1er février 1809 : première représentation d'Hector, tragédie de Luce de Laneival

Napoléon affectionnait le poète, et ne fut pas étranger au succès de l’ouvrage : il vint par sa présence cabaler en faveur de cette pièce, véritablement homérique, et puisée tout entière dans l’Iliade, » ainsi que l’a dit M. Villemain. Grâce à l’intervention du héros d’Austerlitz, le héros du Simoïs fut accueilli honorablement et sans murmure : c’était une victoire d’opinion que Napoléon remportait entre deux batailles. Il récompensa le triomphe de Lancival, comme s’il n’eût pas pu en revendiquer sa part : l’auteur d’Hector obtint la croix d’honneur et une pension de six mille francs, non pas tant pour avoir fait une bonne tragédie qu’une tragédie de bon exemple. L’empereur disait que c’était une pièce de quartier général : il assurait qu’on irait mieux à l’ennemi après l’avoir entendue, et il avait soin d’ajouter qu’il en faudrait beaucoup dans cet esprit-là : telle devait être en effet la direction de la littérature impériale.

Aujourd’hui que le mouvement social a changé, et qu’’Hector est à bon droit raye du répertoire, son apparition ne mérite plus guère d’être remarquée qu’à cause du contraste des idées actuelles et de celles qui dominaient alors dans l’ordre politique et littéraire : une tragédie classique passe aujourd’hui à peu près inaperçue ; on la remplace aussitôt par une autre, dont l’existence n’est ni plus longue, ni plus bruyante. Il y a vingt ans, la première représentation d’un ouvrage de ce genre avait une importance, que la rareté du fait relevait encore.

En rendant compte du succès d’’Hector, Geoffroy, le représentant des doctrines de l’époque sur l’art théâtral, accuse l’auteur d’avoir risqué dans sa tragédie quelques traits de, mœurs antiques absolument déplacés et que le goût réprouve. Il est très inutile, selon le critique, qu’Andromaque entre dans un si long détail pour donner à sa suivante la commission d’aller prendre dans son armoire son plus beau voile et celui qui lui sied le mieux, et de le mettre sur les genoux de Pallas : qu’Andromaque, en épouse soigneuse, tienne de l’eau chaude prête pour laver Hector quand il reviendra du combat couvert de poussière, rien de plus convenable ; mais ces détails, précieux dans Homère, sont insipides dans une tragédie française.

Ces mêmes détails seraient peut-être aujourd’hui ce qui plairait le plus à un public avide de nature et de vérité. Ce qu’on trouverait insipide, c’est que l’expression de ces usages de la vie commune fût revêtue d’un vain luxe de mots poétiques, et encadrée dans le monotone alexandrin.

Geoffroy ajoute, en parlant du jeu des acteurs : Talma exprime avec une vigueur et une énergie extraordinaires tous les sentiments généreux d’un guerrier : mais il a, surtout avec sa femme, des moments de mollesse que la tendresse conjugale ne peut excuser. Ces moments de mollesse seraient à présent d’un effet plus sûr encore que la vigueur extraordinaire : ce qu’on demande surtout à voir dans le héros, c’est l’homme.

Ainsi tout change, ainsi tout passe !... Les opinions ne sont pas moins sujettes aux révolutions que les empires.