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3 janvier 1670 : mort de George Monk, duc d'Albemarle

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Éphéméride, événements
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3 janvier 1670 : mort de George Monk
Publié / Mis à jour le vendredi 13 novembre 2009, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 

Entre les hommes qui ont pris place dans les grandes scènes de l’histoire, la destinée de Monk a été singulière : célèbre et obscur à la fois, il a attaché son nom à la restauration des Stuart, et n’a du reste laissé de lui-même et de sa vie presque aucun autre souvenir. Un jour, il a disposé seul, avec éclat, d’un trône et d’un peuple ; la veille et le lendemain on l’aperçoit à peine dans la foule où il marche confondu. C’est qu’en effet il est des hommes qui n’ont qu’un jour, une heure où se déploient librement toutes leurs facultés, où leurs talons, leurs vices même se puissent exercer dans toute leur énergie : hommes singuliers, qui pourraient s’ignorer eux-mêmes et se contenter du sort le plus vulgaire, si l’événement auquel ils conviennent seuls ne venait se placer en quelque sorte sous leur main et les contraindre à prendre leur part de sa grandeur. Tel était Monk : aucune ambition élevée, aucun besoin de pouvoir ou de gloire n’agita jamais sa pensée ni sa vie. Issu d’une famille ancienne et considérée, mais ruinée, dans le comté de Devon, il entra fort jeune encore, en qualité d’enseigne, dans le régiment du comte d’Oxford, engagé au service de Hollande. L’Allemagne et les Pays-Bas étaient à cette époque le rendez-vous de tous les jeunes Anglais que leur goût ou le mauvais état de leur fortune poussait au métier des armes. Quiconque se sentait capable de faire ressource de sa bravoure l’allait vendre à prix de solde au lieu où s’en tenait le marché. Là se formait une classe d’hommes hardis au danger, prudents sur leurs intérêts, soumis en toute occasion à ces habitudes de calcul qui avaient fait de leur vie une marchandise ; mélange bizarre de mouvements brillants et de sentiments subalternes, d’indifférence pour le bien et d’attachement à certains devoirs ; dressés par leur ’état à se passer de vertus en se préservant de beaucoup de vices. Tels devenaient la plupart de ces officiers que l’Angleterre envoyait alors s’instruire et s’avancer dans les guerres étrangères, et qui, sous le nom d : officiers de fortune, ont joué dans les guerres civiles de sa révolution un assez grand rôle. Dénués d’opinions et de principes, ils ne manquaient pas d’un certain honneur ; quand ils se trouvèrent lancés au milieu des vicissitudes des partis, on les vit rarement se résoudre à quitter avant terme le drapeau auquel ils avaient loué pour un temps leur fidélité, et leur courage. Peu ou point d’amour de la patrie, mais un vif sentiment de fraternité pour les hommes dont ils avaient partagé les périls, en faisait des citoyens peu sûrs et d’excellents camarades. Indifférents aux souffrances du peuple, ils savaient épargner celles du soldat ; réguliers même dans l’injustice et la violence, ils n’y ajoutaient point le mal du désordre ; leur brutalité était dure, mais non emportée ; leur avidité se soumettait aux lois de la discipline, et cette honteuse ardeur de pillage, qui fit des nobles Cavaliers la terreur de l’Angleterre, a été rarement reprochée aux officiers de fortune. Monk était l’un d’entre eux : supérieur à tous par ses facultés, semblable à tous par ses goûts et ses besoins, ses talents s’élevèrent avec les circonstances, mais non ses sentiments avec sa situation. Il fit de grandes choses sans s’agrandir, et porta, dans la destinée d’un homme qui a changé la face d’un empire, les idées et les habitudes qu’avait formées en lui l’obscure fortune d’un soldat mercenaire.

