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Légendes, croyances, superstitions : Jean de Roquetaillade, personnage du Gargantua de Rabelais. Théologien, alchimiste, prophète

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Roquetaillade : personnage
de Gargantua
et véritable alchimiste
(D’après « Revue du seizième siècle », paru en 1924)
Publié / Mis à jour le mercredi 27 mars 2019, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
Au chapitre VI de Gargantua, Rabelais, ayant narré comment son géant naquit de l’oreille de Gargamelle, allègue à l’appui de ses dires quelques nativités merveilleuses et pourtant jugées dignes de foi. Parmi les cas les plus étranges figure celui de Roquetaillade qui « naquit du talon de sa mère ». Personnage ayant bel et bien existé, connu, notamment, comme abstracteur de quintessence, auteur de prophéties ou encore censeur des abus ecclésiastiques.

Qui est ce personnage de Roquetaillade ? On pourrait songer à une fantaisie de l’imagination de Rabelais. Mais on sait combien fréquemment cette imagination se borne à élaborer des données réelles. Rabelais n’a imaginé que la nativité merveilleuse de Roquetaillade ; ce personnage a existé au XIVe siècle ; autour de son nom s’était formée une légende et l’on peut dire pour quelles raisons cette légende a retenu l’attention de Maître Alcofribas, au moment où il rédigeait le Gargantua.

Page du manuscrit de Jean de Roquetaillade (1350)

Page du manuscrit de Jean de Roquetaillade (1350)

Pendant les séjours que Rabelais fit à Lyon en 1532 et 1534, il put visiter, dans le voisinage de ce grand Hôpital du Rhône où il exerçait ses fonctions de médecin, le cloître du couvent des Cordeliers. Là, contre le mur de l’église, reposait dans un sépulcre de pierre, orné d’une effigie en relief et décoré de peintures, noble homme Bernard de Rochetaillée. Les honneurs de cette sépulture privilégiée lui avaient été accordés en raison des services rendus à l’ordre des Franciscains par son fils, frère Jean de Rochetaillée, en latin Johannes de Rupescissa, dit vulgairement Roquetaillade, son nom ayant pris cette forme au temps où il vivait dans les provinces de langue d’oc.

Il était né dans le deuxième quart du XIVe siècle, à Rochetaillée, à quatre lieues au nord de Lyon, sur la rive gauche de la Saône, entre Neuville et Fontaine. Après avoir étudié pendant cinq ans à Toulouse, il avait renoncé au monde pour prendre l’habit des Franciscains au couvent de Villefranche-en-Beaujolais. Ce monastère, le plus proche qui fût de Rochetaillée, était le plus ancien que l’ordre comptât en France. Vers 1216, Guichard IV de Beaujeu, beau-frère du roi Philippe-Auguste, traversant l’Italie au retour d’une ambassade à Constantinople, avait demandé à François d’Assise de lui confier quelques-uns de ses disciples pour les emmener dans ses terres. Il les installa à Villefranche, où ils fondèrent un couvent de frères mineurs. Après leur mort, ils furent inhumés dans ce « minoret ».

Leurs vertus exemplaires et leur prédication déterminèrent plusieurs gentilshommes du pays à entrer dans leur couvent. Le plus fameux devait être Jean de Rochetaillée. Ses vœux prononcés, il renonça au monde, mais non aux études. Pendant cinq ans il s’adonna à la philosophie et à la théologie. Il étudia encore l’alchimie et chercha l’art d’abstraire la quintessence des choses. Puis il prêcha dans la vallée du Rhône et en Auvergne.

Avec une hardiesse assez fréquente chez les religieux qui, ayant fait vœu de pauvreté, n’avaient rien à perdre, ni rien à craindre des grands, il dénonça le luxe et l’avidité des prélats. Aux alentours de 1360, dans la chaire d’une église d’Avignon, il racontait un étrange apologue. Autrefois disait-il, le paon, le faucon et d’autres oiseaux découvrirent dans la gent volatile un oiseau fort beau et plaisant, mais tout nu. Ils le vêtirent, par compassion, de leurs plus belles plumes. Celui-ci en conçut de l’orgueil et devint si outrecuidant que les autres oiseaux durent lui ôter cette parure de plumes qu’ils lui avaient donnée bénévolement.

