17 octobre 1806 : le général autrichien Mack capitule dans Ulm devant Napoléon et se rend avec trente mille hommes

(Extrait du sixième bulletin de la Grande-Armée)

La journée d’Ulm est une des plus belles journées de l’histoire de France. L’Empereur Napoléon eut pu enlever cette place d’assaut ; mais vingt mille hommes défendus par des ouvrages et par des fossés pleins d’eau, eussent opposé de la résistance, et le vif désir de S. M. était d’épargner le sang. Le général Mack, général en chef de l’armée, était dans la ville ; c’est la destinée des généraux opposés à l’Empereur, d’être pris dans des places. On se souvient qu’après les belles manœuvres de la Brenta, le vieux feldmaréchal Wurmser fut fait prisonnier dans Mantoue ; Mélas le fut dans Alexandrie ; Mack dans Ulm.

L’armée autrichienne était une des plus belles qu’ait eue l’Autriche : elle se composait de quatorze régiments d’infanterie, formant l’armée dite de Bavière, de treize régiments de l’armée du Tyrol, et de cinq régiments venus en poste d’Italie, faisant trente-deux régiments d’infanterie, et de quinze régiments de cavalerie. L’Empereur avait placé l’armée du prince Ferdinand dans la même situation où il plaça celle de Mélas. Après avoir hésité longtemps, Mélas prit la noble résolution de passer sur le corps de l’armée française, ce qui donna lieu à la bataille de Marengo.

Mack prit un autre parti : Ulm est l’aboutissant d’un grand nombre de routes ; il conçut le projet de faire échapper ses divisions par chacune de ces routes, et de les réunir au Tyrol et en Bohême. Les divisions Hohenzollern et Werneck débouchèrent par Haydenheim ; une petite division déboucha par Memmingen ; mais l’Empereur, dès le 20, accourut d’Augsbourg devant Ulm, déconcerta sur-le-champ les projets de l’ennemi, et fit enlever le pont et la position d’Elchingen ; ce qui remédia à tout.

Reddition de la ville d’Ulm

Le maréchal Soult, après avoir pris Memmingen, s’était mis à la poursuite des autres colonnes ; enfin il ne restait plus au prince Ferdinand d’autres ressources que de se laisser enfermer dans Ulm, ou d’essayer par des sentiers de rejoindre la division de Hohenzollern. Ce prince prit ce dernier parti : il se rendit à Alen avec quatre escadrons de cavalerie. Cependant le prince Murat était à la poursuite du prince Ferdinand. La division Werneck voulut l’arrêter à Langenau ; il lui fit trois mille prisonniers, dont un officier général, et lui enleva deux drapeaux. Tandis qu’il manœuvrait par sa droite à Heydenheim, le maréchal Lannes marchait par Alen et Nordlingen. La marche de la division ennemie était embarrassée par cinq cents chariots, et affaiblie par le combat de Langenau.

A ce combat, le prince Murat fut très satisfait du général Klein. Le 20^e régiment de dragons, le 9^e d’infanterie légère et les chasseurs de la garde impériale se sont particulièrement distingués. L’aide-de-camp Brunet a montré beaucoup de bravoure. Ce combat ne retarda point la marche du prince Murat ; il se porta rapidement sur Neresheim ; et le 25, à cinq heures du soir, il arriva devant cette position. La division de dragons du général Klein chargea l’ennemi. Deux drapeaux, un officier général et mille hommes furent de nouveau pris au combat de Neresheim. Le prince Ferdinand et sept de ses généraux n’ont eu que le temps de monter à cheval. On a trouvé leur dîner servi. Depuis deux jours, ils n’ont aucun point pour se soustraire à l’armée française qu’en se déguisant ou en s’enfuyant avec quelques escadrons par quelques joutes détournées d’Allemagne...

Le même jour, l’Empereur était maître de Memmingen, et le 25 d’Ulm ; il avait pris à l’ennemi aux combats de Wertingen, de Güntzbourg, d’Elchingen, aux journées de Memmingen et de Ulm, et aux combats d’Albrech, de Langenau et de Neresheim, quarante mille hommes, tant d’infanterie que cavalerie ; plus de quarante drapeaux, un très grand nombre de pièces de canon, de bagages, de voitures ; et pour arriver à ces grands résultats, il n’avait fallu que des marches et des manœuvres.

Dans ces combats partiels, les pertes de l’armée française ne se montèrent qu’à cinq cents morts et mille blessés. Aussi le soldat disait-il : « L’Empereur a trouvé une nouvelle méthode de faire la guerre ; il ne se sert que de nos jambes et pas de nos baïonnettes. » L’Empereur traversant une foule de prisonniers ennemis, un colonel autrichien témoignait son étonnement de voir l’Empereur des Français trempé, couvert de boue, autant et plus fatigué que le dernier tambour de l’armée : un de ses aides-de-camp lui ayant expliqué ce que disait l’officier autrichien, l’Empereur lui fit répondre : « Votre maître a voulu me faire ressouvenir que j’étais on soldat ; j’espère qu’il conviendra que le trône et la pourpre impériale ne m’ont pas fait oublier mon premier métier. »

Le spectacle que l’armée offrait dans la journée du 23 était intéressant. Depuis deux jours la pluie tombait à seaux ; tout le monde était trempé ; le soldat n’avait point eu de distributions ; il était dans la boue jusqu’aux genoux ; mais la vue de l’Empereur lui rendait la gaieté ; et du moment qu’il apercevait des colonnes entières dans le même état, il faisait retentir le cri de vive l’Empereur ! On rapporte aussi que l’Empereur répondit aux officiers qui l’entouraient, et qui admiraient combien, dans le moment pénible, les soldats oublient toutes les privations, et ne se montrent sensibles qu’an plaisir de le voir. « Ils ont raison ; car c’est pour épargner leur sang que je leur fais essuyer de si grandes fatigues. »

L’Empereur, lorsque l’armée occupait les hauteurs qui dominent Ulm, fit appeler le prince de Lichtenstein, général-major, enfermé dans cette place, pour lui faire connaître qu’il désirait qu’il capitulât, lui disant que s’il la prenait d’assaut, il serait obligé de faire ce qu’il avait fait à Jaffa, où la garnison fut passée au fil de l’épée ; que c’était le triste droit de la guerre ; qu’il voulait qu’on épargnât à la brave nation autrichienne la nécessité d’un acte aussi effrayant ; que la place n’était pas tenable ; qu’elle devait donc se rendre.

Le prince insistait pour que les officiers et soldats eussent la faculté de retourner en Autriche. « Je l’accorde aux officiers et non aux soldats, a répondu l’Empereur ; car qui me garantira qu’on ne les fera pas servir de nouveau ? » Puis, après avoir hésité un moment, il ajouta : « Hé bien, je me fie à la parole du prince Ferdinand. S’il est dans la place, je veux lui donner une preuve de mon estime, et je lui accorde ce que vous me demandez, espérant que la cour de Vienne ne démentira pas la parole d’un de ses princes. » Sur ce que M. de Lischtenstein assura que le prince Ferdinand n’était point dans la place ; « Alors, je ne vois pas, dit l’Empereur, qui peut me garantir que les soldats que je vous enverrais ne serviront pas. »