Il gouvernait l’Ecosse au nom de Cromwell, lorsque la mort du Protecteur vint rouvrir à tous les partis, républicain, presbytérien, Cavalier, l’arène que leur fermait depuis sept ans son habile tyrannie. Ils se hâtèrent tous d’y rentrer ; mais ceux qui avaient successivement triomphé dans la révolution s’étaient usés l’un après l’autre dans le gouvernement ; puissants et renversés tour à tour, tous avaient donné le secret de leurs erreurs, de leurs violences et de leur faiblesse. La royauté seule, depuis vingt ans, n’avait pas été mise à l’épreuve ; seule, elle avait encore à faire des promesses auxquelles on n’eût pas été trompé : on en attendait le bien parce qu’on n’en avait reçu aucun mal récent ; on y revenait enfin après tant d’agitations, comme au toit paternel qu’a fait quitter l’espérance et où ramène la fatigue. La restauration des Stuart était donc l’espoir et le désir de cette masse de la société qui, sauf quelques moments d’exaltation, aspire en général au repos politique pour se livrer sans distractions aux affaires de la vie civile. Les presbytériens, en prenant eux-mêmes en main la cause royale, voulaient empêcher qu’elle ne triomphât sans conditions ni garanties ; mais il y avait lieu de présumer que leurs intentions seraient déçues, et que, lorsqu’ils auraient ouvert au roi les portes, le peuple, n’ayant plus à choisir qu’entre eux et lui, ne leur laisserait pas le temps de disposer de leur victoire. Monk e’tait fait pour croire que tel serait le cours des événements et pour s’en applaudir ; peu touché des droits ou des besoins de la. liberté, et très blessé des inconvénients de l’anarchie, il ne s’inquiétait guère de la nature et des limites du pouvoir, soit qu’il l’exerçât ou qu’il le subît. Un pays lui semblait suffisamment heureux quand il est tranquille et gouverné ; et il savait très bien, pour son propre compte, que de la puissance du maître dépend la fortune des serviteurs ; il était en mesure de devenir auprès de Charles Stuart le serviteur le plus utile et le mieux récompensé ; il n’eut pas une autre pensée. Ses secrètes habiletés avaient toujours ménagé lés royalistes ; dès qu’ils s’adressèrent à lui avec espoir de succès, ils furent accueillis, quoique sous le plus grand mystère. Monk n a jamais traité sincèrement qu’avec eux ; et dans sa marche tortueuse vers la restauration, un seul sentiment éclate et domine, le désir de la soustraire à toute autre influence que la sienne, afin de pouvoir la livrer complète et libre au prince dont il en devait recevoir le prix.

