LA FRANCE PITTORESQUE
À l’envi (et non à l’enviE)
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Publié le vendredi 27 juin 2025, par Redaction
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En rivalisant, avec émulation, à qui mieux mieux
 

On trouve dans le Florentin de La Fontaine une scène où Hortense confie à son jaloux déguisé, dont elle feint d’être la dupe, les tours qu’elle lui a joués de concert avec Timante. Entre autres bonnes histoires, il y a celle de la remise d’un billet amoureux :

... Prenant le frais tous deux devant chez nous,
Deux petits libertins qui mangeoient des cerises
Vinrent contre Harpagème à diverses reprises,
Riant, chantant, faisant semblant de badiner :
Ils jetoient leurs noyaux l’un après l’autre en l’air.
Un noyau vint frapper Harpagème au visage ;
Il leur dit de n’y plus retourner davantage.
Eux, sans daigner l’ouïr et jetant à l’envi,
Cet agaçant noyau de plusieurs fut suivi.

Harpagème se lève en colère, les polissons fuient, il les poursuit à cinquante pas... c’était trop loin ! Lorsqu’il revint la lettre était remise.

La funeste passion dont la mythologie a fait un monstre appelé l’Envie n’est pour rien dans cette façon de parler : il ne s’agit pas d’une envie, mais d’un envi. Qu’est-ce qu’un envi ? « C’est, dit Furetière, l’argent qu’on met au jeu pour enchérir sur son compagnon. » On fait des envis au brelan, au hoc, etc. » Par conséquent, à l’envi est une métaphore empruntée au vocabulaire des joueurs. Travaillons à l’envi, à l’envi l’un de l’autre, c’est-à-dire à l’enchère, par émulation, à la manière des joueurs lorsqu’ils poussent leurs enjeux l’un contre l’autre. Soit : voilà qui est bien pour à l’envi ; mais la question n’est que reculée. Pourquoi appelle-t-on cet enchérissement un envi ? D’où vient ce terme ?

Furetière rapporte que l'envi désigne Furetière l'argent qu'on met au jeu pour enchérir sur son compagnon
Furetière rapporte que l’envi désigne Furetière l’argent qu’on met au jeu
pour enchérir sur son compagnon. © Crédit illustration : Araghorn

Il vient du latin invitus, adjectif qui n’a plus d’équivalent en français, et qui avait autrefois celui d’envis : Hoc invitus. Nous sommes obligés de traduire : Il fit la chose malgré lui. On eût traduit au XIIIe siècle : Il le fit envis. « Icelui Buisson estoit povres homs, qui paioit envis et plaidoit voulentiers » (Lettres de rémission de 1427).

La qualité d’envis est parfois équivoque entre l’adjectif et l’adverbe ; cela tient à la construction latine, laquelle permet toujours de substituer à l’adjectif l’adverbe : Hoc fecit invitus ; hoc fecit invite. On disait dans la forme positivement adverbiale à envis, comme dans les Fabliaux de Barbazan :

Ou volontiers ou à envis
Le fist li prestres.

Arrivons au substantif. Un envi est un acte fait à envis (invite), un acte qui n’émane pas de la volonté libre et spontanée. Tel est un pari de jeu que vous êtes entraîné à tenir. L’amour-propre, le respect humain ne permettent pas de reculer : alors vous faites un envi (invitum quid).

C’est en passant par ces nuances que le terme consacré d’abord à l’idée de répulsion aboutit à signifier l’idée d’émulation. L’émulation implique l’effort ; l’effort coûte quelque chose à la nature et à la liberté. Quand ces petits polissons envoyaient à l’envi leurs noyaux de cerises au nez d’Harpagème, ils s’efforçaient de l’atteindre à qui mieux mieux. Voilà ce que c’est que faire un envi ou agir à l’envi.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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