LA FRANCE PITTORESQUE
Lakanal (Joseph)
(D’après un article paru en 1884)
Publié le mercredi 13 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Né à Serres, petit village situé à sept kilomètres de Foix, le 14 juillet 1762, il fut élevé par son oncle l’abbé Font, et entra au collège des Pères de la doctrine chrétienne ; de bon élève il ne tarda pas à devenir maître ; il fut professeur de rhétorique à Bourges, en 1789.

La plupart de ses biographes le perdent de vue a partir du moment où il était professeur à Moulins, et le font passer sans transition du collège de Moulins à la Convention nationale ;ils ignorent généralement que l’oncle de Lakanal, l’abbé Font, fut envoyé par l’ordre du clergé aux États généraux de 1789, qu’il devint évêque constitutionnel, et que Lakanal le suivit à Pamiers, en qualité de vicaire épiscopal. C’est dans ces circonstances que ses concitoyens, qui avaient pu l’apprécier, le désignèrent pour les représenter à la Convention. Il avait alors trente ans.

Maison où est né Lakanal, à Serres. D'après une photographie de M. Loubaigné.

Maison où est né Lakanal,
à Serres. D’après
une photographie de M. Loubaigné.

Dans une première mission aux départements de l’Oise et de Seine-et-Oise, Lakanal fut frappé de voir que des paysans entraînés par un fanatisme aveugle se livraient à de déplorables dégradations sur les monuments de l’architecture féodale et religieuse. Dès son retour à l’assemblée, il poussa un cri d’alarme, et, sur son rapport, la Convention prononça la peine de deux ans de fers contre quiconque dégraderait « les monuments des arts dépendant des propriétés nationales. »

Un des titres supérieurs de Lakanal est la création du Muséum d’histoire naturelle et le développement du Jardin des plantes, qui, créé par Guy de la Brosse, développé par Buffon, n’occupait alors que la moitié de l’emplacement qu’il a aujourd’hui. Un jour, Lakanal les réunit, et rédigea en une nuit le rapport qu’il présente le lendemain à la Convention et d’où sortit le Muséum d’histoire naturelle. Lakanal fît aussi créer la ménagerie du Jardin des plantes. Celui-ci obtint de la Convention la construction de quelques loges, et par un décret du 11 décembre 1794, la ménagerie du Jardin des plantes fut organisée.

Dans un autre ordre d’idée, on voit Lakanal s’occuper d’une question qui intéresse encore vivement les artistes et les hommes de lettres, celle de la propriété de leurs oeuvres. Par suite de la loi du 19 juillet 1793, les droits de la propriété intellectuelle et artistique furent pour la première fois proclamés par le législateur.

Lakanal a aussi puissamment contribué à l’établissement du télégraphe aérien. Les premiers essais télégraphiques, commencèrent en 1793. Trois postes avaient été établis. Les expériences durèrent trois jours et eurent un plein succès ; en présence de ces résultats, la Convention prescrivit la construction d’une série de postes télégraphiques. Chappe voyait enfin se réaliser ses espérances, et il écrivait à son protecteur : « Grâces vous soient rendues mille fois ; vous avez triomphé de tous les obstacles... Je ne puis vous offrir que ma profonde gratitude, mais elle ne périra qu’avec moi. »

Les anciennes académies furent supprimées avant d’être réorganisées sous le nom d’Institut ; mais, sur la proposition de Lakanal, on fit une exception en faveur de l’Académie des sciences, dont les membres continuèrent à s’assembler dans le lieu ordinaire de leurs scéances.

Statue de Lakanal, à Foix, par M. Picault.

Statue de Lakanal, à
Foix, par M. Picault.

En décembre 1793, Lakanal reçut une mission importante dans les départements de la Dordogne, du Lot, du Lot-et-Garonne et de la Gironde ; il y déploya une activité extraordinaire. La famine qui sévissait sur ces départements était aggravée par la difficulté des communications : Lakanal décida que pendant trois jours la population entière de la Dordogne se mettrait à l’oeuvre pour réparer les chemins. « Les hommes, disait l’arrêté, iront chercher les pierres, les briseront, creuseront les fossés ; les femmes et les enfants chargeront les brouettes, étendront le cailloutage, les vieillards encourageront les travailleurs par leur présence et leurs suffrages ; hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, tous travailleront. Ici, la patrie met en faction tous les citoyens. »

Lakanal se montra administrateur actif et éclairé : à Bergerac, il organisa une fabrique d’armes qui rendit les plus grands services, et en même temps il créa une commission d’instruction sociale, ayant un journal, et un comité ayant pour mission « de visiter la chaumière du pauvre pour y apporter l’instruction et l’amour de la patrie. »

