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Molière : ses pièces de théâtre à la conquête de la Russie. Succès posthume sur la terre russe pour le dramaturge Poquelin

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Personnages
Anecdotes biographiques, tranches de vie destinées à mieux connaître des personnages ayant marqué l’Histoire de France (écrivains, hommes politiques, inventeurs, scientifiques...)
Molière : ses pièces de théâtre à
la conquête de l’Empire russe dès 1678
(D’après « Revue des études slaves », paru en 1922)
Publié / Mis à jour le mardi 12 mai 2015, par Redaction
 
 
 
 
 
Si Le Médecin malgré lui aurait été joué pour la première fois sur la terre russe le 17 septembre 1678, à peine six ans après la mort de Molière, il faut attendre le début du siècle suivant pour voir à Moscou puis à Saint-Pétersbourg les pièces de l’illustre dramaturge, à la faveur de la volonté du tsar de recourir notamment au théâtre pour faire entrer son empire dans les voies de l’Occident : les personnages des Précieuses, d’Amphitryon ou encore du Malade imaginaire rebaptisé pour l’occasion Docteur battu, se substituent à ceux du répertoire dévot habituel

En terre russe, Molière trouva, à titre posthume, une seconde patrie dès le XVIIIe siècle et suscita des émules dignes de lui. Longtemps admirés de confiance comme les modèles d’un genre qu’on crut pouvoir transplanter dans une littérature naissante, tenus ensuite pour responsables de l’insuccès, mal compris parfois de leurs propres admirateurs, et enfin rejetés, au nom de préjugés artistiques et sociaux, dans le « pseudo-classicisme », Corneille et Racine ne retrouvèrent qu’au début du XXee siècle des Russes assez courageux pour s’élever contre cent années d’injustice et d’erreur.

Molière. Peinture de Pierre Mignard (vers 1658)

Molière. Peinture de Pierre Mignard (vers 1658)

Nos romantiques eux-mêmes ne purent s’établir sur les ruines du classicisme, car, avant Victor Hugo et sa bruyante préface de Cromwell, les Russes avaient déjà proclamé Shakespeare et Schiller les maîtres à suivre désormais au théâtre. Par ailleurs, leur parti pris de glorifier les victimes de l’autorité – rebelles, déchus, proscrits – et de montrer au contraire sous un jour odieux les détenteurs du pouvoir – empereurs, rois, ministres – les rendait suspects.

Le 18 septembre 1668, « le sieur Molière » et sa troupe jouèrent Amphitryon devant Potemkin, ambassadeur du tsar Alexis Ier Mikhaïlovitch – dit « le Tsar très paisible » –, et devant sa suite. De cette première rencontre, toute fortuite, que valait aux « comédiens ordinaires de Sa Majesté » le cérémonial usité pour la réception de souverains ou d’ambassadeurs, le chef de la troupe n’avait sûrement gardé qu’un vague souvenir, et le journal de Potemkin n’enregistre, à cet endroit, que l’agrément du spectacle.

Karamzin rapporte que la tsarevna Solija, sœur aînée du tsarévitch Pierre, aurait fait jouer devant elle L’avare et Amphitryon ; Rambaud, dans son Histoire de la Russie, parle du Malade imaginaire joué dans le terem ; d’après Pierre de Corvin dans Le théâtre en Russie depuis ses origines jusqu’à nos jours (1890), c’est le Médecin malgré lui qui aurait été monté par les soins de Sofija, « traductrice de Molière », et joué le 17 septembre 1678, « six ans à peine après la mort du grand Poquelin ». Récits ou traditions séduisants, mais où Sofija est confondue avec la sœur cadette du tsarévitch, laquelle eut à la vérité un goût très vif pour le théâtre.

Historiquement, c’est aux premières années du XVIIIe siècle qu’il faut reporter le premier contact de la Russie avec Molière : cette origine lointaine et plus de deux siècles d’une faveur ininterrompue assuraient encore au Français la primauté sur tous autres étrangers au début du XXe siècle. Jusque-là les possibilités manquaient. Sans doute, dès la fin du XVIIe siècle, Molière était déjà devenu européen, mais l’Europe alors finissait aux frontières de la Moscovie.

Etranger et suspect aux disciplines traditionnelles de la vie russe, innovation récente et réservée au tsar, à son entourage, ou à quelques boyards – aristocrates russes – plus éclairés, le divertissement du théâtre n’avait, à la cour même, forcé les résistances (1672) qu’à la condition de puiser ses sujets dans l’Ecriture et de viser à l’édification. Dans ce répertoire dévot, égayé de scènes ou d’intermèdes bouffons, il n’y avait nulle place pour la comédie de Molière, toute profane et d’une autre qualité artistique.

La première trace reconnaissable de Molière sur la scène russe apparaît dans ľ« inventaire » officiel des comédies qui étaient à la Chancellerie d’Etat des ambassades, à la date du 30 mai 1709. On y relève, à côté de comédies qui semblent avoir un lien de parenté avec telles pièces de notre auteur, trois œuvres qui appartiennent manifestement à son théâtre : Amphitryon, Les Précieuses ridicules, Le Docteur battu (c’est-à-dire Le Médecin malgré lui). C’est qu’à cette époque règne Pierre Ier, tsar dont l’ambition est de faire entrer son empire dans les voies de l’Occident, d’y introduire à cet effet les usages, les institutions scientifiques ou techniques, les formes de la civilisation moderne.