Il y réussit au-delà de son espérance, et peut-être même de son désir. Après six mois d’habiles manœuvres et d’imperturbables mensonges, parvenu enfin à annuler complètement, sans jamais recourir à la force, tous les rivaux et tous les partis, le 23 mai 1660, il reçut Charles II sur le rivage de Douvres ; et malgré l’accueil reconnaissant du roi, qui l’embrassa en l’appelant son père, telle fut à ce premier abord l’humilité de son maintien que, selon l’éloge d’un de ses biographes, il semblait venu pour implorer son pardon plutôt que pour recevoir des remerciements. Mais en dépit de ces formes extérieures, Monk avait le sentiment de l’autorité que lui donnait sa situation, et, en se démettant du pouvoir entre des mains si neuves à le manier, il croyait avoir à donner quelques conseils, ou du moins quelques renseignemenst : aussi, lorsque le même jour, arrivé à Cantorbéry, le roi se vit délivré de la foule intéressée dont il avait eu à écouter les demandes encore plus que les félicitations, Monk entra chez lui, et, sans imaginer qu’il eût à s’excuser auprès de Sa Majesté d’une si haute présomption, lui dit qu’il ne croyait pouvoir la mieux servir qu’en lui indiquant les hommes les plus propres à servir le pays ; il lui présenta donc une liste que Charles, surpris et troublé, mit dans sa poche sans oser discuter un conseil qu’il était disposé à prendre pour un ordre. Epouvanté du torrent des prétentions royalistes qui venaient de fondre sur lui sans pudeur comme sans ménagement, il crut se voir au même moment assiégé des exigences révolutionnaires, et se vit déjà en proie à tous les embarras de la royauté. Hyde, depuis lord Clarendon, arriva ; Charles lut avec lui la liste ; le chancelier fut encore plus consterné que son maître : pas un homme sur cette liste qui eût servi le roi, si ce n’est le marquis de Hertford et le comte de Southampton, tous deux connus pour n’avoir près de lui aucun besoin de recommandation. A côté d’eux étaient placés les chefs presbytériens et presque tous les hommes marquants de ce parti national qu’avaient soulevé, dans les premières années de la révolution, la haine du despotisme et la nécessité de la résistance. Monk y avait ajouté quelques-uns de ceux que le progrès des partis avait élevés d’une condition inférieure au maniement des affaires. Ces hommes avaient, en différents temps, gouverné le pays, ils avaient partagé sa fortune, ils le connaissaient et en étaient connus. C’était à ceux-là, selon son opinion, que devait s’adresser un roi nouveau, entouré de conseillers aussi étrangers que lui aux intérêts qui depuis vingt ans agitaient la nation. Monk ne devinait pas les ridicules embarras qui, à la suite d’un roi et d’une cour, allaient rentrer dans les affaires, non plus que le roi et son ministre n’étaient en état de comprendre un homme si peu soucieux des convenances de la royauté et des anciens usages de la monarchie.- Mais on le craignait encore ; et plus son pouvoir était grand, plus il paraissait dangereux de s’y soumettre ou de le rejeter, il fut résolu, après quelque délibération, que le chancelier irait trouver Morrice, principal confident de Monk, qu’il ne connaissait pas encore, et lui représenterait combien de si étranges choix feraient tort au jugement du roi ou à sa dignité, si on venait à imaginer qu’il se les fût laissé imposer par le général. Morrice, surpris à son tour de l’effet de cette liste, écrite de sa main et probablement d’après ses conseils, protesta de l’innocence des intentions du général, et revint bientôt de sa part supplier le roi de n’attacher aucune importance à ces recommandations dont la plupart n’avaient eu d’autre objet que de dégager sa parole envers des gens auxquels il n’avait pu se dispenser de promettre ses services, protestant que dès ce jour son premier désir, dans toutes les propositions qu’il pourrait se permettre, serait qu’elles ne gênassent en rien la liberté des choix clé Sa Majesté. Charles et son ministre commencèrent à comprendre qu’ils ne devaient pas tant redouter cette tutelle qui les avait d’abord effrayés ; cependant un peu plus de connaissance du pays leur apprit bientôt à moins écouter leurs répugnances, et la recommandation de Monk obtint ce que lui purent accorder l’orgueil aristocratique et la dignité des rancunes royales. Quant à lui, il reçut le lendemain l’ordre de la Jarretière et l’entrée au conseil ; bientôt après lui fut expédié le brevet de lieutenant-général des armées des trois royaumes ; et entre les charges de la couronne offertes à son choix, il prit celle de grand-écuyer. Enfin il fut créé duc d’Albe- marle, comte de Torrington, baron Monk de Potheridge, Beau- champ et Fées ; et aux pensions annexées par ses lettres patentes à ces hautes dignités, on ajouta une dotation perpétuelle de sept mille livres sterling de revenu en terres prises sur les domaines de la couronne. Enfin, pour le retenir plus assidûment auprès du roi, on le nomma gentilhomme de la chambre.