« Ainsi, messieurs, disait frère Jean de Rocquetaillade au pape et aux cardinaux, il vous aviendra et n’en faites doute. Car, quand l’empereur, les rois et les princes chrestiens vous auront osté les biens et richesses qu’ils vous ont données autres fois, lesquelles vous employez en bombance, orgueil et superfluité, vous demeurerez tous nuds. Où trouvez-vous que saint Pierre et saint Sylvestre chevauchassent à deux ou trois cens chevaux ? Au contraire, ils se tenoyent simplement enclos et cachez dans Rome. »

On devine l’impression que de telles paraboles pouvaient faire sur les cardinaux et le pape. La sainteté de Roquetaillade, son savoir, peut-être aussi la noblesse de sa famille le mettaient à l’abri de leur ressentiment. Pourtant il fut emprisonné. Là, en sa grande nécessité, dit-il, Dieu ne l’abandonna pas. Il l’inspira même, et des loisirs de cette prison sortit un traité en latin sur la propriété de la quintessence des choses.

Lorsque Roquetaillade mourut, il laissa, dit l’historien franciscain Jacques Foderé dans sa Narration historique et topographique des couvents de l’ordre de Saint-François, etc., l’exemple d’une vie admirable, « ayant fait un grand profit à la vigne de Dieu par ses prédications » Il avait donné tous ses biens de Rochetaillée au couvent de Villefranche. Il y fut inhumé. Rabelais, s’il eut la curiosité de visiter la ville capitale du Beaujolais, où Jean Le Maire de Belges avait passé quelques années comme clerc de finances de Pierre de Beaujeu, put voir la sépulture de Roquetaillade, à côté de celles des disciples de saint François ramenés d’Italie par Guichard IV. Elle fut détruite par une inondation en 1584.

Les invectives de Roquetaillade contre la cour pontificale d’Avignon furent bientôt légendaires. Il est fait mention de l’apologue des oiseaux dans la chronique de Guillaume de Nangis et dans Froissart. En même temps on lui prêta le don de prophétie. Dans sa prison, il aurait rédigé des Revelationes ou prédictions. Un livret gothique publié à Paris au début du XVIe siècle les reproduit. Roquetaillade annonçait la venue des deux antéchrists, la désolation totale du clergé, puis la conversion de l’univers à la foi chrétienne.

Enfin, ce personnage était environné du prestigieux mystère qui s’attachait à quiconque avait travaillé au grand oeuvre, à l’abstraction de la quintessence. Rabelais, à Lyon, put entendre parler de son traité d’alchimie dans les cercles des savants imprimeurs. L’un d’eux, Jean de Tournes, eut l’idée de donner de cet ouvrage, non encore imprimé, une traduction française, due à un familier de la reine de Navarre, le Mâconnais Antoine du Moulin : La vertu et propriété de la quinte essence de toutes choses, faite en latin par Joannes de Rupe Scissa (1549). Livre singulier, dans lequel on rencontre, à côté de la recette pour faire « de l’eaue ardent », le remède « pour guérir les empeschemens de vieillesse » et même pour ressusciter les morts : il n’est que d’administrer aux vieillards ou aux moribonds la quintessence de l’or et des perles. Malheureusement, les indications sur la manière d’abstraire cette quintessence manquent de précision.

C’est par le vouloir de Dieu que ces merveilleuses vérités de philosophie ont été révélées à Roquetaillade en sa prison, « par de très hautes illuminations et inspirations ». Il prie Dieu que son livre ne tombe pas entre les mains des avaricieux et des mondains, mais seulement des évangelisans. Ce mot, qui revient sans cesse dans la traduction d’Antoine du Moulin, recommanda sans doute la mémoire de Roquetaillade, à l’époque où les réformateurs français se qualifiaient eux-mêmes d’Évangéliques.

Nous constatons que des écrivains protestants comme Duplessis-Mornay dans son Mystère d’iniquité et Gentillet dans son Discours... contre Machiavel (1576) se plaisent à rappeler l’apologue des oiseaux du sermon en Avignon. La Réforme devait tenir pour un de ses précurseurs ce franciscain qui avait censuré la puissance de la curie pontificale et s’était attaqué aux cardinaux et au pape.

Ainsi s’explique que Rabelais, séjournant à Lyon, se soit intéressé à Roquetaillade. Abstracteur de quintessence, auteur de prophéties, censeur des abus ecclésiastiques, le moine franciscain était devenu un personnage légendaire dont le souvenir se ranimait dans les cercles lettrés aux approches de la Réforme. Rabelais s’est amusé à ajouter un trait plaisant à sa légende, en le rangeant parmi les hommes nés d’une manière merveilleuse.

Il n’a pas fait d’autre mention de Roquetaillade dans son livre. Mais peut-être doit-il à ce moine franciscain le thème du développement satirique qui remplit la première partie du Cinquiesme livre, l’Isle Sonante ? Peut-être est-ce le sermon d’Avignon, où le pape est comparé à un oiseau, qui a donné à Rabelais l’idée de décrire toute la cour pontificale sous les espèces d’oiseaux aux dénominations non équivoques : évégaux, cardingaux et papegaut, unique en son espèce.

 
 
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