LA FRANCE PITTORESQUE
Grévin (Jacques)
(D’après Les hommes illustres du département de l’Oise, paru en 1858)
Publié le mercredi 13 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Par sa précocité, Jacques Grévin peut être classé parmi les enfants célèbres ; par ses oeuvres, et surtout par la variété de ses connaissances et sa profonde érudition, il prend place parmi les hommes les plus distingués de son temps. Il était doué d’un génie si heureux qu’il s’appliqua en même temps, avec le plus grand succès, à la poésie française et latine, aux belles-lettres en général, à la philosophie, posséda à fond le latin et le grec, et devint médecin habile.

Jacques Grévin

Jacques Grévin

Telle était son ardeur pour l’étude et sa facilité à apprendre qu’à treize ans il avait pu terminer ses humanités et s’exercer à la langue française, absolument bannie des exercices scolastiques. Il fit sur les bancs sa tragédie de collège qu’il intitula Jules César. Celle-ci fut un véritable évènement : elle fut admirée de l’Université ; tout Paris vint l’applaudir. L’étonnement fut à son comble à l’apparition de deux pièces de comédie que l’auteur donna la même année, surtout quand on sut que des oeuvres, que les gens les plus savants jugeaient accomplies, étaient dues à la plume d’un si jeune écrivain.

La première comédie que composa Grévin avait pour titre La Trésorière. Henri II lui en commanda une autre, à l’occasion des noces de sa fille Claude, duchesse de Lorraine, et il produisit les Esbahis. Mais des obstacles imprévus en retardèrent la représentation.

La Trésorière fut représentée en 1558, et les Esbahis, aussi bien que la tragédie, le 16 février 1560, au collège de Beauvais, en présence de la Cour et de la jeune duchesse de Lorraine, pour laquelle cette pièce avait été composée. « La décence n’y est pas plus respectée dans le sujet que dans les paroles, et cependant elle fut jouée par des écoliers et devant une princesse. » (Bibl. Elzévir.)

Malgré les encouragements qu’il reçut, Grevin borna là sa carrière dramatique. La poésie ne suffisait pas à une existence aussi active que la sienne. Il s’adonna à l’étude de la médecine et n’accorda à la muse que le temps que lui réclamèrent ses amours. Mlle Nicole Etienne, fille de Charles Etienne, médecin, jeune personne qui joignait à la beauté beaucoup d’esprit et tournait fort bien les vers, avait touché son coeur. Il lui adressa, ou lui dédia, sous le nom d’Olympe, une suite de sonnets, de chansons, d’odes, de pyramides, de Villanesques et autres poésies érotiques, imitées des Italiens et des Espagnols, alors les maîtres du genre.

Ces pièces furent publiées en premier lieu par Robert Etienne, oncle de la belle personne qui les avait inspirées. Le poète fut déçu dans son espoir : il n’obtint pas la main de celle qui inspirait sa muse. La belle Nicole épousa Jean Liébault, médecin. Grévin s’en consola en composant sa Gélodacrie. Notre amoureux désappointé fit diversion à ses distractions mondaines et à ses peines de coeur par de fortes études sur la médecine : il reçut le bonnet de docteur pendant le décanat d’Antoine Taquet, élu en novembre 1560 et continué en 1561. Tout jeune qu’il était. il fit néanmoins adopter à la Faculté de Paris ses opinions au sujet de certains remèdes qu’il croyait pernicieux, tels que l’antimoine, dont il demanda aux magistrats de proscrire le débit, et, de même que l’orpiment et le vif-argent, l’antimoine fut banni du Codex par un décret de la Faculté de Paris que le parlement confirma.

Grévin continuait néanmoins de cultiver la poésie, et la fit servir même à la médecine par la traduction de Nicandre en vers français. Il donna une seconde édition de son Olympe, en un volume qui comprenait son théâtre. Grévin continuait néanmoins de cultiver la poésie et ses vers firent tressaillir le vieux Ronsard. Tout fier d’un tel élève, le prince des poètes français lui adressa, en 1562 une élégie. Ailleurs, Ronsard lui dira également :

A Phébus, mon Grevin, tu es de tout semblable
De face, de cheveux, et d’art et de savoir.
Ronsard

Ronsard

On doit rendre justice à l’impartialité éclairée avec laquelle Grévin, puisant tour à tour dans les auteurs, tant modernes et étrangers qu’anciens, en fit un choix judicieux et contribua à répandre en France les règles du bon goût qui prévalut après lui : il peut compter parmi les initiateurs de son temps. On abandonnait alors la poésie purement spontanée et exclusivement nationale de nos premiers poètes pour imiter non seulement les Latins et les Grecs, mais encore les Italiens et les Espagnols.

Après leur rupture, le chef de la Pléïade n’imagina pas contre l’ingrat disciple de châtiment plus sévère que de rayer de ses poésies tous les vers à sa louange, en substituant, pour ne pas les perdre, le nom de Patrouillet et d’autres poètes contemporains, à celui de Grévin, dès lors son ennemi. Ronsard lui-même, dans une ode à la fin de ses oeuvres, nous confesse cette petite vengeance :

J’oste Grevin de nos écrits,
Pour ce qu’il fust si mal appris,
Affin de plaire au calvinisme,
(Je voulais dire à l’athéisme),
D’injurier par ses brocards
Mon nom cognu de toutes parts.
Et dont il faisait tant d’estime
Par son discours et par sa ryme.