L’honneur de la fondation de l’École normale ne saurait être contesté à Lakanal ; il pensait que ce qui importait le plus était de créer un personnel de professeurs. « Dans ces écoles, disait-il, ce n’est pas les sciences que l’on enseignera, mais l’art de les enseigner... », « Pour la première fois, ajoutait-il, les hommes les plus éminents par la science et le talent seront les premiers maîtres d’école d’un peuple. » Lakanal organisa les différents degrés de l’enseignement public ; au premier degré, les écoles primaires, qui étaient selon lui « la dette de la patrie envers chacun de ses enfants. »

Ses écoles du premier degré devaient être assez nombreuses pour que chaque enfant pût y puiser les connaissances indispensables à l’exercice de toute profession. Le premier degré d’enseignement était ouvert gratuitement à tous. Au-dessus de ce premier degré d’enseignement, Lakanal créa dans chaque département une école centrale où l’on devait enseigner les éléments de toutes les sciences, et, « pour la gloire de la patrie, pour l’avancement de l’esprit humain », il voulait ouvrir la porte de ces écoles à tous ceux qui étaient aptes à en profiter ; ce n’était pas autre chose que nos lycées actuels. Comme couronnement de cette oeuvre, l’Institut fut créé, et les anciennes académies, un instant supprimées, ne tardèrent pas à être reconstruites et rajeunies.

Lakanal, appelé à faire partie de l’Académie des sciences morales et politiques, « fut élu, dit M. Miguet, non pour ses livres, mais pour ses actes. » Quatre départements désignèrent Lakanal pour les représenter au conseil des Cinq-Cents, mais aux élections suivantes il déclina toute candidature ; réélu malgré ce refus, il persista dans sa résolution. Il écrivit : « Lorsque les armées ennemies étaient aux portes de la capitale, j’ai accepté les fonctions périlleuses de représentant du peuple. Aujourd’hui, je me retire à l’écart avec mes livres et quelques amis, les seuls biens dont mon coeur soit avide. »

Cependant le gouvernement du consulat fit appel à son patriotisme, et l’envoya à Mayence pour ramener à la France les populations des provinces rhénanes. En quatre mois, il avait transformé la situation. Après cette mission, il n’eût tenu qu’à lui d’entrer dans la voie des honneurs. « Les services importants que vous avez rendus à tant d’hommes distingués, lui écrivait Bonaparte, vous mériteront dans tous les temps des droits à l’estime des hommes. Vous pouvez compter sur le désir que j’ai de vous en donner des preuves. » L’ancien représentant du peuple se contenta d’une simple place de professeur de latin dans une de ces écoles centrales qu’il avait fondées.

Plus tard, après avoir pris sa retraite de professeur, il occupa le modeste emploi d’inspecteur des poids et mesures. Les événements de la Restauration l’obligèrent à quitter la France, et il se rendit en Amérique où le président Jefferson lui avait concédé une terre au Tombechbee, dans l’Alabama ; mais, en même temps, on lui offrit d’organiser l’Université de la Nouvelle-Orléans et d’en conserver ensuite la présidence : il accepta. Dix ans après, cette Université étant florissante, il estima que sa tâche était terminée, et se retira en 1825. Il alla s’établir dans la baie de Mobile où il devint un véritable colon et un botaniste passionné. Dans cette retraite éloignée, après juillet 1830, il reçut la nouvelle que l’Académie des sciences morales et politiques était rétablie, et en 1834, par un vote unanime, Lakanal fut appelé à reprendre sa place à l’Institut. « A présent, s’écria-t-il, je puis revenir, car je rentrerai par la porte d’honneur ! »

Ce ne fut qu’en 1837 qu’il put revoir Paris ; il avait alors soixante-quinze ans. Ses dernières années se passèrent au milieu de l’Institut. L’Académie des sciences morales et politiques l’avait élu vice-président le 6 décembre 1843, et il devait en être le président l’année suivante ; mais il refusa cet honneur en disant : « A quatre-vingt-deux ans, lorsqu’on cherche la représentation, on perd en dignité ce qu’on gagne en ridicule. La Rochefoucaud a dit : Il y a peu de gens qui savent être vieux. J’ai médité cette maxime. »

Peu de temps après, Lakanal prit froid en sortant d’une séance de l’Institut, et ses forces diminuèrent rapidement. Prenant la main du docteur Lélut, il lui disait : « Je n’ai plus rien à faire dans la vie, il ne me reste qu’à la bien quitter... » « Je vais, ajoutait-il, chercher le mot d’une grande énigme... Je crois à la Providence. Qu’est-ce que c’est ? Je ne le sais pas bien, mais je me présenterai avec confiance devant elle. Je n’ai de regret en rien de ce que j’ai fait, et je verrai arriver sans crainte le moment de m’en expliquer. » Lakanal mourut le 14 février 1845. Ses compatriotes de l’Ariège se réunirent pour élever un monument en sa mémoire en 1882.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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