C’est à Louis XIV que nous devons la citation de l’Académie de danse ; le maître à danser du roi, le maître à danser de la reine, le maître à danser de Monsieur, le maître à danser du Dauphin, et cinq ou six autres, en furent les premiers membres.
On sait que ce roi aimait avec passion les ballets, travestissements, mascarades et féeries ; qu’il y jouait un rôle avec les princes, les princesses, ducs, duchesses, etc., et qu’il n’était pas un des plus mauvais danseurs de la troupe titrée. Mais l’art tombait en décadence, les seigneurs dansaient mal ; peut-être étaient-ils rebutés par les succès des artistes qu’on mêlait dans leurs rangs. Louis XIV eut donc recours à la création d’une académie en 1661, « parce que, dit-il dans ses lettres patentes, l’art de la danse a toujours été reconnu l’un des plus honnêtes et des plus nécessaires à former le corps aux exercices, par conséquent l’un des plus utiles à notre noblesse, non seulement en temps de guerre dans nos armées, mais encore en temps de paix dans nos ballets. »
Néanmoins il ne paraît pas que la nouvelle académie ait eu grande influence sur les seigneurs, tandis qu’au contraire on vit bientôt apparaître une armée de danseurs dont les noms ne sont pas oubliés, et qu’on retrouve dans les mémoires et les écrits du temps, tels que Pécourt, Beauchamps, Blondy, Feuillet, Desaix, Ballon, etc. Pécourt a composé plusieurs danses : la bourrée d’Achille, le rigaudon des vaisseaux et autres, recueillies et écrites par Feuillet et Desaix, dans le Traité de chorégraphie publié au commencement du dernier siècle.
Ballon et Blondy furent des modèles pour les artistes qui leur succédèrent ; le premier excellait, dit-on, dans les chaconnes. On trouve quelquefois sur les quais une grande gravure représentant mademoiselle de Camargo. L’inscription rappelle que cette danseuse, par son talent original, a surpassé les Ballon, les Blondy.
Lorsque mademoiselle Cupis de Camargo, d’une famille noble d’origine espagnole, apparut sur la scène, elle fut reçue avec une telle admiration qu’elle donna son nom à toutes les modes nouvelles. Ce qui la distinguait surtout était sa grande légèreté et sa gaieté folle : elle avait su se créer un genre de verve et de caprice. Elle dansait véritablement pour son plaisir ; c’est elle qui, la première, a battu des entrechats, mais seulement à quatre ; depuis on les a fort perfectionnés, car on raconte qu’un danseur les a frottés à seize en avant.
La Camargo, forcée, par la jalousie de mademoiselle Prévot, de rester parmi les figurantes malgré son éclatant début, se lança de nouveau sur la scène dans un moment d’enthousiasme. On figurait une danse de démons ; l’acteur principal manque son entrée en scène ; et cependant l’orchestre faisait ronfler l’air du solo : murmures du parterre, tapage ; embarras des acteurs ! Mais voilà que la jeune débutante, saisie d’une heureuse inspiration, saute au milieu du théâtre, et improvise de verve un pas espagnol qui transporte d’admiration les spectateurs malcontents.
La Camargo, entrée à l’Opéra en 1726, âgée de seize ans, le quitta en 1751. Elle a eu l’honneur d’être célébrée par Voltaire, qui la compare à une autre danseuse aussi célèbre :
Ah ! Camargo, que vous êtes brillante !
Mais que Sallé, grands dieux, est ravissante !
Que vos pas sont légers, et que les siens sont doux !
Elle est inimitable, et vous êtes nouvelle :
Les Nymphes sautent comme vous,
Et les Grâces dansent comme elle. |
Mademoiselle Sallé, dont l’histoire n’est point aussi romanesque que celle de mademoiselle de Camargo, qui n’avait point comme elle pour oncle un grand inquisiteur d’Espagne, possédait un genre de danse tout à fait différent de celui de son émule ; c’était un genre noble et gracieux, sans sauts ni entrechats. Elle ne se borna pas à faire les délices des parisiens, et courut la chance du théâtre de Londres. Jamais danseuse ne reçut une marque plus positive de l’admiration du public. Le jour de sa représentation à bénéfice, elle fut accablée d’une grêle de bourses pleines d’or et de guinées enveloppées dans des billets de banque, qui formèrent, dit-on, un total de 200,000 francs.
En même temps que ces deux nymphes, brillait sur la scène le grand Dupré ; c’est lui qui a précédé Gaëtan Vestris. Il avait une taille magnifique et un port plein de dignité.
Lorsque le grand Dupré, d’une marche hautaine,
Orné de son panache, avançait sur la scène,
On croyait voir un dieu demander des autels,
Et venir se mêler aux danses des mortels.
DORAT |
Dupré était de première force dans les chaconnes et passacailles ; Noverre l’appelle quelquefois le Dieu de la danse, à cause du moelleux de ses mouvements. Pendant trente ans, il demeura le premier d’entre les danseurs, et il fut remplacé par Gaëtan Vestris : celui-ci, à son tour, a régné plus d’un demi siècle sur l’Opéra, qu’il n’a abandonné définitivement qu’en 1800.
Beaucoup de gens se rappellent encore avoir vu danser Vestris le père, et avoir admiré sa noblesse et sa grâce. On a conservé de lui une foule de reparties qui témoignent de l’importance qu’il attachait à son art. On l’appelait le beau Vestris ; il donna lui-même à son fils Auguste le titre de Diou de la danse. « Si Auguste est plus fort que moi », disait-il, « c’est qu’il a pour père un Gaëtan Vestris, avantage que la nature m’a refusé. »
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