Cette querelle fut en effet amenée non par jalousie d’auteur, mais à cause des dissidences religieuses de l’époque.

Essentiellement novateur, Grévin s’était converti au calvinisme ; il en était un des plus chauds partisans. Il ne put pardonner au maître, malgré les louanges dont il avait été honoré par lui, son Discours des misères du temps, où les sectateurs de la nouvelle religion étaient fort maltraités. Et il se réunit à La Roche Chaudieu, Florent Chrétien et autres auteurs pour déchirer Ronsard dans une satire intitulée Le Temple. C’est pour cela que les vers à l’éloge de Grévin ne furent rétablis dans les oeuvres de Ronsard qu’après sa mort. Grévin quitta Paris fort à propos pour être à l’abri du fléau des guerres religieuses. Il venait d’être reçu médecin à la Faculté de Paris, en 1560, après de brillantes études. Malgré son extrême jeunesse, il jouit d’une grande autorité en médecine, aussi bien qu’en philosophie, en littérature ou en linguistique.

Henri II

Henri II

Attirée par sa renommée et flattée des vers qu’il lui avait dédiés, Marguerite de France, soeur de Henri II, qui avait épousé, en 1559, Philibert-Emmanuel de Savoie, voulut connaître un jeune savant qui déjà faisait tant de bruit. Charmée de son esprit, de son mérite et de ses bonnes qualités, elle résolut de l’attacher à sa personne ; elle l’emmena avec elle à Turin et en fit à la fois son médecin et son conseiller le plus intime. Aussi se plaignit-elle, après la mort de Grévin, d’avoir perdu en même temps son médecin pour les maladies du corps, et son consolateur pour les inquiétudes de l’esprit. Elle ne négligea rien pour lui témoigner sa reconnaissance et ses regrets : elle lui fit faire de magnifiques funérailles, et, tant qu’elle vécut, elle retint auprès d’elle la veuve et la fille de ce savant homme ; elle leur fit toutes sortes de biens et d’honneurs, particulièrement à sa fille, qu’elle avait tenue sur les fonds de baptême et qu’elle avait nommée Marguerite-Emmanuelle.

Grévin n’avait pas accompli sa trentième année lorsqu’il mourut à Turin, le 5 novembre 1570. Il avait déjà acquis, comme lettré et comme savant, une immense réputation à un âge où la plupart des auteurs n’ont pas encore commencé à se faire un nom. Il laissa de nombreux ouvrages qui dénotent une facilité prodigieuse, des connaissances et des aptitudes variées, et une infatigable ardeur au travail.

On se fera une idée de sa facilité de travail et de sa vive pénétration, si l’on songe qu’il a commencé de composer dans un âge si tendre, à une époque où l’Université occupait la jeunesse, dix ans aux cours d’humanités, pendant lesquels tous les exercices sur la poétique, sur la rhétorique et la philosophie n’avaient lieu qu’en grec et en latin. La langue vulgaire était bannie comme étrangère des récréations scolastiques, et quiconque eût osé y introduire la poésie française eût passé pour traître au collège et ennemi de la patrie. Il fallait donc que Grévin eût déjà mené à fin tous ses cours, puisqu’en se mettant, dès son adolescence, au rang des poètes français, il compta parmi ses plus grands admirateurs l’Université elle-même.

Son début est, comme nous l’avons vu plus haut, sa tragédie intitulée Jules César. Grévin dit, dans le discours préliminaire de son Théâtre, que, lorsqu’il publia cette pièce, bien des gens crurent qu’il l’avait prise du latin de celle de Muret, mais qu’ils reconnurent bientôt, en comparant les deux pièces, qu’un tel soupçon était sans fondement. Il convient d’avoir été auditeur de Muret dans les humanités, et ne nie pas s’être inspiré de son oeuvre, et lui avoir emprunté certains sentiments, diverses situations ; mais il assure qu’il diffère complètement de son maître quant au plan et à la conduite de la pièce.

L’admiration dont les poésies de Grévin furent l’objet ne saurait se comprendre aujourd’hui. Ses vers ne pourraient se soutenir devant un public que les chefs d’oeuvre des siècles suivants ont rendu justement difficile. Il faut voir seulement dans Grévin et d’autres auteurs contemporains des chercheurs, qui, mêlant la forme de leurs prédécesseurs aux emprunts qu’ils faisaient à l’étranger, fournirent la matière que leurs successeurs transformèrent et approprièrent au goût français graduellement formé. A ce titre, Grévin, lui aussi, fut un des précurseurs du grand siècle.

L’historien De Thou, qui vante beaucoup les talents de Grévin, dit que « ses bonnes qualités et la douceur de son esprit, qui lui avaient fait de nombreux amis parmi ceux qui le connurent, le firent généralement regretter. » Les oeuvres de Jacques Grévin sont nombreuses ; la plus grande partie est perdue, entre autres ses poésies latines, qu’il n’eut pas le temps d’éditer, ainsi que d’autres ouvrages qui restèrent inachevés, sa mort précipitée l’ayant empêché d’y mettre la dernière main.

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