Pour la première fois, le thème des fêtes et célébrations flamandes est abordé, dans une exposition, sous l’angle complexe de leur diversité, mais aussi de leur sens profond, et de leur rôle essentiel. La fête a bien sûr valeur d’exutoire. Mais elle est aussi une réaction vitale ; faire la fête, revient à faire société, réunir ensemble une population qui dans sa mixité, s’unit le temps de la fête : hommes et femmes, enfants, vieillards, mais aussi mendiants et puissants.
Les fêtes flamandes ne manquent pas d’évoquer immédiatement dans nos imaginaires des truculentes scènes de bombance, telles que les peintres Pierre Bruegel ou Jacques Jordaens ont pu les immortaliser : personnages dansant, jouant de la musique, buvant et goûtant pleinement aux plaisirs de la vie. Pourtant ces fêtes sont l’avers d’une médaille dont le revers serait la guerre et les outrages d’une période marquée, aux XVIe et XVIIe siècles par la Guerre de Quatre-Vingts Ans et les malheurs qui frappent la population des anciens Pays-Bas, dont faisait partie la ville de Lille.
Entrez dans la fête !
La vertu fédératrice de la fête lui donne aussi sa dimension politique : la ville et sa population entière se mobilisent pour exprimer l’identité et la vitalité de la cité. Pour accueillir le prince, la ville n’hésite pas à mettre en scène des cérémonies grandioses, avec d’immenses décors dessinés entre autres par Pierre Paul Rubens, pour marquer leur grandeur et affirmer leur pouvoir.
Affiche de l’exposition Fêtes et célébrations flamandes au Palais des Beaux-Arts de Lille
Gagnant l’espace public, ces fêtes sont aussi l’incarnation d’un état d’esprit ; d’une philosophie de vie, pourrait-on dire, qui est encore aujourd’hui vivace dans tout ce bassin culturel des anciens Pays-Bas, où se pratiquent toujours les kermesses, les ducasses, et les sorties de géants. Elles renvoient à un patrimoine immatériel, et à un mode de vie bien particulier marqueur de l’identité de ce territoire, nourrie de valeurs précieuses, telles que la mixité, le vivre-ensemble ou le sens du collectif.
La présente exposition aborde donc le thème des fêtes et célébrations flamandes des XVIe et XVIIe siècles sous un angle totalement inédit, qui permet de les saisir par contraste avec le contexte historique dans lequel elles ont éclos et d’en établir une taxinomie : fêtes en ville, dans les campagnes, ou fêtes des rois.
Thèmes principaux
S’agissant d’une célébration et d’un moment « réjouissant », la fête a fait l’objet d’une iconographie abondante qui n’en est pas moins sélective : certaines représentations, comme les kermesses et la Fête des rois, deviennent même un genre pictural en soi qui s’exportera avec succès, notamment en France.
L’exposition regroupe en premier lieu des peintures, dessins, albums et gravures. Ce matériel est confronté à certains objets de l’époque attachés aux rituels des fêtes représentées qui permettent de les situer dans leur réalité historique. Le sens attaché à l’imagerie des fêtes est également pris en compte. Les albums et tableaux commémoratifs des cérémonies princières et urbaines n’ont ainsi pas la même signification selon qu’ils sont exécutés pour le pouvoir central ou pour les édiles locaux, en charge de l’orchestration des célébrations.
Aux Pays-Bas, l’État spectacle puise en effet abondamment dans les coutumes locales, faisant des solennités un véhicule de négociation entre les différents niveaux d’autorité. De son côté, l’image des fêtes « populaires », d’ordinaire situées dans le milieu paysan, relève souvent de la farce à une époque où la bourgeoisie citadine cherche à se distinguer. Certaines peintures montrent d’ailleurs des scènes de théâtre en plein air, au cœur de la fête. De même, les très nombreuses illustrations de beuverie pendant la fête invitent à la tempérance, dans une société où la boisson domine de nombreuses formes de sociabilité.
À la fin du XVIe siècle, la lutte conjointe menée par l’État et l’Église contre les excès liés aux fêtes s’accentue d’ailleurs nettement et les régulations et les édits répressifs à cet égard se multiplient. Le « processus de civilité » est alors en plein essor, ce que reflète aussi l’iconographie festive. Cette évolution n’empêche pas l’élément ludique et divertissant de persister, quel que soit le type de fête envisagé.
