Michel Servet, né en Aragon, très savant médecin, méritait de jouir d’une gloire paisible, pur avoir longtemps avant Harvey, découvert la circulation du sang ; mais il négligea un art utile pour des sciences dangereuses ; il traita de la préfiguration du Christ dans le verbe, de la vision de Dieu, de la substance des anges, de la manducation supérieure.
De Vienne en Dauphiné, où il séjourna quelque temps, il écrivit à Calvin sur la Trinité : ils disputèrent par lettres. De la dispute, Calvin passa aux injures, et des injures à cette haine théologique, la plus implacable de toutes les haines. Calvin eut par trahison les feuilles d’un ouvrage que Servet faisait imprimer secrètement. Il les envoya à Lyon avec les lettres qu’il avait reçues de lui, et le fit accuser par un de ses émissaires. Servet s’enfuit et passa malheureusement par Genève ; Calvin le sait, le dénonce, le fait arrêter à l’enseigne de la Rose, lorsqu’il était près d’en partir.
On le dépouilla de quatre-vingt-dix-sept pièces d’or, d’une chaîne d’or et de six bagues. Il était sans doute contre le droit des gens d’emprisonner un étranger qui n’avait commis aucun délit dans la ville ; mais aussi Genève avait une loi ordonnant que le délateur se mît en prison avec l’accusé. Calvin fit la dénonciation par un de ses disciples qui lui servait de domestique.
Ce même Jean Calvin avait avant ce temps-là prêché la tolérance. On voit ces propres mots dans une de ses lettres imprimées : « En cas que quelqu’un soit hétérodoxe, et qu’il fasse scrupule de se servir des mots trinité et personne, nous ne croyons pas que ce soit une raison pour rejeter cet homme ; nous devons le supporter sans le chasser de l’Eglise, et sans l’exposer à aucune censure comme un hérétique. » Mais Jean Calvin changea d’avis dès qu’il eut acquis un peu de pouvoir ; il demandait la tolérance dont il avait besoin pour lui en France, et il s’armait de l’intolérance à Genève. Calvin, après le supplice de Servet, publia un livre dans lequel il prétendit prouver qu’il fallait punir les hérétiques.
Quand son ennemi fut aux fers, il lui prodigua les injures et les mauvais traitements que font les lâches quand ils sont maîtres. Enfin, à force de presser les juges, d’employer le crédit de ceux qu’il dirigeait, de crier et faire crier que Dieu demandent l’exécution de Michel Servet, il le fit brûler vif, et jouit de son supplice, lui qui avait élevé si fortement la voix contre les persécutions.
Servet demeura dans le feu plus de deux heures, parce que le vent repoussait la flamme en sens contraire ; et l’on dit qu’il s’écria, en voyant prolonger ses tourments : « Quoi donc, avec cent pièces d’or et le riche collier qu’on m’a pris en m’arrêtant prisonnier, ne pouvait-on pas acheter assez de bois pour me consumer plus promptement ? »
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