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Roi Philippe IV le Bel, capétien. Naissance, mort, couronnement, règne. Capétiens

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Rois, Présidents
Biographie des rois, empereurs, présidents français. Vie des souverains, faits essentiels, dates-clés. Histoire des règnes
Philippe IV le Bel
(né en 1268, mort le 29 novembre 1314)
(Roi de France : règne 1285-1314)
Publié / Mis à jour le jeudi 29 novembre 2012, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 31 mn
 

Surnommé le Bel, il monta sur le trône à l’âge de dix-sept ans et fut sacré à Reims le 6 janvier 1286. Il joignit au titre de roi de France celui de roi de Navarre, parce qu’il avait épousé Jeanne, fille et héritière de Henri Ier. Cette princesse en apportant avec le royaume de son père le comté de Bigorre et les comtés de Champagne et de Brie, augmenta considérablement le domaine et la puissance du roi.

Un des premiers actes du règne de Philippe fut de rendre à Édouard Ier, roi d’Angleterre, en exécution d’un traité conclu entre Saint-Louis et Henri III (1259), la partie de la Saintonge qui est au delà de la Charente. Édouard vint à Paris faire hommage au roi de tous les domaines qu’il possédait en France, et comme il lui fut accordé plusieurs articles qu’il n’avait pas droit d’exiger, on mit pour titre à l’acte qui en fut expédié : Grâce faite au roi d’Angleterre. Les affaires d’Espagne et d’Italie continuaient d’occuper la cour de Rome, la France et l’Angleterre. Charles II, dit le Boiteux, roi de Sicile, était toujours retenu prisonnier, et Robert, comte d Artois, gouvernait ses États en qualité de régent. Les deux fils de don Pèdre s’étaient fait l’un et l’autre saluer rois d’Aragon : Jacques en Sicile et Alphonse à Saragosse.

Philippe IV le Bel. Lithographie extraite d'Histoire des Français (par Théophile Lavallée)
Philippe IV le Bel. Lithographie extraite d’Histoire des Français (par Théophile Lavallée)

Les papes Honoré IV et Nicolas IV, en renouvelant l’excommunication lancée par leur prédécesseur (Martin IV), pressèrent tour à tour Philippe le Bel d’assurer par les armes le succès de la donation faite à son frère Charles de Valois. Les deux pontifes offrirent pour les frais de cette guerre la prolongation de la taxe sur le clergé. Depuis la mort de Philippe III, la guerre d’Aragon, poursuivie faiblement, s’était bornée à des courses sur les frontières. Philippe IV préparait une nouvelle invasion, lorsque Jacques, roi d’Aragon, craignant les suites de cet armement, se hâta de traiter avec le roi de Sicile qui ne pouvait plus supporter l’ennui de sa prison.

Charles II s’obligea par serment à payer une rançon de cinquante mille marcs d’argent ; à obtenir la renonciation de Charles de Valois à la couronne d’Aragon ; à ménager la paix de Jacques avec le pape et Philippe le Bel ; et, s’il ne pouvait y réussir dans l’espace de trois ans, à venir se constituer prisonnier. Ce prince donna en otage, pour sûreté de sa parole, ses trois fils aînés et quarante autres jeunes seigneurs. Charles II se rendit à la cour de France (1289) et ensuite en Italie, où le pape le fit couronner roi des Deux-Siciles et le délia de son serment, comme contraire aux droits du Saint-Siège.

Les troubles qui éclatèrent dans la Castille à cette époque ralentirent l’ardeur de Philippe pour la guerre d’Aragon, et aucun corps français ne parut sur les frontières de ce royaume. La paix était généralement désirée ; elle fut conclue à Tarascon : Alphonse d’Aragon se soumit à demander pardon au pape et à recevoir l’absolution pour tout ce qui s’était passé, tant sous le règne de son père que sous le sien. Il s’obligea de payer au Saint-Siège un tribut annuel de trente marcs d’or, de conduire des troupes en Palestine, de porter son frère Jacques à restituer la Sicile et à rendre à Charles II tous ses otages. Charles de Valois renonça à la couronne d’Aragon en épousant Marguerite, fille de Charles II, et en recevant de ce prince comme dédommagement de la donation du pape le comté d’Anjou et celui du Maine.

