27 décembre 1758 : mort du poète Lagrange-Chancel

Comme auteur dramatique, Lagrange-Chancel, dont la précocité enfantine avait été prodigieuse, ne mériterait pas de sortir de l’oubli : ses tragédies, dont aucune n’est restée au théâtre, lui assignent à peine une place parmi nos littérateurs du troisième ou quatrième ordre ; son vrai titre à la célébrité, ce sont les Philippiques, libelle sanglant, amer, lancé contre le régent, et puni par un emprisonnement de plusieurs années aux îles Sainte-Marguerite.

Ce châtiment ne corrigea point l’auteur, qu’animait un sentiment de haine personnelle, plutôt encore qu’un zèle indiscret pour quelques personnages puissants, ennemis de Philippe. Lagrange-Chancel parvint à s’échapper dans une barque : il se réfugia successivement en Espagne, en Hollande. Rappelé par le duc de Bourbon, il revint en France, et continua d’écrire des satires, n’épargnant ni ses bienfaiteurs, ni ses amis, n’approuvant, ne louant que ses propres ouvrages.

« Lagrange, dit Auger, ne tint pas à beaucoup près ce que semblaient promettre ses dispositions précoces et les leçons d’un aussi grand maître que Racine. Il a pourtant excellé réellement dans une partie essentielle de l’art, qui est l’entente de la scène : ses intrigues sont à la fois compliquées et claires ; les situations frappantes y sont prodiguées : mais un amour fade et ridicule défigure tous ses sujets, dont quelques-uns sont terribles, et sa versification dure, prosaïque et incorrecte efface en quelque sorte tout ce qu’il pourrait y avoir d’énergie, de noblesse et de grâce dans les pensées et dans les sentiments. »

Le régent admirait le style des Philippiques, mais évidemment ce prince se faisait illusion par une sorte de générosité instinctive ou affectée : les Philippiques ne valaient guère mieux, comme ouvrage que comme action. Lagrange-Chancel, né à Périgueux en 1676, retourna mourir près de sa ville natale à l’âge de quatre-vingt-trois ans.