LA FRANCE PITTORESQUE
Aulnoy (Madame d’)
(D’après un article paru en 187)
Publié le mercredi 13 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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En 1694, les Contes en vers de Perrault avaient paru pour la première fois, édités en Hollande. Quatre ans plus tard, Claude Barbin, qui les avait réimprimés, en fit connaître d’autres à son nombreux public : Carpillon, la Biche au bois, la Chatte blanche, la Princesse Belle-Etoile, le Prince Marcassin, etc., sans révéler autrement que par une initiale le nom déjà connu de leur auteur, Mme d’Aulnoy.

L’oiseau bleu, « couleur du temps », était une sorte de phénix qui ne devait apparaître qu’aux derniers jours. Dès lors, le royaume de la féérie fut ouvert, et les merveilles d’un monde enchanté aidèrent parfois à oublier les tristes réalités des derniers jours du règne de Louis XIV.


Mme d’Aulnoy,
l’auteur des Contes,
d’après une estampe
du XVIIe siècle

On recueillit avec une sorte de passion ces traditions populaires, parfois charmantes ; des imaginations aimables surent aussi créer des légendes nouvelles ; on s’embarrassa fort peu, du reste, de ceux qui les avaient fait revivre ou qui les avaient inventées. Les auteurs de ces petits chefs-d’oeuvre ne les signaient point et furent souvent complètement oubliés. Ce ne fut qu’au bout de cent cinquante ans, par exemple, que le nom de Mlle Lhéritier, la conteuse spirituelle à laquelle on doit l’Adroite Princesse, fut connu, grâce à l’un de nos savants les plus graves ; celui de Perrault, son oncle, l’avait fait oublier.

La Harpe n’avait pas commis cette injustice à l’égard de la femme charmante dont nous reproduisons un portrait peu connu ; mais s’il lui accorde une place à part entre les conteurs dont il trace rapidement l’histoire, s’il la loue avec une sorte de complaisance qui ne lui est pas habituelle lorsqu’il s’occupe des écrivains secondaires, il nous laisse dans une ignorance complète sur sa vie. En cela les biographies ne l’ont que trop bien imité. Nous allons essayer de combler cette lacune, en redisant que l’Oiseau bleu, si populaire, la Belle aux cheveux d’or et Finette Cendron, sont des contes délicieux qu’on n’oubliera jamais.

Marie-Catherine de Berneville, comtesse d’Aulnoy, naquit à Paris en 1650. Son père, Le Jumel de Berneville, avait longtemps servi dans les armées de Louis XIV, et était allié aux meilleures familles de la Normandie, puisqu’il comptait au nombre de ses parents les d’Estouteville, dont l’origine remonte au onzième siècle, et qui ont rempli parfois un rôle si important dans l’histoire. Née de parents opulents, la mère de Mme d’Aulnoy était une personne de vive intelligence, fort au courant des choses de la cour ; elle perdit son mari de bonne heure et épousa en secondes noces le marquis de Gudaigne, qui tenait à ces Thiard dont saint Simon dit tant de bien et de mal à la fois. Mme de Gudaigne fut emmenée par son mari à Rome, et là elle rendit de notables services à la cour de Madrid, qui ne l’oublia jamais. Nous ne pouvons affirmer que la jeune Catherine de Berneville suivit sa mère en Italie ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle dut la retrouver en Espagne, où, comblée, dit-on, des faveurs de Philippe IV et de Charles II, elle demeura jusqu’en 1753, époque de sa mort.

Nous n’avons pas de renseignments positifs sur l’époque à laquelle Catherine le Jumel de Berneville se maria. Son mari, François de la Mothe, comte d’Aulnoy, était originaire de la province où la famille de Berneville avait ses biens. Après son mariage, il fut accusé par trois Normands du crime de lèse-majesté. Une procédure s’ensuivit, et le comte d’Aulnoy faillit voir se tourner d’une façon tragique l’action au criminel qui lui était intentée. Il recouvra sa liberté, grâce, dit-on, au remords de l’un de ses accusateurs. Sa sortie de prison ne rendit pas plus facile l’existence de la femme charmante à laquelle son sort était lié, si l’on s’en rapporte aux insinuations par trop discrètes de saint Evremond. Non seulement il dissipa sa fortune, mais il entama celle de sa femme. Mme d’Aulnoy devint veuve vers 1681. Une lettre de saint Evremond, écrite après la mort du comte d’Aulnoy, moins pour la consoler que pour lui donner d’affectueux conseils, se termine par une phrase assez rassurante quant à la position de fortune que devait conserver la comtesse : « Ma consolation, lui dit-il, est que vous aurez toujours assez de bien pour vous passer de celui qu’il vous devait. » (voir Oeuvres mêlées de saint Evremond, tome III).

