LA FRANCE PITTORESQUE
11 décembre 1670 : première représentation
de Britannicus, tragédie de Racine
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Publié le lundi 10 décembre 2012, par Redaction
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Au Cid persécuté Cinna dut sa naissance,
Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus,
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.

Boileau, par ces vers, consolait son ami des critiques que sa tragédie d’Andromaque avait essuyées, et lui faisait voir qu’elles n’avaient servi qu’à lui donner plus de vigueur, et que ses envieux conspiraient à sa gloire, parce qu’un noble génie, « Plus on veut l’affaiblir, plus il croît et s’élance. »

Cette pièce est celle des rois, des ministres et de tous les courtisans. Les rois y apprennent dans quel abîme ils peuvent tomber quand ils n’écoutent que leurs flatteurs ; les ministres apprennent de Burrhus avec quel courage ils doivent dire la vérité à leurs maîtres ; les courtisans apprennent d’Agrippine à modérer leur ambition, s’ils ne veulent pas s’attirer une nouvelle disgrâce ; enfin, tous les honnêtes gens, dont le défaut commun est trop de franchise, apprennent de Britannicus à être prudents et réservés .dans leurs discours.

On sait l’impression que firent sur Louis XIV quelques vers de cette pièce. Lorsque Narcisse rapporte à Néron les discours qu’on tient contre lui, il lui fait entendre qu’on raille son ardeur à briller par des talents qui ne doivent pas être les talents d’un empereur :

Pour toute ambition, pour vertu singulière,
Il excelle à conduire un char dans la carrière ;
A disputer des prix indignes de ses mains,
A se donner lui-même en spectacle aux Romains.

Ces vers frappèrent le jeune monarque, qui avait quelquefois dansé dans les ballets de la cour ; et quoiqu’il dansât avec beaucoup de noblesse, il ne voulut plus paraître dans aucun ballet. Racine, avant de se livrer à la composition de cette pièce, s’était nourri pendant longtemps de la lecture de Tacite. Il sut communiquer la force de cet historien à sa versification et à ses caractères. Lorsque Néron a peur que les crimes qu’il médite ne révoltent les Romains contre lui, Narcisse s’empresse de le rassurer par un tableau énergique de la bassesse et de la corruption de ces Romains :

Au joug depuis longtemps ils se sont façonnés ;
Vous les verrez toujours ardents à vous complaire ;
Leur prompte servitude a fatigué Tibère ;
Moi-même revêtu d’un pouvoir emprunté,
Que je reçus jadis avec la liberté,
J’ai cent fois dans le cours de ma gloire passée,
Tenté leur patience, et ne l’ai point lassée.
D’un empoisonnement vous craignez la noirceur !<brFaites périr le frère, assassinez la sœur,
Rome sur les autels prodiguant les victimes,
Fussent-ils innocents, leur trouvera des crimes.

Comme on va chercher au spectacle le plaisir du, cœur plutôt que celui de l’esprit, cette pièce, dont le grand mérite consiste dans la force et dans la profondeur des pensées, n’obtint pas d’abord tous les suffrages qu’elle méritait ; outre qu’il y avait un parti puissant contre l’auteur, qui s’en plaignait amèrement dans une préface de sa pièce, qu’il supprima depuis quand il vit le public rendre justice à son ouvrage. Dans cette préface, il s’appliquait les plaintes de Térence contre un vieux poète mal intentionné, qui venait briguer des voix contre lui jusqu’aux heures et à la porte du spectacle.

Ce trait tombe sans doute, non sur Corneille qu’on ne doit pas soupçonner d’une basse jalousie, mais sur ses partisans qui employaient toute sorte de moyens pour nuire aux pièces de son jeune rival.

On connaît la distraction qui échappa dans le feu de l’action à une actrice célèbre, jouant le rôle d’Agrippine, dans cet endroit de la seconde scène du quatrième acte, où Agrippine dit en parlant de son mariage avec Claude :

Une loi moins sévère,
Mit Claude dans mon lit et Rome à mes genoux.

L’actrice dit par inadvertance : Mit Rome dans mon lit et Claude à mes genoux.

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