Alphonse d’Aragon étant mort peu de temps après (1291), Jacques, son frère, refusa de rendre la Sicile. Philippe le Bel offrit au pape d’attaquer l’Aragon, alléguant qu’il n’avait point traité avec Jacques, resté sous le poids de l’excommunication. Mais Rome venait de recevoir l’affligeante nouvelle que la perte de Sidon, de Béryte et de Ptolémaïs achevait la ruine des chrétiens en Orient. Le pape, en remerciant Philippe de son zèle et refusant son offre, voulut en vain l’engager ainsi que le roi d’Angleterre et les autres princes chrétiens dans une nouvelle croisade. Il n’y avait plus de port où l’on pût aborder, et cette année (1291) est regardée comme l’époque où selon l’expression du P. Daniel, « l’envie et la mode des croisades passèrent presque tout à fait. »

La renonciation de Charles de Valois ne fut point révoquée et la Sicile appartint à la maison d’Aragon. La guerre ne tarda pas à éclater entre la France et l’Angleterre. Suivant les historiens français, Édouard Ier, trouvant indigne de lui la qualité de vassal de France, dont il avait jusque-là rempli tous les devoirs pour la Guyenne et le comté de Ponthieu, ne cherchait que l’occasion de secouer un joug humiliant ; mais, s’il faut en croire les historiens anglais, ce fut le roi de France qui força le roi d’Angleterre à chercher dans les armes la défense de ses droits.

Une querelle engagée à Bayonne entre un matelot normand et un matelot anglais fut l’origine de rixes et de combats sanglants. Deux cents navires partis des côtes de Normandie pour aller charger des vins en Gascogne s’étant emparés de tous les bâtiments anglais qu’ils trouvèrent sur leur chemin, furent attaqués sur les côtes de Bretagne par 60 navires anglais bien armés, qui les prirent à leur tour ou les coulèrent presque tous à fond.

Philippe irrité envoya des ambassadeurs en Angleterre pour demander satisfaction, menaçant, en cas de refus, de se venger sur la Guyenne et de citer à la cour des pairs Edouard, vassal de sa couronne, pour venir rendre compte de la conduite de ses propres vassaux. Ce prince envoya des ambassadeurs qui offrirent à Philippe de donner toute satisfaction, mais devant les tribunaux d’Angleterre, et en déclarant que leur maître n’était soumis à personne. Ils proposèrent aussi que les deux rois traitassent ensemble cette affaire en se réunissant dans un lieu convenu sur les côtes de France, où Edouard se rendrait avec les sûretés nécessaires, et, au cas où ce dernier parti ne serait point adopté par Philippe, de s’en rapporter à la décision du Saint-Siège.

Mais Philippe peu satisfait de cet air d’indépendance qu’affectait le roi d’Angleterre, rejeta les offres de ses ambassadeurs : il refusa bientôt après d’écouter le prince Edmond, frère d’Édouard, qui lui fut envoyé, et le roi vassal fut cité à la cour des pairs. Cette citation publiée par le sénéchal de Périgord et de Quercy fut affichée aux portes de Libourne. On trouve dans les registres Olim la lettre, en forme de manifeste, que Philippe écrivit à Édouard (1292). Sur le défaut de comparution du roi d’Angleterre, ce prince fut déclaré atteint et convaincu de félonie, et, comme on l’avait vu sous Philippe-Auguste à l’égard de Jean Sans terre, tous les domaines qu’Édouard possédait en France furent confisqués : mais la difficulté était de mettre un tel arrêt à exécution.

Les deux rois se préparèrent longtemps à la guerre. Édouard engagea dans son parti Adolphe de Nassau, roi des Romains ; les comtes de Bar, de Flandre, les ducs de Brabant et de Bretagne, et Amé V, comte de Savoie. Philippe traita avec Jean Bailleul, roi d’Écosse ; Éric, roi de Norvège ; Albert, duc d’Autriche ; Humbert, dauphin de Vienne ; le comte de Hollande et quelques autres seigneurs. Il fit aussi une ligue qui paraîtrait aujourd’hui singulière, non avec le roi de Castille, mais avec quelques villes de Castille et avec les communes de Fontarabie et de Saint-Sébastien.

