sujet de regretter la privation d’une ressource odieuse, que nos oppresseurs ont si long-temps employée contre nous. Mais il s’en faut de beaucoup que les districts et leurs comités soient parvenus à cet état d’une organisation parfaite ; et, en rendant sur cet objet à plusieurs la justice qui leur est due, nous sommes fâchés de ne pouvoir pas étendre ce témoignage à un plus grand nombre.

« Le second obstacle que nous avons rencontré dans nos travaux, vient de cette mauvaise délicatesse, reste de nos anciennes mœurs, qui fait qu’on rougit de déclarer ce que l’on fait, même lorsqu’il est question du salut de la patrie ; et cette fausse pudeur (pourquoi faut-il que je l’avoue ?) nous l’avons trouvée jusque dans des hommes respectables, que leurs fonctions semblent dévouer plus particulièrement au bien public.

« Qu’il soit permis de le dire, Messieurs ; il est temps de déposer ces préjugés, qui ne conviennent qu’à des esclaves, et sont indignes d’un peuple libre. Autrefois on abhorrait le personnage de délateur, et l’on avait raison ; car à quoi aboutissaient les délations ? A faire connaître des actions souvent très innocentes, quelquefois même vertueuses, et à livrer le prétendu coupable, ou au pouvoir arbitraire, ou à une justice presque aussi redoutable aux gens de bien, partiale dans son instruction, cruelle dans ses moyens, secrète et impénétrable dans sa marche.

Membre du Comité des recherches

Estampe satirique de 1790. Membre du Comité des recherches : « qui fait bien son métier
ne craint point les injures, il est bon quelquefois d’accrocher des ordures »

« Aujourd’hui tout a changé. Ce ne sont plus des actes de vertus ou des démarches indifférentes qu’il s’agit de dénoncer, mais des complots funestes à la patrie ; et le but des dénonciations, quel est-il ? Ce n’est point de perdre obscurément la personne dénoncée, ou de compromettre son existence, mais de l’amener devant ses pairs, pour y être examinée sur-le-champ ; renvoyée, si elle se trouve innocente, ou, dans le cas contraire, livrée à la justice, mais à une justice humaine, publique, impartiale, qui ne peut être terrible qu’aux malfaiteurs.

« Cessons donc d’appliquer, par une fatale prévention, au temps actuel ce qui n’appartenait qu’à l’ancien régime, et ne déshonorons pas le règne de la liberté par les flétrissures de l’esclavage. Le silence, en matière de délation, est vertu sous le despotisme ; c’est un crime, oui, c’en est un sous l’empire de la liberté.

« Ces obstacles ont nécessairement ralenti les opérations de votre comité des recherches : mais il en a triomphé par sa persévérance ; et, malgré son défaut de moyens, il croit, en ce moment, tenir les principaux fils des conspirations tramées contre la tranquillité publique. »

S’ensuivait l’état de tous les procès actuellement soumis au tribunal national, et dénoncés par le procureur-syndic, au nom de la Commune.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE