Le Seigneur de Combourg, à la jambe pourrie,
A longtemps imploré Notre-Dame Marie.
Il a prié Jésus, sainte Anne et tous les saints,
Il a rasé sa tête et flagellé ses reins ;
Mais le ciel, implacable et sourd dans sa colère,
Le ciel s’est détourné de sa dure misère...
Or, cependant qu’il est sur un lit de douleurs,
Ses fiefs sont devenus repaires de voleurs ;
Les vassaux, affranchis de la crainte du maître,
Viennent le défier jusque sous sa fenêtre.
Sa poterne est ouverte à tous les jouvenceaux,
La Dame de Combourg est une auge à pourceaux ;
Jongleurs, cornemuseux, vielleurs, chacun bafoue
Et chansonne le mal immonde qui le cloue,
Le blason de Combourg est traîné dans la boue.
Il est si las d’avoir si grandement souffert,
Qu’il se donne en jurant aux démons de l’enfer ;
Le blasphème est à peine exhalé de sa bouche
Qu’un énorme chat noir a bondi sur sa couche ;
Il a griffé, rongé les chairs toute la nuit !...
Le membre est détaché !... Dévalant avec bruit,
Faite d’un tronc rugueux, la pointe espadonnée,
Une jambe de bois sort de la cheminée ;
Elle trotte, fringante, à l’entour du grabat
Elle saute, elle court et joue avec le chat.
Au premier chant du coq la jambe s’est placée
Sous le moignon sanglant de la cuisse coupée,
Et Combourg plein de rage a saisi son épée.
Il a décapité chevaliers et barons,
Les chênes ont ployé sous le poids des larrons.
Malgré qu’elle supplie et malgré qu’elle crie,
Il a livré sa femme à des boucs en furie.
Il a flanqué son château fort de quatre tours
Dont les orbites noirs fouillent les carrefours ;
Qu’il aperçoive au loin ménestrel ou trouvère,
L’homme n’a pas le temps de faire sa prière.
Les corbeaux trop repus ne vont plus à la mer
Et leur vol, diadème lourd, obscurcit l’air.
Sa jambe, pieu d’enfer à la pointe acérée,
A répandu le sang dans toute la contrée.
Il a vécu cent ans au fond de son manoir,
N’ayant pour compagnon fidèle qu’un chat noir.
Maudit, enveloppé d’horreur et de mystère,
Son nom a retenti jusqu’au bout de la terre.
Mais voici que Combourg est mort et qu’on l’enterre !
Son bâtard favori, Yves le Dibouel
Veut que son corps repose auprès du maître autel.
Les prêtres sont vêtus de leurs chapes trop lourdes,
Leur voix lente se perd tellement elle est sourde ;
Le peuple, rassemblé par ordre, leur répond ;
Versets entrecoupés d’un silence profond.
Voici la messe dite et l’on est à l’absoute,
Un froid mortel semble tomber de la grand’voûte,
Quand le de profundis final est entonné ;
Les quatre vents font rage et le ciel a tonné.
Au moment où l’officiant, selon le rite,
Fait le signe de croix en jetant l’eau bénite :
Le cercueil s’est ouvert, avec un grand fracas,
Eclaboussant la nef d’ordures et d’éclats ;
Les portes ont claqué sous l’effort des rafales,
La jambe et le chat noir ont bondi sur les dalles,
S’enfuyant à travers les assistants tout pâles.