C’est à l’avènement de la dynastie capétienne que la royauté, devenue élective, et la seigneurie, toujours héréditaire, se cumulant sur la même tête, l’une ne put manquer de prendre le caractère et les droits de l’autre. Une quantité de seigneuries s’étant attachées aux duchés et aux comtés, ces offices, qui étaient électifs, prirent le caractère de la seigneurie qui était héréditaire ; et la royauté échappa à l’élection des seigneurs de la même manière que les comtés et les duchés avaient échappé à l’élection royale.
Entre le roi et les sujets restèrent longtemps interposés des seigneurs, petits souverains dont la volonté capricieuse aurait empêché la formation du corps national, si, dans l’intérêt de leur souveraineté même, ils n’avaient dû se soumettre à une loi commune, la loi féodale. Cette loi fut le lien puissant qui resserra en faisceau toutes les forces sociales, et tira la nation de l’anarchie où elle allait se dissoudre avant d’être formée.
Lors de l’établissement de la dynastie carolingienne (fin du VIIIe siècle), l’autorité souveraine possédait autant de force que d’étendue : la force lui était utile pour dompter et contenir les peuples nombreux dont se composait l’empire de Charlemagne ; mais, à cause de cette force même, la royauté, satisfaite d’une égale obéissance, ne sentait pas la nécessité de détruire les préjugés nationaux et les coutumes anciennes qui maintenaient ces peuples étrangers les uns aux autres : leur division même faisait sa sûreté.
Charlemagne et son fils Louis le Pieux. Enluminure extraite
des Grandes chroniques de France, manuscrit français de la BnF n°73
En effet, il était difficile qu’une révolte partielle eût quelque chance de succès contre un pouvoir qui pouvait diriger contre un seul ennemi les forces les plus opposées de l’empire. Le démembrement de cet empire n’aurait donc pas eu lieu par la seule volonté des peuples qui en faisaient partie. Il fallut que les descendants de Charlemagne, après avoir lutté sans succès pour s’attribuer exclusivement chacun la suprême autorité, se partageassent eux-mêmes les états qu’aucun d’eux n’avait pu conquérir en entier.
Lors de l’avènement de la dynastie capétienne (fin du Xe siècle), notre sol se trouvait partagé en un grand nombre de seigneuries, toutes indépendantes les unes des autres, toutes trop faibles pour se défendre isolément contre un ennemi puissant, mais dont les chefs sentaient mieux, en raison même de cette faiblesse, la nécessité de confier à un seul la défense de leurs intérêts généraux, en se conservant individuellement le plus d’indépendance possible pour la défense de leurs intérêts particuliers.
Chacun se soumit volontairement à un roi, Hugues Capet, qui fut constitué par le consentement de tous représentant de ce qui intéressait la généralité, représentant de la nation. Le peu de force apparente de la royauté nouvelle fit qu’elle n’inspira aucun ombrage à ceux qui l’instituèrent ; il semblait qu’elle ne pouvait avoir de puissance que dans les choses touchant à l’intérêt commun.
Pendant plus d’un siècle, la royauté, que le clergé considérait comme une émanation de la grâce divine, ne fut regardée par la foule des seigneurs qui étaient les principaux chefs nationaux que comme une institution créée par leur volonté, soumise à leur élection, ou tout au moins à leur approbation. Pendant longtemps la royauté conserva le caractère électif, et quoique transmise de père en fils, elle ne devint légalement héréditaire que lorsque par suite de l’hérédité féodale, la propriété de tous les grands fiefs fut dévolue à celui qui possédait la couronne.
Hugues Capet élu roi de France. Timbre émis le 13 novembre 1967 dans la série
Grands noms de l’Histoire. Dessin d’Albert Decaris
Charlemagne et son fils Louis le Pieux, explique au XIXe siècle l’essayiste François de Montlosier (1755-1838), avaient pris la précaution de faire élire leur fils de leur vivant. Les premiers princes capétiens suivirent cet exemple. Hugues Capet convoqua une assemblée de grands de l’État, dans laquelle Robert, son fils, fut associé à la couronne.
Robert en usa de même envers Henri, Henri envers Philippe, etc. Philippe Ier demanda le consentement des barons pour Louis VI le Gros ; Louis le Gros pour Louis VII le Jeune ; Louis le Jeune pour Philippe Auguste, ce dernier prince étant le premier qui ait négligé de faire élire et sacrer son fils de son vivant.
Et c’est ainsi que tous les grands fiefs, qui étaient héréditaires, étant venus successivement se réunir à la couronne, un roi, qui n’était qu’électif, se trouva tout à coup seigneur héréditaire de tout son royaume : circonstance qui dut emporter nécessairement le droit d’élection.
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.
