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Perte d'identité des régions de France due à la centralisation démocratique. Uniformisation, oubli du patrimoine

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Perte d’identité de nos régions
due au nivellement par la centralisation ?
(D’après « Ma Revue hebdomadaire illustrée », paru en 1907)
Publié / Mis à jour le jeudi 15 mai 2014, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
« Une petite pièce exquise, en vers harmonieux et sonores » d’Elzéar Rougier, donnée au Théâtre rustique de Marseille et dénonçant le goût fâcheux des paysannes du Midi, qui abandonnent leur costume pour les toilettes des villes, offre en 1907 à l’hebdomadaire Ma Revue l’occasion de rappeler combien ce combat s’inscrit en droite ligne de celui mené par le célèbre Frédéric Mistral, qui fustige une centralisation émiettant les souvenirs, légendes, langue, costumes, terroir, âme de nos provinces

Aux yeux d’Antoine Albalat, de Ma Revue, cette protestation courageuse de Rougier mérite d’être louée, les costumes locaux se perdant de plus en plus : même en Bretagne, on peut prévoir le moment où le paysan renoncera à son vêtement national. La pièce de M.&nbsp ;Rougier s’appelle la Damote, poursuit notre journaliste. La damote est un genre de femmes qui n’est pas spécial à la Provence ; on la rencontre partout.

C’est la paysanne qui veut s’habiller comme une dame et parler français comme une dame. Notre ami Rougier a raison de se moquer. L’intention de cette pièce entre tout à fait dans la grande pensée de propagande décentralisatrice, soutenue et propagée par Mistral et le Félibrige – association visant à la sauvegarde et à la promotion de la langue, de la culture et de tout ce qui constitue l’identité des pays de langue d’oc, fondée en mai 1854 par sept poètes provençaux dont Frédéric Mistral.

Costume provençal

Costume provençal

Le programme de Mistral, qui date de loin et n’a pas changé, est raisonnable et logique, et peut très bien s’appliquer à toutes les régions de la France. Ses revendications sont celles de toutes les provinces françaises, puisqu’elles visent la tradition, les coutumes et les mœurs, autant de choses que Mistral veut conserver et défendre. La maintenance est un mot qui résume tout.

Il s’agit, écrit encore Albalat, de sauver l’originalité d’une région et d’une race, en maintenant l’usage de la langue natale, que l’on proscrit des écoles, et celui du costume, qui tend de jour en jour à disparaître. Le mouvement de restauration provençale, tenté par le Félibrige a malheureusement été combattu par la grande Centralisation démocratique.

Cependant la résistance continué. Après vingt ans de français obligatoire, le paysan parle toujours provençal ; et, dans les villages, les enfants n’emploient le français qu’à l’école. Dernièrement, symptôme d’encouragement significatif, la Faculté des lettres d’Aix recevait une thèse présentée publiquement en langue provençale. C’est la première fois qu’un pareil fait se produit ; et si Mistral a dédaigné l’Académie, c’est parce qu’il n’a pas voulu renoncer à sa langue maternelle, et qu’on lui a refusé de prononcer son discours en provençal.

Quant au costume de Provence, les filles du peuple ont bien tort de l’abandonner, estime notre chroniqueur. Il n’y a plus guère, à Arles, et à Avignon, que les gens de la campagne qui consentent encore à le porter, et c’est dommage. La mode arlésienne sied à merveille à ces belles filles Habillées à la façon des villes, elles perdent leur caractère et leur beauté, et ne parviennent pas à avoir l’air qu’elles recherchent. Ce ne sont plus des paysannes et ce ne sont pas des demoiselles. A quoi bon, alors ? lance-t-il.

Mistral a fait tout ce qu’il a pu pour réagir contre cette mauvaise imitation. Et Albalat de rappeler que quelques années auparavant fut organisée à Arles, sous l’initiative et la présidence du Félibrige, une fête pour la maintenance du costume national, où accoururent toutes les filles des villages environnants. Jamais on n’avait vu à Arles tant d’arlésiennes authentiques vêtues de la toilette qui fait si merveilleusement valoir une beauté de race que les siècles n’ont pu détruire, s’enflamme le journaliste.

