LA FRANCE PITTORESQUE
Bouquin
(D’après « Récréations philologiques ou Recueil de notes pour servir
à l’histoire des mots de la langue française »
(par François Génin) Tome 2 paru en 1856)
Publié le samedi 13 janvier 2018, par Redaction
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On pourrait volontiers prêter à notre mot français « bouquin » d’être issu de l’anglais « book », lui-même dérivé de l’autre mot anglais « bough » signifiant « flexible ». Or il faut, pour dénicher la véritable étymologie, davantage chercher du côté du sort réservé aux vieux ouvrages...
 

Un des correspondants de l’Illustration avait dans le temps offert de faire venir bouquin et bouquiniste de l’anglais book, livre. La proposition paraissait assez avantageuse. « Prenez pour exemple, nous dit-on, l’anglais bough, branche. Assurément ce mot-là n’existe pas dans la langue française. Que signifie bough ? Il signifie ce qui ploie, ce qui est flexible ; il vient du germanique biegen, courber. Or, ce verbe nous a donné cinq ou six mots, entre autres boucle, ce qui est recourbé ; bouquin, ce qui est plié, livre. »

Admettons un moment qu’un livre soit plié comme une branche d’arbre, la ressemblance n’est pas saisissante, mais admettons : à ce compte, un livre tout neuf est donc un bouquin ? Car il n’est pas plié différemment, et tout ce qui se plie aurait droit de s’appeler un bouquin : une table, un mouchoir, un arc, le bras, la jambe, etc.

Chez le bouquiniste

Chez le bouquiniste

Les logiciens disent qu’une bonne définition doit non seulement convenir à l’objet défini, mais ne convenir qu’à lui. On peut dire la même chose d’une bonne étymologie. Si nous définissons le sang une liqueur rouge, nous serons moqués des garçons marchands de vin. De quel droit, par quelle fantaisie, selon vous, aurait-on appliqué le biegen au livre plutôt qu’à la table, plutôt qu’au mouchoir, à l’arc, au bras, à la jambe, enfin à tout objet qui se plie ?

Risquons une autre explication. La demi-reliure est une invention du XIXe siècle économe. Au temps jadis, on ne faisait que de belles et bonnes reliures pleines, en veau, basane, maroquin, etc. ; c’est qu’alors les livres en valaient la peine et étaient estimés. Aujourd’hui les relieurs font cent cartonnages contre une seule reliure pleine, et par là seulement on pourrait juger de la situation des lettres dans l’opinion publique.

Or, quand un de ces anciens volumes, faisant partie d’une bibliothèque séculaire, était resté de longues années immobile et privé d’air sur son rayon, où la poussière combinée avec l’humidité avait fini par l’encrasser, le pénétrer, le ronger (sans compter les mites et autres malignes bêtes), il contractait une odeur forte, analogue à celle d’un bouc ou bouquin ; et de là est venu qu’un volume moisi qui sentait le bouquin s’est appelé par abréviation un bouquin : car notez que ce vieux livre rhabillé de neuf ne s’appelle plus un bouquin, non plus qu’un volume d’impression récente, mais qui serait gâté, déchiré, dépenaillé ; il y faut la vieillesse, la décomposition de la peau et l’odeur qui s’ensuit.

Cette origine n’a certes pas la noblesse du germanique, du sanscrit ni de l’indo-européen ; mais la Providence est si bonne qu’elle permet qu’on fasse des étymologies, ne sachant même que le français. Book, que nous avons rejeté, se prononçait bouc, tandis que bough se prononce bao. Il ne faut pas nous laisser duper par les yeux : il y a pour l’oreille une certaine distance de bau à bouquin ; or les idiomes, quoi qu’on dise, ont été forgés par les langues pour les oreilles, et non par les doigts pour les yeux. C’est ce qu’oublient toujours les savants.

À noter qu’Émile Littré, dans le tome 1 de son Dictionnaire de la langue française paru en 1873, affirme que bouquin est issu du mot flamand boeckin signifiant petit livre, issu lui-même de l’allemand buch signifiant livre. En outre, il avance, sans étayer son propos, que cette étymologie est préférable à celle de Génin, qui dit que bouquin a été ainsi nommé à cause de la mauvaise odeur.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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