Cependant les négociations continuaient au milieu des préparatifs de guerre. Boniface VIII intervint inutilement. Enfin le prince Edmond repassa la mer et vint à Paris, où, selon Walsingham, un concordat fut signé par la médiation de la reine Marie et de la reine, femme de Philippe. Le concordat fut bientôt ratifié par Édouard. Ce prince, pour marquer sa déférence à Philippe, remettait entre ses mains Saintes, Talmont et quatre autres forteresses. Le roi de France pouvait envoyer deux officiers dans chaque ville de Guyenne, à l’exception de Bayonne, de Bordeaux et de la Réole. Édouard donnait aussi des otages et promettait que désormais les officiers anglais commandant en Guyenne garderaient le respect dû à la majesté royale.

À ces conditions Philippe devait révoquer la citation devant la cour des pairs, et comme tout ce qu’accordait Édouard n’était qu’une démonstration publique de sa déférence pour le roi de France, Philippe devait lui remettre ses villes, ses places et ses otages dès qu’il les aurait en sa possession. Les otages furent livrés, les six forteresses reçurent des garnisons françaises : alors Philippe ne parla plus de rendre ni les uns ni les autres ; il ne fut plus question de révoquer la citation devant la cour des pairs ; plusieurs officiers du roi d’Angleterre arrêtés dans les places qui s’étaient rendues d’elles-mêmes, furent conduits à Paris ; le connétable Raoul de Nesle marcha en Guyenne avec une armée, et la guerre fut alors résolue dans le parlement anglais convoqué par Édouard (1295).

Hommage du roi d'Angleterre Edouard Ier au roi de France Philippe IV le Bel en 1286
Hommage du roi d’Angleterre Édouard Ier
au roi de France Philippe IV le Bel en 1286

On trouve dans les actes de Rymer (t. 2) un mémoire où le prince Edmond rend compte lui-même de toute cette affaire. Il raconte que lorsqu’il vint demander la restitution de la Guyenne en vertu de l’accord secret fait avec Philippe par l’entremise des deux reines, on lui répondit que sa demande serait examinée dans le conseil ; que, bientôt après, Philippe lui fit dire qu’il lui répondrait un peu durement en présence du conseil, mais qu’il ne devait pas s’en alarmer ; que s’étant ensuite présenté au roi et au conseil pour demander la restitution de la Guyenne, le roi répondit sèchement qu’il ne la rendrait point ; que, d’après l’avis qu’il avait reçu, le prince s’inquiétait peu de cette réponse, lorsque les évêques d’Orléans et de Tournai vinrent lui dire de la part de Philippe que le roi ne voulait plus être importuné de cette affaire, et que le concordat, ouvrage des deux reines, avait été signé sans sa participation.

On voit dans les mêmes actes recueillis par Rymer, plusieurs pièces originales dans lesquelles le roi d’Angleterre se plaint vivement d’avoir été joué par le roi de France. Les historiens contemporains ne donnent aucun détail sur la conduite de Philippe dans cette affaire : mais Nangis prétend qu’Édouard « formait depuis longtemps des projets d’iniquité ; qu’il se flattait de recouvrer la Guyenne avec le secours de ses alliés et que l’ayant reconquise par la force des armes, il ne la tiendrait plus du monarque français, mais par le droit de la guerre et en toute souveraineté. »

Il est au moins permis de douter que telle ait été la politique d’Edouard, et qu’il ait voulu livrer imprudemment une province dans la perspective de s’en mieux assurer la possession par une conquête difficile et trop incertaine. On doit regretter que les manifestes de Philippe ne soient pas venus jusqu’à nous. « Nous y trouverions peut-être, dit Daniel, de quoi le défendre. »

Après le brusque renvoi des ambassadeurs d’Édouard et pendant la marche d’une armée française en Guyenne, un dominicain anglais et un franciscain envoyés par Édouard, vinrent déclarer à Philippe que, puisqu’il en usait ainsi envers le roi d’Angleterre, il faisait bien voir qu’il ne voulait plus le regarder désormais comme son homme et comme son vassal ; que de son côté le roi d’Angleterre ne le reconnaissait plus pour son souverain et se tenait pour toujours quitte de tout hommage. L’Angleterre entreprit la guerre avec beaucoup d’ardeur. Le clergé accorda au roi la moitié de son revenu ; la bourgeoisie paya la huitième partie du sien et le reste des habitants le dixième de ses biens.