Charles avait senti la nécessité de s’attacher fortement le seul homme en état de contenir l’armée toujours sur pied et de plus en plus mécontente. A travers le bruit des acclamations, la revue des troupes à Blackheath avait offert un aspect peu rassurant : ces vieux soldats, ces officiers de l’ancienne armée, dont le maintien glace n’annonçait que l’obéissance, présentaient aux regards du roi âne force immobile, mais irréconciliable, et qui ne pouvait sortir de sa froideur que pour se tourner contre lui. En effet, ce calme apparent cachait une profonde colère que chaque jour devait aigrir encore : une armée toujours victorieuse, et naguère maîtresse du pays, ne cédait qu’en frémissant la place à ce parti de vaincus qu’on voyait soudainement reparaître de tous côtés pour occuper les premiers rangs ; elle se croyait humiliée, se sentait dédaignée ; l’orgueil aristocratique de cet essaim de Cavaliers transformés par la restauration en gens de cour, repoussait dans l’obscurité tous les hommes qui avaient naguère obtenu ou espéré quelque éclat. La bruyante liberté de leurs manières insultait à la roideur un peu gauche des anciens officiers, embarrassés de leur situation, contenus par leurs habitudes ; et les désordres dont se faisait gloire cette jeunesse licencieuse étaient le scandale d’un parti grave jusque dans ses folies. Le jour de l’arrivée du roi, en voyant passer une troupe brillante de volontaires qui, parés de plumes et d écharpes, se rendaient au devant de lui, quelqu’un dit à Monk : « Vous n’en aviez pas de cette espèce en quittant l’Ecosse ; les sauterelles » elles papillons ne paraissent pas par la gelée. » Les soldats avaient en mépris les nouveaux officiers que Monk, dans les derniers temps, avait mis à la tête de plusieurs régimens ; les réunions devenaient fréquentes, les propos étaient violens ; mais Monk imposait, et nul chef n’était en état de rallier contre lui des forces tint soit peu considérables. Les mécontents formèrent plusieurs fois le projet de l’assassiner ; ils en furent du moins soupçonnes : on ne parlait que de complots ; les espions étaient répandus de tous côtés, payés à la fois par les deux partis qu’ils trahissaient également.

Charles, inquiet de cet esprit des troupes, fatigué des ménagements auxquels l’obligeait encore un pouvoir qui n’était pas entre ses mains, aspirait au moment de licencier l’armée ; et Monk, prêt à tout, évitait avec soin qu’on pût lui soupçonner la moindre répugnance pour une mesure qui devait mettre un terme à son importance. A la fin, le licenciement fut voté et s’exécuta sans obstacle.

Monk déclara au parlement qu’il avait donné des ordres pour qu’aucun des officiers ou soldats congédiés ne fût reçu dans le régiments de nouvelle levée, ou admis dans la suite à remplir les emplois vacans ; il leur obtint, en dédommagement, le privilège d’entrer dans les corporations commerçantes qu’ils voudraient choisir. Mais en leur assurant ainsi des moyens de subsistance que presque tous adoptèrent avec une résignation et une fermeté remarquables, il n’apaisa point l’amertume de leurs cœurs contre un chef qui les avait renonces avec tant d’éclat.

On était désormais trop sûr de Monk pour se croire obligé à la déférence. Ses conseils, ordinairement bons, étaient rarement suivis ; il les retirait sans humeur ni insistance, et peu empressé à les offrir, ne les refusait jamais : attentif à ne point empiéter sur la juridiction des autres, il n’avait garde de défendre la sienne contre les entreprises d’un homme puissant ou en faveur ; son maintien était celui d’un courtisan qui a sa fortune à faire auprès de tout le monde, et tout le monde savait que l’argent pouvait, auprès du duc d’Albemarle, racheter beaucoup de torts ; on l’accusait même de se laisser trop facilement aveugler sur les profits que tirait sa femme de la nomination aux emplois de la grande écurie dont il avait la disposition ; les manières et les habitudes de la duchesse, plus vulgaires encore et moins simples que celles de son mari, étaient la risée d’une cour spirituelle et moqueuse, et répandaient sur l’existence du vieux général un ridicule auquel eût à grand peine résisté une considération mieux affermie.

