24 août 1799 : les défaites multipliées obligent le général Bonaparte à quitter l'Egypte

Dès le lendemain de la bataille d’Aboukir, Bonaparte retourna à Alexandrie. Il avait été informé par quelques communications avec des parlementaires des vaisseaux anglais, des premiers revers qu’avaient essuyés les armées de la république en Italie et sur le Rhin. Il était instruit de cette funeste lutte, entre les factions qui, opprimant alternativement la France, cherchaient dans leur mutuelle destruction la garantie et la durée de leur pouvoir.

Bonaparte eut alors à délibérer s’il fallait conserver l’Egypte ou sauver la France : mais il ne pouvait longtemps hésiter entre la gloire d’affermir une colonie à peine fondée, et l’obligation de sauver, de servir et de défendre sa patrie. Aussi, dans une telle circonstance, l’avantage d’avoir terminé d’un seul coup, pour cette campagne, les opérations militaires en Egypte, fut pour lui le plus agréable trophée de la victoire d’Aboukir : il consacra la mémoire des principaux officiers qu’il y avait perdus, en attachant leurs noms aux différents forts réparés, ou nouvellement construits pour la défense de la ville et du port d’Alexandrie.

De retour au Caire, il s’occupa d’assurer l’ordre intérieur : la tranquillité qui avait régné pendant l’expédition d’Aboukir lui fut un gage suffisant de durée ; il ne négligea point d’encourager ces dispositions des habitants envers les Français, par des preuves de confiance et par des présents donnés aux chefs de l’administration ; il cultiva l’affection des peuples, en montrant de nouveaux égards pour leurs coutumes religieuses. La fête du prophète fut célébrée avec beaucoup de pompe en présence de Mustapha-Pacha et des officiers turcs qui avaient été pris avec lui à Aboukir.

Le Muiron, frégate ramenant Bonaparte d’Egypte en 1799

Tout était tranquille au dedans ; les places, les forts et les batteries des côtes étaient bien armés, et abondamment approvisionnés. Ces défenses pouvaient encore être perfectionnées, avant que le commodore Sydney pût faire de nouveaux préparatifs, et former, avec les différents corps partis de Salonique et des Dardanelles, une autre armée de débarquement, l’avant-garde du grand-vizir arrivait à peine au camp de Damas, et le manque d’approvisionnements qui avait retardé sa marche, l’épuisement des provinces de Syrie, et le peu d’accord qui régnait entre le ministre ottoman et le vieux pacha de Saint-Jean-d’Acre, devenu plus jaloux et plus intraitable depuis ses succès, ne permettaient pas de craindre que les frontières de l’est fussent prochainement menacées.

Les derniers moments du séjour de Bonaparte furent employés à assurer la solde de l’armée, à prévenir ses besoins, à décerner des récompenses. La distribution de 35000 habits aux seuls corps d’infanterie (distribution dans laquelle ne furent point compris les soldats qui avaient été habillés l’année précédente) est remarquable, à cause de l’idée qu’elle donne d’une force numérique et de moyens de recrutement qu’on ne croyait pas aussi considérables.

Telle était la situation intérieure et extérieure de l’Egypte, lorsque Bonaparte osa, comme autrefois César, quitter son armée, et confier aux flots sa fortune. Il s’en ouvrit, dit-on, seulement au général Berthier. Il donna l’ordre à l’amiral Gantheaume de se préparer à appareiller avec deux frégates, un aviso et une tartane, sans l’instruire de la destination de ces bâtiments. Les personnes auxquelles il accorda la périlleuse faveur de l’accompagner, furent les généraux Lannes, Marmont, Murat, Andréossi ; les savants Monge et Berthollet ; le chef de brigade Bessières et les guides, qui reçurent des billets cachetés, qu’ils ne devaient ouvrir que le 5 fructidor (22 août) à telle heure et à tel point du rivage.

Ils y trouvèrent l’ordre de s’embarquer sur-le-champ, et sans se permettre aucune communication : un semblable paquet, qui ne devait être ouvert que vingt-quatre heures après le départ des bâtiments, fut destiné au général Kléber, et renfermait pour lui la nomination de commandant général ; et pour Desaix, celle de commandant dans la Haute-Egypte. Cette confiance dans le bon esprit de son armée, et dans la fermeté et l’influence du caractère des généraux Kléber et Desaix, ne pouvait naître que d’un dévouement entier et réciproque entre les chefs et les soldats.

Ce ne fut que le 7 fructidor (24 août) que Bonaparte, contrarié d’abord par les vents, quitta la rade d’Aboukir, et après avoir eu seulement connaissance d’une frégate anglaise en croisière sur la côte, il lit voile pour l’île de Corse, et relâcha à Ajaccio, le 1^er octobre ; il en partit sept jours après, et ses deux frégates ayant été chassées par une escadre anglaise, il ne permit point au contre amiral Gantheaume, qui ne voyait presque aucune apparence de salut, de virer de bord vers la Corse ; il voulut suivre son étoile, et elle lui fut aussi favorable à la vue des côtes de France, qu’elle l’avait été l’année précédente, à la vue des côtes d’Egypte : il évita les attérages de Toulon, et les croiseurs qui pouvaient s’y trouver, entra au port dé Fréjus, et prit terre en France, le 14 octobre, le quarante-septième jour depuis son départ d’Egypte.