3 avril 1367 : bataille de Nájera (Navarrete)

Cette bataille s’était engagée contre l’avis de du Guesclin. Le comte de Tello, frère de Henri de Trastamare (roi de Castille), qui avait montré le plus d’ardeur pour combattre, qui avait même insulté du Guesclin, parce que ce général n’était pas d’avis de livrer bataille, s’enfuit dès le commencement de l’affaire, avec le corps qu’il commandait, soit par lâcheté, soit par trahison. Cette défection imprévue entraîna la perte de la bataille et la prise de du Guesclin.

Son demi-frère Pierre le Cruel, remonté sur le trône, paya de la plus noire ingratitude les services du prince de Galles ; celui-ci l’abandonna et mit du Guesclin en liberté, sachant qu’on l’accusait de le craindre. « On dit que je n’ose vous délivrer, dit-il lui-même à du Guesclin. — On me l’a dit, répond du Guesclin, et cette idée me console de rester prisonnier. — Eh bien, du Guesclin, vous êtes libre ; réglez vous-même votre rançon. —Je la taxe à cent mille florins. — Eh ! où prendrez-vous cet argent ? Depuis quand du Guesclin thésaurise-t-il ? Depuis quand les malheureux lui laissent-ils quelque chose ? —Ce seront ces malheureux même qui m’aideront à leur tour ; il n’y a point, dans mon pays, de bonne femme qui ne se cotise pour ma rançon. D’ailleurs, de grands rois ne m’abandonneront pas, ou tel qui ne s’y attend pas, paiera pour moi. —Oh ! moi, dit la princesse de Galles, je veux être de ces bonnes femmes qui se cotisent pour la rançon de du Guesclin, et je me taxe à vingt mille francs. »

Chandos et d’autres capitaines anglais, offrirent leur bourse à du Guesclin, qui accepta leurs offres, pour en faire son usage ordinaire. Il part pour aller chercher sa rançon ; et sur sa route, il distribue ce qu’il avait d’argent aux malheureux que la guerre avait ruinés ; il comptait sur cent mille francs qu’il avait laissés à sa femme, en partant pour l’Espagne ; mais cette femme, digne de lui, n’eut à lui remettre que la liste des prisonniers qu’elle avait délivrés, et des gens de guerre, démontés ou ruinés, quelle avait remis en état de servir. Du Guesclin, ravi de joie, loua fort la conduite de sa femme.

Cependant le pape, le duc d’Anjou et d’autres seigneurs avaient complété la somme. Du Guesclin croit la porter à Bordeaux, où le prince de Galles faisait sa résidence. Avant d’y arriver, il avait tout donné : les besoins d’autrui lui paraissaient toujours plus pressants que les siens. « Eh bien, lui dit le prince de Galles, apportez-vous votre rançon ? » Du Guesclin avoue qu’il ne lui restait rien. « Ah ! vous voilà, dit le prince, vous faites le magnifique, vous rachetez tout le monde, et vous ne pouvez pas vous racheter vous-même. » Dans l’instant, un gentilhomme, envoyé par le roi Charles V, apporta la rançon de du Guesclin.

Ce grand homme, en prenant congé du prince, lui dit : « A présent que vous nous laisserez faire, soyez sûr que Henri de Trastamare est roi de Castille. » Il tint parole, et Henri remonta sur le trône.