LA FRANCE PITTORESQUE
Pistolet
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Publié le samedi 20 décembre 2014, par Redaction
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Homme sans tenue, sans consistance, ou dont on fait peu de cas, un importun, un fâcheux, un mauvais plaisant, quelquefois un original
 

On dit : c’est un drôle de pistolet. On ne voit cependant pas l’analogie qui existe entre ce personnage et un pistolet, ni comment on peut l’assimiler en idée à cette arme à feu. On peut dire tout au plus que ce que le pistolet est au canon, ce personnage l’est à un homme d’importance et de poids ; mais cette découverte étant juste au niveau des efforts qu’on a déployés pour la faire, est immédiatement au-dessous de rien. Il est donc inutile de s’en prévaloir.

Remarquons d’abord qu’en 1569, le philologue et helléniste Henri Estienne (1528-1598) a presque prédit l’emploi singulier qu’on fit plus tard de ce mot. Il critique la manie de son temps, d’emprunter des mots à l’étranger et d’en faire des applications ridicules, puis il ajoute : « A Pistoye, petite ville qui est à une bonne journée de Florence, se souloyent faire de petits poignards, lesquels estants par nouveauté apportez en France, furent appelez du nom du lieu premièrement pistoyers, depuis pistoliers, et en la fin pistolets. Quelque temps après estant venue l’invention des petites harquebuses, on leur transporta le nom de ces petits poignards. Et ce povre mot ayant esté ainsi pourmené longtemps, en la fin encores a esté mené jusques en Espagne et en Italie, pour signifier leurs petits escus. Et croy qu’encores n’a-t-il pas faict, mais que quelque matin les petits hommes s’appelleront pistolets et les petites femmes pistolettes. » (De la conformité du langage français avec le grec)

Si aujourd’hui l’on n’appelait ainsi effectivement que les petits hommes, la prédiction d’Henri Estienne serait accomplie. Mais il n’en est pas ainsi, et sa prédiction ne s’accomplit pas, ni de son temps, ni même un siècle plus tard. On ne trouve en effet ce mot ainsi entendu ni dans Nicot — Jean Nicot, philologue du XVIe siècle et introducteur du tabac en France —, ni dans Cotgrave — Randle Cotgrave, lexicographe anglais mort au début du XVIIe siècle, qui publia le premier dictionnaire français-anglais. Si d’ailleurs la petitesse n’est pas un obstacle à cette appellation, elle n’en est pas la cause première, et l’idée que nous nous faisons d’un pistolet porte sur le caractère et les mœurs de l’individu, et non sur sa stature.

Ainsi, sans songer aucunement à Henri Estienne ni à sa prophétie, nous avons tiré l’expression dont il s’agit d’une autre source, et cette source est prestolet. Comme pistolet, prestolet implique une idée de dénigrement et de mépris :

Ce petit pédant prestolet
... La bile excite,

a dit Voltaire. Mais pistolet est d’une acception beaucoup plus étendue ; car si ce mot ne s’applique plus exclusivement, comme prestolet, aux membres du clergé d’une conduite légère, il va directement à l’adresse de tous les originaux et fâcheux, à quelque condition qu’ils appartiennent. Ce n’est guère qu’à la fin du XVIIe siècle qu’on a dit prestolet. On disait auparavant prestolin. « Ce que voyant un colporteur, il dit à l’espicier, en riant : Vous avez donné le fait au prestolin ; le voilà penaud comme un fondeur de cloches. » (Les Contens et Mescontens sur le sujet du temps, dans le tome V des Variétés)

Et nous lisons dans Rome ridicule, de Saint-Amant, stance 76 :

Nous rencontrerons quelque garce
En équipage masculin,
Qui, suivant quelque prestolin,
Nous donnera sujet de farce.

Prestolet ou prestolin est, de l’avis de quelques-uns, un diminutif de prêtre ou prestre, comme on l’écrivit d’abord. Cette opinion est soutenable. Nous devons pourtant tenir compte de cette autre qui faisait venir prestolin de prestolant, mot encore en usage au XVIe siècle, et rendu, dans Cotgrave par a steward, or overseer, économe ou surintendant. Certains ecclésiastiques, dans les communautés régulières et séculières, exerçaient en effet les fonctions attribuées à cette sorte d’officiers, primitivement laïques.

Oudin, dans son Dictionnaire italien, traduit prestolant par podesta. Praestula, en basse latinité, signifiait un morceau de parchemin suspendu par un fil ou autrement à une charte, et sur lequel on appliquait le sceau. De praestula on a fait praestulanus, d’où prestolant, ou le juge ou intendant qui met son sceau sur la minute d’un arrêt ou d’une pièce quelconque émanée de la justice seigneuriale.

Il est étrange que prestolus ne figure ni dans Ducange ni dans ses additions. Ce mot appartenait évidemment à la langue de l’Église ; l’exemple suivant, tiré de Bonaventure Des Périers, en est une preuve : « Or çà, dit-il, vos régents de Paris sont grands latins. Que je voye comment ils vous ont apprins. Puis que vostre père veut vous faire prestre, j’en suis bien aise ; mais dites-moy un peu en latin un prestre ; vous le debvez bien sçavoir ? —Le jeune filz luy respondit sacerdos. — Eh bien, dit le curé, ce n’est pas trop mal dit ; car il est escrit : Ecce sacerdos magnus ; mais prestolus est bien plus élégant et plus propre ; car vous sçavez bien qu’un prestre porte l’étole. » (Contes et joyeux Devis, nouvelle XXIII)

Cette étymologie est donnée par un curé de village ; elle n’en est pas moins une preuve qu’on traduisait au XIIIe siècle, prêtre, par prestolus. D’où prestolinus et naturellement prestolin.

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