Bien que toujours assidu au conseil privé et à la chambre des lords, il disparaissait insensiblement des affaires, lorsqu’à la fin de 1661 il tomba dangereusement malade : telle avait été la vigueur de son tempérament que, dans sa jeunesse, on l’avait vu, durant une campagne, guérir de la petite vérole presque sans cesser un seul jour de marcher à la tête de sa compagnie. Mais depuis quelque temps il paraissait s’affaiblir avant l’âge ; et cette première atteinte d’un mal auquel il devait succomber peu d’années après, le laissa sujet à de graves infirmités, attaqué d’asthme, disposé à la pesanteur et à l’assoupissement. Il semblait même avoir renoncé à l’activité qui lui était peut-être nécessaire, lorsqu’une occasion imprévue vint ranimer l’énergie encore cachée dans ce corps épais et caduque. En 1665, au moment où la guerre commençait entre l’Angleterre et la Hollande, la peste éclata à Londres avec tant de violence qu’un inexprimable effroi saisit tous les habitants : les riches fuyaient, les pauvres mouraient au nombre de six mille et dix mille par semaine. La famille royale s’éloigna ;le parlement fut convoqué à Oxford ; on y transporta également les cours de justice ; la plupart des hommes en autorité abandonnaient tout pour éviter la contagion. Monk demeura, et, chargé du gouvernement de la ville, il veilla à tous les besoins, brava tous les dangers, recevant à toute heure et sans difficulté quiconque avait affaire à lui ; et secondé par la courageuse charité de l’archevêque de Cantorbéry, il établit l’ordre au milieu de cette effroyable confusion, sauva du pillage les biens abandonnés, de la famine les malheureux à qui leur misère ne permettait pas d’aller mourir de faim ailleurs, fut enfin la providence de Londres et reprit cette popularité’ qu’il savait mériter dès qu’éloigné de la vue corruptrice du pouvoir, il se retrouvait avec sa seule raison, sa fermeté et son amour de l’ordre, en présence des droits et des besoins des hommes.

La peste à peine cessée, et la guerre de Hollande continuant toujours, le roi demanda à Monk de prendre le commandement de la flotte ; il accepta, et dès que sa nomination fut connue, dès qu’on le vit, avec sa tranquille et infatigable activité, surveiller les préparatifs de la campagne, agrès, vivres, munitions, les matelots vinrent enfouie, « bien sûrs, disaient-ils, que l’honnête George prendrait soin qu’ils fussent toujours bien nourris et exactement payés. » La campagne fut, en dernier résultat, plus défavorable aux Anglais qu’à leurs adversaires ; mais la bravoure de Monk s’y déploya avec un éclat qui saisit d’admiration, et même de quelque crainte, les spectateurs les plus rapprochés. A la première apparition de la flotte hollandaise, Monk n’avait autour de lui qu’une partie de la sienne ; quelques-uns de ses officiers ne semblaient pas exempts de doute sur les conséquences d’un brusque engagement : « Au moins, dit-il, je suis sûr d’une chose, c’est que je ne serai pas pris ; et en le voyant charger et mettre dans sa poche un pistolet, « l’idée nous vint, dit le jeune duc de Buckingham, qui servait sur son bâtiment, que ce diable d’homme méditait de mettre le feu à la soute aux poudres, s’il se trouvait en danger de tomber entre les mains de l’ennemi : aussi nous tînmes nous constamment à ses côtés, formant entre nous le plaisant complot de le jeter par-dessus le bord, si nous le voyions près d’accomplir un tel dessein. »