Arbre de mai. Peinture de Pieter Brueghel le Jeune (vers 1620-1630)
Un parcours en quatre sections
I. Introduction : Guerre et fête
L’exposition tente d’élargir la perspective sur le phénomène des fêtes aux Pays-Bas. Celles-ci, habituellement perçues comme synonymes de débordements grinçants et autres truculences folkloriques, révèlent pourtant à l’examen une structure sociale variée et mouvante, dont le fond irréductible est la guerre. Durant la période 1550-1650, l’Europe est, en effet, en guerre perpétuelle, entre discordes religieuses et rivalités politiques. La fête est une réponse à cette situation. Fête exutoire donc, mais tout autant fête régulatrice : l’art qui se déploie à l’occasion des fêtes illustre la construction d’un espace (éphémère mais récurrent) de paix. La fête cherche à faire société.
Cette section première évoque dès lors les outrages de la Guerre de Quatre-Vingts Ans et les souffrances des populations : sièges de villes, destructions de villages, pillages et attaques, combats entre paysans et soldatesque... Ces horreurs deviennent un leitmotiv des œuvres du XVIIe siècle. La représentation d’une attaque est parfois associée, par les artistes, avec celle d’une fête villageoise : celle-ci incarne alors une accalmie, voire la paix retrouvée. La section peut s’articuler autour d’une telle paire, formant ainsi le socle de l’exposition.
II. Fêtes et cérémonies urbaines
Cette section, la plus étoffée de l’exposition, regroupe essentiellement trois types de fêtes et de cérémonies urbaines des Pays-Bas méridionaux aux Temps modernes : les Joyeuses Entrées et réceptions princières ; les fêtes religieuses ; l’ommegang et le concours de tir à l’oiseau des corporations dites militaires, auquel le prince ou son représentant était régulièrement invité et formait alors le prétexte à des célébrations grandioses.
Tous ces événements témoignent à des degrés divers d’une perméabilité entre sacré et profane, et d’un mélange des genres, du solennel au pur divertissement. Les premiers sont d’ordre strictement civique : il s’agit d’accueillir l’autorité princière, en particulier à l’aide d’arcs de triomphe et de représentations théâtrales.
Les fêtes religieuses sont évoquées à l’aide de gravures et de peintures, tandis que l’ommegang et la participation au tir des arbalétriers bruxellois de l’infante Isabelle en 1615, comme celui de l’archiduc Léopold Guillaume en 1651, le sont à travers le riche matériel qu’ils ont laissé : dessins, peintures — entre autres, de David Teniers —, manuscrits, objets. Ces fêtes, aussi solennelles soient-elles, possèdent également un caractère foncièrement ludique — ce qui assure la transition avec la section suivante.
Fête de village avec joueur de cornemuse sur un tonneau.
Peinture de Thomas van Apshoven (milieu XVIIe siècle).
© Crédit photo : GrandPalaisRmn (PBA, Lille) / Hervé Lewandowski
III. Kermesses, noces et fêtes villageoises
Cette section fait passer le visiteur de la ville au village. Elle est surtout illustrée par des tableaux — dont certains monumentaux — dans la tradition bruegélienne et des peintures dans la veine de Teniers. Si ces tableaux en sont venus à former un genre en soi (« la fête au village »), ils montrent aussi un processus d’apprivoisement, par l’autorité locale, des saturnales paysannes : les puissants se mêlent aux villageois au cours de la fête. Au cœur de cette section, est ainsi exposée Les noces paysannes en présence des archiducs Albert et Isabelle, œuvre peinte par Jan Brueghel l’Ancien pour la cour d’Espagne et qui appartient aujourd’hui au musée du Prado à Madrid.
IV. Fêtes de cour, fêtes des rois
Après les fêtes se déroulant à l’extérieur, voici celles se passant en intérieur. L’accent est mis sur la fête du roi célébrant l’épiphanie qui mime (de façon parodique) un banquet de cour. Le rapport à l’autorité se retrouve ici, de même que le thème de la fête comme exutoire. Cette section est construite autour d’une des versions du Roi boit de Jacques Jordaens, une des peintures les plus connues et les plus les plus impressionnantes de l’art flamand du XVIIe siècle.
En regard de ces peintures parodiques, plusieurs représentations de fêtes « courtoises » permettront au spectateur de saisir tout le sens et toute la différence entre ces deux types de célébrations.
Renseignements pratiques
Exposition Fêtes et célébrations flamandes
Palais des Beaux-Arts — Place de la République — 59000 Lille
Jusqu’au 1er septembre 2025
Site Internet : https://pba.lille.fr
Page Facebook : https://www.facebook.com/palaisdesbeauxartsdelille/
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