LA FRANCE PITTORESQUE
18 novembre 1748 : première représentation
d’OEdipe, tragédie de Voltaire
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Publié le vendredi 16 novembre 2012, par Redaction
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Cette tragédie fut le coup d’essai de Voltaire, et jamais on ne vit un coup d’essai plus brillant. La pièce fut jouée pendant trois mois sans discontinuer. Quand l’auteur la composa, il avait vingt-trois ans (et non pas dix-neuf, comme on l’a si souvent imprimé).

Par respect pour les souverains du Théâtre Français, il dépara sa tragédie, en y mettant, malgré Dacier et le père Brumoy, un vieil amoureux, dont il sentait tout le ridicule, comme on le voit dans une lettre qu’il écrivit au père Porée, son ancien professeur de rhétorique.

« Je vous envoie, mon R. P., la nouvelle édition qu’on vient de faire de la tragédie d’Œdipe. J’ai eu soin d’effacer, autant que je l’ai pu, les couleurs fades d’un amour déplacé, que j’avais mêlées malgré moi aux traits mâles et terribles que ce sujet exige.

« Je veux d’abord que vous sachiez, pour ma justification, que tout jeune que j’étais quand je fis l’Œdipe, je le composai à peu près tel que vous le voyez aujourd’hui : j’étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaissais fort peu le théâtre de Paris ; je travaillai à peu près comme si j’avais été à Athènes. Je consultai M. Dacier, qui était du pays ; il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les scènes, à la manière des Grecs : c’était me conseiller de me promener dans Paris avec la robe de Platon. J’eus bien de la peine, seulement, à obtenir que les comédiens voulussent exécuter les chœurs qui paraissaient trois ou quatre fois dans la pièce ; j’en eus bien davantage à faire recevoir une tragédie presque sans amour. Les comédiennes se moquèrent de moi, quand elles virent qu’il n’y avait point de rôles pour l’amoureuse... »

Au sortir d’une représentation d’Œdipe, un homme de la cour, qui donnait la main à une dame très sensible, dit à Voltaire : « Voici deux beaux yeux auxquels vous avez fait répandre bien des larmes. » « Ils s’en vengeront sur bien d’autres », répliqua Voltaire. La Mothe, qui prétendait que la prose pouvait s’élever à la hauteur de la poésie , dit un jour à Voltaire : « Votre Œdipe est le plus beau sujet du monde ; il faut que je le mette en prose. » « Faites cela, dit Voltaire, et je mettrai votre Inès en vers. »

Fontenelle, quoique neveu de Corneille, dont on a un Œdipe, ne put refuser son suffrage à celui de Voltaire ; mais en qualité de doyen de la littérature, et mêlant la leçon à l’éloge, il fit dire à Voltaire « que sa pièce avait trop de feu. » Voltaire lui fit réponse : « Pour m’en corriger, je lirai vos pastorales. »

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