Trois flottes furent équipées, et une grosse armée commandée par le duc de Richmond, neveu d’Édouard, fut transportée dans le midi de la France. Adolphe, roi des Romains, qui avait reçu les subsides de l’Angleterre, s’empressa d’envoyer des ambassadeurs à Philippe pour lui déclarer la guerre ; mais Philippe se contenta de répondre par l’envoi d’un papier cacheté qui ne contenait que ces deux mots latins : Nimis Germane ; ce qui signifiait : « C’est pour toi, Germain, trop entreprendre que d’oser t’attaquer à moi. »

En effet, Adolphe avait assez d’affaires en Allemagne, et il ne fit aucune diversion en faveur d’Édouard. Les Anglais descendirent à l’île de Ré, s’emparèrent de la Réole et prirent d’assaut Bayonne (1er janvier 1296). Le connétable de Nesle n’avait pu que défendre Bordeaux, lorsque Charles de Valois arriva avec une nouvelle armée. La Réole fut reprise et Saint-Sever emporté après un siège de trois mois. Dans ces entrefaites, une flotte française sous les ordres de Matthieu de Montmorency et de Jean d’Harcourt brûlait la ville de Douvres sans oser attaquer le château, et une flotte anglaise pillait Cherbourg sans oser s’y arrêter.

À cette époque, Édouard eut à soumettre les peuples révoltés du pays de Galles et à combattre contre le roi d’Écosse, qui s’était déclaré pour la France. Philippe ayant besoin dans cette circonstance de toutes les forces de l’État, fit, dans son parlement de la Toussaint (1296), une ordonnance par laquelle il défendait toutes guerres particulières entre ses vassaux et suspendait celles qui étaient commencées. Les seigneurs belligérants devaient faire des trêves et se donner réciproquement des assurements. L’envoi des gages de bataille fut défendu et chacun devait poursuivre son droit en justice et non par le duel. La même ordonnance prohibait aussi les joutes, les tournois, et ôtait aux créanciers le droit de saisir les chevaux de bataille et les armes.

Tandis que l’Europe était agitée par cette guerre, Boniface VIII faisait encore des projets de croisade. Il écrivit à Philippe et à Édouard pour les engager à la paix : il envoya des cardinaux en France et en Angleterre ; mais leurs négociations n’eurent aucun succès. Le duc de Lancastre et le comte Robert d’Artois conduisirent de nouvelles armées en Guyenne. Le premier prit quelques petites places et mourut de maladie à Bayonne. Le second, quoiqu’il fût le premier homme de guerre de son temps, n’obtint que de faibles succès. Philippe fit avec plus de bonheur la guerre contre le comte de Flandre. Ce prince avait osé déclarer que, cessant d’être vassal du roi de France, il ne le reconnaissait plus pour son souverain. Philippe envoya l’archevêque de Reims et l’évêque de Senlis jeter l’interdit sur le comté de Flandre (1297).

Il y eut appel au pape, qui évoqua l’affaire devant le Saint-Siège : mais Philippe indigné fit mander au pontife qu’il ne lui appartenait pas de se mêler des affaires de son royaume ; que la cour des pairs était en possession de juger ces sortes de différends et qu’il ne devait qu’à Dieu compte de sa conduite en cette matière. Boniface VIII n’osa pas aller plus avant. Philippe réunit une armée à Compiègne, marcha en Flandre et apprit que ce même Adolphe, roi des Romains, qu’il avait traité avec tant de mépris, conduisait un corps de troupes au secours de ses ennemis.

Il reconnut alors que l’orgueil peut être une faute dans la politique des rois. Il envoya à Châtillon acheter à prix d’argent la retraite du roi des Romains, et en même temps, il donna une grosse somme à Albert d’Autriche pour qu’il occupât ce prince en Allemagne. La campagne s’ouvrit sous d’heureux auspices : Lille capitula ; Béthune fut emportée, le comte de Flandre défait aux environs de Furnes ; Douai et Courtrai se rendirent et Bruges ouvrit ses portes. Déjà Philippe marchait sur Gand lorsque le roi d’Angleterre qui était venu joindre ses armes à celles du comte de Flandre, n’ayant pu arrêter les progrès de Philippe, lui demanda une suspension d’armes : elle fut accordée et fut bientôt suivie d’une trêve conclue le 9 octobre 1297 à Fismes, en Champagne, pour quelques mois, et ensuite à Tournai pour deux ans.