A trente ans environ, et par conséquent à une date bien rapprochée de celle où elle avait entrepris son voyage en Espagne, Mme d’Aulnoy se voyait veuve avec quatre filles, dont l’une, à ce qu’il paraît, était d’une grande beauté (c’est du moins le Mercure galant qui aime à le constater, tout en parlant du charme de la mère). Cette belle personne ne tarda pas à épouser M. Préaux d’Antigny, gentilhomme du Berry. L’aînée des trois soeurs avait hérité de l’esprit de leur mère déjà célèbre, et qui voyait chaque jour s’accroître une réputation dont maint recueil contemporain fait foi.

Mariée vers la même époque que Mme d’Antigny, elle se fit connaître dans les lettres sous le nom de Mme Héere ; elle faisait grande figure, et on lui adressa maint madrigal ; elle est nommée dans la Nouvelle Pandore, de Vertron, comme une des illustres femmes du temps. Les deux autres filles de Mme d’Aulnoy ne se marièrent point ; l’une d’elles resta à Madrid aurpès de sa grand-mère, Mme de Gudaigne.

Nous supposons, non sans quelque raison, que la dernière de toutes, environnée des beaux esprits de la cour, ne résista pas au désir de faire parler d’elle dans le monde lettré. Nous avons trouvé, dans un recueil de mélanges faisant partie de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, un petit volume, imprimé en 1703, qui pourrait être de sa façon ; il est intitulé : Histoire véritable de M. Duprat et de Mlle Angélique, par Mlle Daunois. Cet opuscule ne sort pas du commun des ouvrages que Barbin publiait en si grand nombre en ce temps ; une légère modification dans l’orthographe du nom nous empêche toutefois d’affirmer que l’auteur soit une des filles de la célèbre comtesse.

Le témoignage de saint Evremond, les paroles recueillies dans les écrits de plusieurs auteurs contemporains, prouvent assez de quelle estime jouissait Mme d’Aulnoy dans la haute société du dix-septième siècle. Rien n’était égal au charme de sa conversation, nous dit l’un d’eux, et c’est pour cela que l’Académie des Ricovrati de Padoue, qui l’avait admise comme la septième femme célèbre parmi ses membres, l’avait surnommée l’Eloquente : elle y portait aussi le nom de Clio, et y représentait la muse de l’histoire.

Cependant cette femme, dont la réputation s’était étendue même en pays étranger, vivait assez retirée dans le faubourg Saint-Germain, non loin de la vieille église de Saint-Sulpice, qu’on remplaçait alors par celle que l’on voit aujourd’hui.

Quand elle écrit à la princesse de Conti, qui goûtait fort ses contes, elle y parle de sa solitude ; mais nous savons que cette solitude était parfois très animée ; que la maîtresse du lieu, d’ailleurs fort enjouée, y recevait la meilleure compagnie, et qu’elle faisait merveilleusement les honneurs d’un salon où l’on voyait se succéder Mmes Deshoulières mère et fille, les comtesses de Murat, les dames de Brettenvilliers, les Lhéritier de Villandon, et tant d’autres femmes spirituelles dont la renommée, fort affaiblie de nos jours, était brillante à cette époque.

Cette période fut celle de la plus grande activté littéraire de Mme d’Aulnoy. Déjà fort connue, grâce à son agréable Voyage en Espagne qui avait déjà paru en 1691, elle avait donné les Mémoires des aventures de la cour de France en 1692, et ceux de la cour d’Angleterre en 1695 ; à ces livres avaient succédé les Mémoires secrets de plusieurs grands princes de la cour (Paris, 1696), puis une seconde édition de Kemiski la Georgienne, donnée en 1699.

Un fait à constater ici et qui prouverait en faveur de la modestie de notre aimable conteuse, c’est qu’aucun de ses livres ne porte son nom, pas même ce fameux Hippolyte, comte de Douglas, qui charma une partie du règne de Louis XIV, et que l’on a si souvent réimprimé. Mme d’Aulnoy mourut dans le mois de janvier de l’année 1705, et fut enterrée à Saint-Sulpice.

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