Après quatre mois de campagne, Monk s’était replié sur la côte d’Angleterre pour remettre en état sa flotte délabrée, lorsqu’il reçut la nouvelle de l’effroyable incendie qui, le 2 septembre 1666, réduisit en cendres la cité de Londres presque tout entière. Le roi, la cour, les magistrats, le peuple, tous étaient saisis d’épouvanté et de stupeur ; les plus absurdes soupçons, les bruits les plus étranges circulaient et trouvaient créance, et au milieu des égarements d’imagination et de colère de la multitude qui s’en prenait de tous ses maux à l’incurie ou à l’incapacité de la cour, on entendait dire : « Ah ! si le vieux George eût été ici, la cité ne serait pas brûlée. » Le roi se hâta de le rappeler pour l’employer du moins à réparer les effets du désastre. L’année suivante, lorsque les Hollandais, qui avaient appris à mépriser, sinon le peuple anglais, du moins ses maîtres, vinrent faire à Châtain une descente, brûler dix-neuf vaisseaux et menacer Londres même, ce fut encore Monk qui partit sur le champ, à la tête de quelques compagnies, pour opposer quelque résistance à cette insultante agression. Les Hollandais se rembarquèrent ; Monk cependant, qui s’était porte’ aux avant-postes, entendit siffler leurs balles à ses oreilles : un de ses officiers l’engageait à s’éloigner un peu : « Monsieur, lui dit Monk, si je craignais les balles, il y a longtemps que j’aurais quitte ce métier-ci. »

Il s’en acquittait pour la dernière fois. Au retour de cette expédition, ses infirmités, son asthme surtout, et les menaces d’hydropisie redoublèrent de violence ; il se sentit incapable de travail, et partit pour sa terre de New-Hall, dans le comté d’Essex, plutôt pour mourir au sein du repos de la campagne qu’avec l’espérance d’en recevoir quelque soulagement. Il écoutait peu les médecins, se refusait à leurs remèdes, et triste depuis plusieurs années, sans parler à personne de sa tristesse, ni en dire les causes, il répondait simplement à Gumble, son chapelain, qui l’exhortait à soigner sa santé : « Pourquoi vivrais-je ? » A New-Hall cependant, un de ses voisins, jadis officier dans son armée, lui parla de certaines pilules souveraines, disait-on, contre l’hydropisie, et que vendait à Bristol un nommé Salmon, qui avait aussi servi sous ses ordres en Ecosse comme simple soldat. Ce conseil et ce remède d’anciens camarades inspirèrent au vieux général plus de confiance que le savoir des docteurs : il fit venir des pilules de Salmon et s’en trouva d’abord si bien qu’il retourna à Londres vers la fin de l’été. Mais peu après son arrivée, dans les dernier ? jours de décembre 1669, l’hydropisie fit des progrès effrayants ; et Monk, trop ferme pour perdre en cette occasion son habitude de voir les choses comme elles étaient, annonça lui-même qu’il n’avait plus que peu de jours à vivre. Une dernière affaire lui tenait fortement au cœur, le mariage de son fds Christophe avec lady Elisabeth Cavendish, fille du duc de Newcastle ; il en pressa la conclusion avec la même activité, les mêmes soins qu’il eût pu y apporter en pleine santé, et le 26 décembre le mariage fut célébré en effet dans sa chambre, dont il ne sortait plus. Rien ne le tira plus dès lors de son indifférence sur les autres comme sur lui-même ; on le pressait de recommander sa famille au roi, qui venait le voir presque tous les jours : « C’est inutile, dit-il ; je ne doute point de la bonté du roi pour moi et les miens. » II écoutait froidement les discours de Gumble, qui se croyait tenu de le préparer à sa fin prochaine, et en parlait lui-même avec la même froideur à ses amis qu’il ne cessait point de recevoir. Enfin, le 3 janvier 1670, vers neuf heures du matin, assis en silence dans son fauteuil, il soupira, détourna la tête, et mourut. Homme capable de grandes choses, quoiqu’il n’eût point de grandeur dans l’âme, et qui valait mieux que le nom qu’il a laissé dans l’histoire, quoiqu’elle ait eu droit de le flétrir.

Il fut enseveli à Westminster, au milieu des tombeaux des rois, dans la chapelle de Henri VII. Charles II, en personne, accompagna son convoi. Aucun monument n’y fut érigé à sa mémoire ; seulement on y conserve encore, dans une caisse de bois, l’effigie qui servit à ses funérailles. Son fils Christophe mourut sans enfants, en 1688. — Guizot.

 
 
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