Par ce traité, Philippe demeura maître de Lille, de Courtrai, de Douai, de Bruges et de toutes les villes qui s’étaient rendues à lui. Philippe et Édouard gardèrent en Guyenne ce qu’ils y possédaient à l’époque de la trêve et tous les différends furent remis à l’arbitrage du pape. En attendant sa décision, Philippe fit quelques tentatives pour obtenir d’Édouard la liberté du roi d’Écosse, qui avait été fait prisonnier. Il prétendait que ce prince étant son allié, on devait lui appliquer les dispositions générales de la trêve concernant les prisonniers. Édouard répondit que le roi d’Écosse était avant tout son vassal, et que, comme tel, il ne pouvait se trouver compris parmi les alliés du roi de France.

Après plusieurs négociations, les deux princes n’avaient pu s’accorder ; mais, comme ils voulaient également observer la trêve, ils renvoyèrent la décision de cet incident au pape, qui était chargé de prononcer sur le fond. Boniface VIII dressa le traité, l’envoya aux deux rois par Raoul, évêque de Vicence, et les plénipotentiaires le signèrent à Montreuil (1299).

Ce traité portait que la Guyenne serait rendue à Édouard et qu’il la tiendrait à foi et hommage de la couronne de France comme auparavant ; que les places prises par les deux princes seraient mises en séquestre entre les mains du pape jusqu’à l’exécution du traité ; que, pour rendre la paix durable, les deux monarques s’allieraient par un double mariage ; que le roi d’Angleterre épouserait Marguerite, sœur du roi de France ; et que le fils d’Édouard serait marié avec Isabeau, fille de Philippe, alors âgé de sept ans. Le douaire de Marguerite fut fixé à quinze mille livres tournois et celui d’Isabeau à dix-huit mille.

La trêve continua et fut prorogée d’année en année jusqu’au 20 mai 1303, époque où la paix fut définitivement conclue. Les deux rois se réunirent à Amiens le 8 septembre. Philippe abandonna le roi d’Écosse, son allié, et se contenta de l’hommage d’Édouard, tout simplement et sans conditions. L’orgueil de ces deux princes céda devant un danger commun. Boniface VIII menaçait les souverains d’une domination temporelle, et, depuis son exaltation (1295), il marchait avec audace dans un système qu’il n’avait point établi, mais qu’il voulut faire prévaloir et qui fut désavoué par ses successeurs. Philippe et Édouard firent une ligue contre quiconque voudrait despointer, empêcher ou troubler lesdites rois ès franchises, libertés, privilèges et coutumes de eux ou de leurs royaumes.

Les différends de Philippe avec Boniface VIII remplirent tout le règne de ce pontife. « Une ambition démesurée, dit le P. Daniel, fut sa passion dominante... Plusieurs de ses décrétales qui regardent les princes et en particulier le roi de France, montrent jusqu’où il voulut porter l’autorité pontificale. » Mais pour faire valoir ses prétentions il ne pouvait plus mal s’adresser qu’à un prince du caractère de Philippe. Jamais roi de France n’avait été plus fier et plus impétueux. Suivant l’exemple de Philippe-Auguste et de Saint-Louis, il ne négligeait aucune occasion de tempérer dans ses États la puissance ecclésiastique, qui, depuis Louis le Débonnaire, était montée au delà des bornes légitimes ; et il avait devant lui comme leçon l’exemple de plusieurs princes dont la couronne avait été au moins ébranlée par les entreprises de la cour de Rome.

Dans le temps que Philippe levait des subsides sur le clergé pour les frais de la guerre (1296), Boniface publia la fameuse bulle Clericis Laicos, qui défendait aux ecclésiastiques de payer aucuns subsides aux princes sans l’autorité du Saint-Siège, à peine d’excommunication. Philippe répondit par une ordonnance qui défendait à tous ses sujets d’envoyer hors du royaume, avant d’avoir obtenu sa permission, de l’argent ou des joyaux, et de donner des lettres de change sur les pays étrangers. Boniface crut devoir alors modifier sa bulle ; et l’interprétant dans une autre qui commence par le mot Ineffabiles (21 septembre 1296), il déclara ne pas vouloir empêcher les redevances et les services que quelques prélats devaient au roi en qualité de feudataires.