Dans ce dessein de convertir par persuasion ou violence la Russie à l’Europe, le théâtre a sa place et son rôle bien définis : selon le mot de Tichonravov, « il quitte l’intérieur du palais pour la place publique », il devient accessible à tous, il passe du pieux au profane, mais en se proposant toujours, avec le divertissement, une action moralisatrice. Dans cette période initiale, le nom de Molière reste encore ignoré : c’est dans un cortège hétéroclite et pittoresque, où figurent des personnages bibliques, des saints, des héros ou héroïnes de l’antiquité légendaire ou historique, du Moyen Age, qu’Amphitryon, Les Précieuses, Le Docteur battu arrivent à Moscou, puis à Saint-Pétersbourg. Ils avaient suivi le chemin de l’Allemagne, où le renom du grand comique français, bien que sous l’anonymat, s’était répandu, dès la fin du XVIIe siècle, grâce à des recueils comme l’Histrio gallicus comico-satyricus.

Le choix des trois pièces susnommées s’explique assez aisément. La première se rapprochait des Haupt und Staatsactionen dont les personnages principaux étaient des dieux ou des rois, et dont les sujets prêtaient à un certain luxe de mise en scène. La seconde dut à une célébrité déjà européenne d’avoir été réservée pour un spectacle à Novgorod, d’ailleurs aussi peu approprié aux mœurs russes qu’à l’intelligence du public. La troisième était un vieux sujet, celui de notre Vilain mire, populaire aussi en Russie. Quant à la qualité des traductions, si les premiers historiens du théâtre russe, Tichonravov, Morozov, en déplorent l’indigence et l’infériorité dans cette période, il convient de préciser qu’elles étaient le lot ingrat mais inévitable d’une littérature qui commençait.

Molière faisant l'aumône. Peinture d'Edouard Pingret (1834)

Molière faisant l’aumône. Peinture d’Edouard Pingret (1834)

L’heure de Molière, jusque-là travesti et ignoré, était proche. Justification du théâtre auprès d’esprits encore partagés entre l’attrait d’un plaisir nouveau et les scrupules de conscience ; insistance de ses défenseurs à convaincre les adeptes de la tradition qu’il n’est pas contraire à la piété et qu’il peut aider aux bonnes mœurs ; exposé des règles de l’art et diffusion des premières notions sur la littérature ; élimination progressive du répertoire dévot ; intérêt croissant pour le théâtre, attesté par des mesures officielles ou des initiatives privées ; connaissance, puis traduction et imitation directe des modèles français : tout cela, qui s’accomplit en Russie vers le milieu du XVIIIe siècle grâce au progrès de l’européanisation, enferme, en ce qui touche Molière, les conditions de son avènement définitif.

Sa fortune sera liée désormais moins au sort des troupes françaises qui viendront jouer en Russie qu’au théâtre russe définitivement constitué par l’ukaz du 30 août 1756. La jeune troupe officielle, qui réunissait les meilleurs sujets du Corps des Cadets et des « laroslaviens » (Fedor Volkov et ses camarades) était pleine d’ardeur, mais ne possédait pas un répertoire où déployer ses talents. Dans le comique, les pièces de Sumarokov ne suffisaient pas ; c’est chez Molière que des traducteurs mieux instruits de notre langue et de notre littérature allèrent puiser : en moins de deux années, huit de ses comédies (six dans les derniers mois de 1757, deux en 1758) passèrent sur la scène russe en de véritables premières.

A côté du théâtre de la Cour, les élèves du Corps des Cadets, ceux de l’Académie des Beaux-Arts organisaient des spectacles : « là on travestit Racine et Molière », écrit ironiquement Golovin ; ici, la comédie, « Amphitryon en tête », alterne avec la tragédie, l’opéra, le ballet. En 17б5, un théâtre populaire, avec de simples artisans comme acteurs, s’ouvre à Saint-Pétersbourg : on voit qu’ils y jouent, entre autres, des comédies traduites de Molière. Moscou, vers cette époque, n’avait encore que des troupes privées, indigènes ou étrangères ; en 1760, les Moskovskija Vedomosti mentionnent des représentations des Fourberies de Scapin – « le 4 juin, c’es-à-dire dimanche prochain, sera jouée au théâtre d’opéra une comédie, traduite en russe, de la composition de Monsieur Molière, qui s’appelle Les Fourberies de Scapin, après laquelle on donnera aussi une petite comédie intitulée Crispin, valet, dragon et notaire, ainsi que des ballets » –, de L’École des maris, de Tartufe ou L’hypocrite, de George Dandin. Un peu plus tard, les villes importantes des provinces ont, à l’exemple des capitales, leur théâtre : l’on trouve ainsi Molière joué à Charkov.

Sans doute il n’alimente plus à lui seul, du côté français, le répertoire russe : avec et après lui, Regnard, Destouches, Beaumarchais, d’autres auteurs aujourd’hui oubliés, sont traduits ou adaptés. Mais il garde nettement la primauté : de 1757 à la fin du siècle, les éditions de ses œuvres traduites ou « arrangées » se multiplient ; leur succès à la scène en propage la lecture et familiarise le public avec ses types principaux. Même après les deux comédies originales de Fonvizin, l’insuffisance du répertoire indigène lui assurait le maintien de son privilège. Sa popularité se révèle dans mainte allusion ou réminiscence, dans maint emprunt : tel titre, comme celui d’une pièce de Kopev, montre que le mot « misanthrope » est déjà passé dans la langue.

Quand la satire des « petits-maîtres » russes retombe par contre-coup sur la France qu’on rendait responsable de leurs extravagances, cette réaction salutaire ne frappe point Molière, l’ennemi des pédants et des sots ; on eût plutôt, contre les jeunes gallomanes des bords de la Néva, invoqué son exemple et son autorité. Le jour où Catherine II, par peur de la contagion révolutionnaire, voulait briser ses idoles de la veille et « jeter au feu les meilleurs auteurs de la nation maudite », Molière fut encore préservé par la vertu de son œuvre purement humaine, étrangère à tout dessein de réforme politique ou sociale.

 
 
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