LA FRANCE PITTORESQUE
Pique-nique
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Publié le vendredi 5 mars 2021, par Redaction
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En 1856, le philologue François Génin propose une étymologie à rebours de celle aujourd’hui retenue par l’Académie française dans la dernière édition (commencée en 1992) de son Dictionnaire, et s’étonne de voir les Immortels affubler le mot pique-nique d’un s à nique au pluriel...
 

Le Manuel lexique des mots dont la signification n’est pas familière à tout le monde (Didot, 1755) l’appelle « un terme de société d’origine obscure ». L’article du Dictionnaire de l’Académie, édition de 1778, est ainsi libellé : « PIQUE-NIQUE. Façon de parler adverbiale, qui n’a d’usage que dans ces phrases : Souper à pique-nique, faire un repas à pique-nique, pour dire faire un repas où chacun paie son écot. On l’emploie aussi substantivement : Faire un pique-nique. »

Tout le monde sait, explique Génin, ce que c’est qu’une pique entre deux personnes, deux amis : Il y a de la pique entre eux.

Nique, faire la nique, est d’origine allemande. Nick, en allemand, est un clin d’œil ; nicken, faire ce clin d’œil, cligner de l’œil à quelqu’un en signe de moquerie ou de mépris. Le français disait nique et niquet. « Perrin Cohen fist au suppliant, en soi mocquant de luy, le niquet. » (Lettre de rémission de 1458. Du Cange, sous NIQUETUS)

Le pique-nique. Illustration de Germaine Bouret (1907-1953)
Le pique-nique. Illustration de Germaine Bouret (1907-1953)

Supposons un moment que le verbe niquer existât en français comme nicken, en allemand, explique Génin, on aurait pu faire la phrase suivante : Tu me PIQUES, je te NIQUE, partant quittes. Eh bien ! C’est justement le sens de ce mot à pique-nique, locution faite comme A bon chat bon rat, autrement dit : A bien attaqué bien défendu.

C’est partie et revanche ; c’est l’expression de l’équilibre, de l’égalité entre les parties. Dîner, souper à pique-nique, c’est faire un repas dans lequel aucun des convives n’est redevable de rien à son voisin, attendu que chacun paie le même écot. L’équilibre y est aussi juste qu’entre pique et nique, dont l’un vaut l’autre, même matériellement, par la rime et par le nombre des syllabes.

En 1778, lorsque cette locution était encore peu ancienne dans la langue, elle avait le plus souvent la forme adverbiale à pique-nique ; cependant on commençait à dire substantivement un pique-nique, ellipse de un repas fait à pique-nique. Ce substantif s’étant définitivement établi, a conduit à dire en pique-nique : Ils ont soupé en pique-nique. Cela s’entend et se justifie de soi seul. Et la forme première à pique-nique est tombée en désuétude et en oubli.

Il est bien étrange, s’étonne François Génin, que le Dictionnaire de l’Académie, édition de 1835, impose comme pluriel des pique-niques, avec un s à nique, comme on écrit des chasse-mouches : « PIQUE-NIQUE. Repas où chacun paye son écot. Voulez-vous faire un pique-nique ? Nous avons fait plusieurs pique-niques le mois dernier. » Que s’est donc alors imaginé l’Académie sur cette expression ? A-t-elle cru qu’il s’agissait de piquer des niques, s’amuse Génin ?

De fait, l’explication fournie par la 9e édition (commencée en 1992) du Dictionnaire de l’Académie, est la suivante : « PIQUE-NIQUE (pl. pique-niques). Composé de pique, forme conjuguée de piquer, et de nique, au sens de petite chose sans valeur. Vieilli. Repas pour lequel chacun paie son écot ou apporte son plat. Auj. Repas pris en commun, en plein air. Faire un pique-nique. Une aire de pique-nique. Un panier à pique-nique. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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