Elles arrivèrent en carriole, avec leurs familles, leurs cousins, leurs amoureux ; puis on signala les filles de Maillane, ayant Mistral à leur tête, et ce fut un spectacle inoubliable, par un beau ciel d’avril découpant les Arènes, lorsque, devant la foule assemblée au théâtre antique, Mistral se leva et prit la parole pour conjurer les filles du peuple de garder fidèlement leur jolie robe arlésienne. Les applaudissements ne cessèrent pas. Le coup d’œil était merveilleux.

Albalat nous apprend que Charles Roux vient alors de publier un superbe et luxueux volume sur l’histoire du costume en Provence, qui complète la documentation du Musée arlésien organisé par Mistral. Le grand poète de Mireille sait que le costume fait partie non seulement de la personne physique, mais de la personne morale, et que, pour ne pas changer d’âme, il faut d’abord ne pas changer d’habit, affirme encore le journaliste.

Mœurs, traditions, coutumes, tout se tient. Souvenirs, légendes, langue, costumes, terroir, nature, âme du peuple provençal, voilà t le patrimoine de Mistral ; voilà les choses dont il a revendiqué la garde, le culte et le maintien. Il est du peuple, il aime et défend le peuple. Il a chanté les paysans ; il a dédaigné Paris pour vivre avec eux. Lui qu’on accuse d’être réactionnaire, il est essentiellement démocrate, mais il l’est de la bonne manière, assène encore Albalat, qui invite ses lecteurs à relire la lettre écrite par Mistral à un ami qui, dans une critique littéraire, avait maltraité les paysans :

Costume du pays d'Arles

Costume du pays d’Arles

« ...Une question, dit-il, sur laquelle je crois devoir vous combattre, est celle des paysans. Il m’est impossible d’admettre que vos paysans – qui, après tout, parlent la langue d’Oc et sont fils du soleil – soient mauvais et abêtis comme ceux que vous peignez ! Prenez garde, mon bon ami, ne vous fiez pas au dire des petits bourgeois de province (ennemis-nés du paysan), ne vous laissez pas rebuter par la senteur de l’ail et la rudesse de l’écorce, allez manger et boire avec eux, et vous serez ravi des qualités humaines qui sont encore en eux.

« Me ferais-je illusion ? Les courses de taureaux, la conservation vivace de la langue provençale, les fêtes grecques en plein air (lutte, saut, course, etc.) et nos vieilles traditions municipales – toutes choses qu’on nous reproche et qu’on nous arrache avec la peau – auraient-elles contribué à sauver les paysans de Provence de l’humiliation morale que vous trouvez chez lés vôtres ? Je ne sais ; mais, pour moi, les vrais hommes, dignes de ce nom, les seuls qui offrent encore à l’artiste des mouvements naturels, des lignes gracieuses, des couleurs accentuées, des passions indomptables, ce sont les hommes de la terre.

« Ils aiment la terre avec rage, c’est vrai ; mais quel homme, s’il n’avait pas au cœur cette passion sauvage, pourrait subir, toute une vie, cette lutte harassante avec le sol pour quarante sous par jour ? Et puis, pour arriver à l’indépendance, quelle autre voie ont-ils que la conquête de la glèbe ? Allons, mon beau, ne soyez pas si dur aux nourriciers de notre espèce, – et, pour, aujourd’hui, restons-en là... Vous m’avez mis en colère. »

Cette passion pour le sol natal et pour les hommes qui le cultivent a toujours été sincère chez Mistral. Non seulement il a toujours voulu vivre au milieu d’eux, mais il est resté fidèle à leur langue, cette langue dont il a retrouvé les lettres de noblesse et qu’il a si merveilleusement ressuscitée. C’est la langue provençale qui unit Mistral à ses compatriotes et à son pays. C’est avec ce langage imagé et robuste qu’il a écrit des poèmes qui ne périront pas, et qu’il continue à nous donner des œuvres originales.

Mistral, en effet, vient d’achever en provençal la traduction de la Genèse à laquelle il travaillait depuis des années, écrit Antoine Albalat, qui conclut ainsi : l’auteur de Mireille se mesurant avec la Bible ! Ce sera beau ; et je crois bien que lui seul était capable de rendre dignement l’immortelle magnificence du vieux texte biblique.

 
 
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