LA FRANCE PITTORESQUE
Peiresc (Nicolas-Claude Fabri de)
(D’après un article paru en 1836)
Publié le mercredi 13 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Peiresc, antiquaire, historien, naturaliste, médecin, jurisconsulte, voyageur ; Peiresc, le protecteur et l’ami de tous les savants de son siècle, et appelé par Bayle le procureur-général de la littérature, est aujourd’hui presque oublié. Peu d’existences ont été cependant plus belles et mieux remplies que la sienne. Sa famille, originaire de Pise, était, depuis le règne de saint Louis, établie en Provence, où elle occupait un rang distingué.

Buste de Peiresc, par Francin

Buste de Peiresc, par Francin

Il vint au monde le 1er décembre 1580. Sa naissance fut accueillie comme une faveur du ciel par son père et par sa mère, qui désespéraient d’avoir jamais d’enfants. La précocité de son esprit fut des plus remarquables. A l’âge de seize ans, ayant terminé ses études au collège de Tournon, il partit pour l’Italie, où il se lia avec Pinelli, Fra-Paolo, Baronius, d’Ossat ; enfin avec tout ce qui s’y trouvait d’hommes illustres dans les sciences, les lettres et les arts. La passion instinctive qu’il avait montrée dès son enfance pour toutes les parties de la science acheva de s’éclairer par l’étude des Anciens et le commerce des savants modernes.

Nous ne le suivrons pas dans les divers voyages qu’il entreprit après avoir terminé ses études de droit à Montpellier ; nous ne parlerons pas non plus de ses relations avec tous les hommes célèbres de son temps. Un tel récit ne serait rien moins que la statistique complète de la république des lettres à cette époque, grossie de toute la série contemporaine du dictionnaire historique, le tout enrichi des cartes d’Italie, de France, de Hollande et d’Angleterre.

Bien jeune encore, mais homme depuis longtemps, on le voit dans le cours de ses voyages, exercer déjà l’autorité d’un génie auquel nul n’est tenté de demander son âge. A Leyde, il fait remarquer à Lécluse octogénaire des erreurs échappées dans sa description des plantes de l’Inde. A Delft, il corrige les travaux numismatiques de Gorlaeus. C’est alors que, rappelé en France par ses parents, il refusa une riche héritière, pour pouvoir consacrer sa vie entière à la science. Des faveurs dont sa famille et l’Etat cherchaient à l’entourer, il n’accepta que la charge de conseiller au parlement d’Aix, charge dont ses ancêtres avaient été en possession depuis le règne de François Ier.

Si le magistrat rendit alors le savant plus sédentaire, il n’ôta rien à ce dernier de son activité. Ce qu’il ne pouvait plus faire par lui-même, il le faisait exécuter par des émissaires qu’il entretenait en Grèce, en Syrie, en Egypte, et jusque dans le Nouveau-Monde, et dans les Etats barbaresques. Ces délégués étaient chargés de lui envoyer des manuscrits et des livres d’art, des plantes et des animaux peu connus. Ces occupations ne faisaient point languir sa correspondance avec tous les savants et les consuls de l’Europe. Son habitation était un véritable musée, image de son cerveau ; il avait à ses gages un graveur, un sculpteur, un relieur et un copiste, auxquels il adjoignait un peintre dans l’occasion. Du reste, l’amour de la propriété intellectuelle semble avoir été inconnu à cet homme vraiment extraordinaire ; il n’agissait que pour la gloire et les intérêts de la science, et jamais pour les siens propres. Comprenant que si, dans la construction d’un édifice, un ouvrier de plus n’est pas fort utile, rien au contraire ne l’est plus qu’un homme qui dirige les ouvriers, qui leur indique et leur fournit les matériaux, il accepta ce dernier rôle.

Aussi le voit-on donner des livres hébreux à Scaliger, des manuscrits arabes à Saumaise et à Kircher, des manuscrits grecs à Holstenius, des tables astronomiques à Sickard ; aux historiens, des systèmes et des documents inédits ; aux antiquaires, des inscriptions qu’il leur apprend à déchiffrer ; à Mersenne, à Grotius, et à tous leurs émules, de bons avis, et parfois d’importantes corrections. Partout où se trouve un ouvrage à faire ou à publier, sa coopération est certaine ; il aide les savants de ses recherches et de ses livres, il leur procure des adjoints, des secours matériels et scientifiques ; il s’agite, il sollicite le roi, les ministres, les bibliothèques, non pour lui, mais pour la science et les savants dont il est en quelque sorte l’intendant.

Vue extérieure du Musée et de l'église Saint-Jean, à Aix-en-Provence

Vue extérieure du Musée et de
l’église Saint-Jean, à Aix-en-Provence

Au milieu de ces occupations si variées, il met encore la main à l’oeuvre quand il le faut, il se montre partout où il y a un préjugé à combattre, une erreur à redresser. Il expose que les pluies de sang, terreur des gens crédules (et tout le monde l’était alors), ne sont produites que par les sécrétions des papillons dans la chrysalide. Il rétablit la généalogie de la maison d’Autriche ; avant Cuvier, il affirme que les ossements fossiles, regardés comme des os de géants, sont des os d’animaux connus ; avec Gassendi, il regarde les comètes comme des planètes ; il dresse les tables des mouvements des satellites de Jupiter, ensuite découverts par Galilée.

On doit à Peiresc la naturalisation en France d’un nombre considérable de végétaux, et de l’espèce des chats angoras. Le jasmin d’Inde, celui d’Amérique, le jasmin ou lilas de Perse et d’Arabie, le laurier rose, le myrte à fleurs pleines, la nèfle, plusieurs espèces de vignes, etc., ont été importés en France par ses soins.

Quant à sa carrière parlementaire, elle fut calme et honorable ; les goûts du savant ne nuisirent jamais aux devoirs du magistrat, et peut-être le second fut-il protégé par le premier, en 1631 et 1632, quand Peiresc échappa à l’exil infligé par Richelieu aux membres du parlement d’Aix, qui avaient refusé leur adhésion au projet du premier ministre de faire de la Provence un pays d’élection. Il était pourtant au nombre des opposants ; mais son caractère intègre, son horreur bien connue pour le trouble, et surtout sa grande réputation, ne permettaient guère de le traiter en rebelle.

Il mourut le 24 juin 1637. Son éloge fut prononcé à Rome, dans la salle de l’Académie humoriste, par l’ordre du pape Urbain VIII. Dix cardinaux assistèrent à cette séance. Le regret de sa mort fut exprimé en quarante langues. Balzac l’a loué avec sa délicatesse habituelle, en disant : « Le mal qui le touchait ne le souillait pas. Sans l’amitié d’Auguste, il fut un Mecenas. » Telle était la sensibilité d’organes de Peiresc, qu’ayant la langue enchaînée par une paralysie, il recouvra la parole en entendant une romance qu’il aimait.

Cette organisation magnifique, cette activité éparpillée sur mille objets divers, tant de dons précieux, tant de services rendus à la science, n’ont point valu à Peiresc une renommée durable. S’il avait pu se borner à être astronome comme Gassendi, naturaliste comme Linné, philosophe comme Bayle, et tant d’autres écrivains célèbres, son nom serait encore prononcé avec la vénération qui entoure les noms de ces grands hommes.

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