Mais en même temps le pontife maintenait la nécessité de la permission du Saint-Siège pour la levée des subsides sur les gens d’Église. Il taxait d’imprudence et même de folie, encourant l’excommunication, la défense faite aux ecclésiastiques, sur lesquels les princes séculiers n’avaient point d’autorité de transporter de l’argent hors du royaume. Enfin Boniface reprochait à Philippe d’avoir chargé la France de trop d’impôts, de retenir les places dont il s’était saisi en Guyenne ; et il laissait entendre au monarque que, s’il ne changeait de conduite, il exposerait sa personne et son royaume aux foudres de l’Église.

Philippe crut devoir réfuter cette bulle dans un manifeste où il insistait sur la maxime de l’Évangile : « Rendez à César ce qui appartient à César. » La bulle Exiit a te super (7 février 1297), était conçue dans des termes moins violents que la précédente. Mais en même temps Boniface avait chargé ses deux légats en France d’excommunier le roi ou ses officiers s’ils persistaient à empêcher le transport de l’argent à Rome. Les légats n’osèrent lancer l’excommunication. L’archevêque de Reims et ses suffragants écrivirent à Boniface pour lui dire que presque tous les évêques de France étant hommagers et feudataires du roi, la noblesse et le clergé se réuniraient pour assurer les droits et les libertés du royaume.

Bientôt les légats remirent à Philippe une nouvelle bulle par laquelle Boniface ordonnait aux rois de France et d’Angleterre de proroger la trêve sous peine d’excommunication. Philippe consentit à la publication de cette bulle ; mais il l’accompagna d’une protestation portant, « que le gouvernement de son royaume, en ce qui concernait le temporel, appartenait à lui seul ; qu’il prétendait en ce point n’être soumis à qui que ce fût ; que, quoi qu’il arrivât, il ne se tiendrait ni lui, ni son royaume, lié par les censures du pape, etc. » Boniface parut alors se relâcher de ses prétentions.

Au mois de juillet, il déclara dans une nouvelle bulle qu’il n’avait entendu rien faire contre les libertés, franchises et coutumes du royaume de France, ni contre les droits du roi, des comtes et des barons. Cette déclaration et la canonisation de Saint-Louis, qui, après avoir essuyé quelques difficultés de la part du pape, fut faite à Rome avec de grandes solennités, rétablirent la bonne intelligence entre Boniface VIII et Philippe le Bel.

C’est à cette époque que fut acceptée la médiation du Saint-Siège entre le roi de France et le roi d’Angleterre. Mais Philippe voulut qu’il fût écrit dans le compromis que le pape n’aurait en cette affaire d’autre autorité que celle d’un prince particulier, reconnu volontairement pour arbitre ; et le pape s’obligea dans une lettre à ne publier sa sentence arbitrale qu’après avoir reçu le consentement du monarque. L’Italie était alors déchirée par les guerres et les factions. Boniface appela près de lui Charles de Valois, qui avait épousé, en secondes noces, Catherine de Courtenai, petite-fille de Baudouin, empereur de Constantinople : il le reçut avec de grands honneurs, lui donna le commandement des troupes de l’Église, et, suivant quelques historiens, eut ou parut avoir le dessein de le faire monter au trône de l’empire.

Mais Boniface et Philippe étaient trop emportés dans la jalousie de leur autorité pour que l’accord entre eux fût de longue durée. Boniface refusait de reconnaître Albert devenu roi des Romains. Albert et Philippe s’engagèrent par un traité à faire cause commune contre quiconque entreprendrait sur les droits de l’empire et de la France. Cette union, scellée par le mariage de Rodolphe, fils d’Albert, et de Blanche, fille de Philippe, déplut à Boniface, et peu après, l’asile donné par le roi aux Colonne, dangereux ennemis du pontife, acheva d’irriter sa colère.

Bientôt parut sa bulle Salvator mundi (5 décembre 1300), par laquelle il rétractait sa révocation de la bulle Clericis Laicos, et disait que, de même qu’il pouvait accorder des grâces et des privilèges aux princes, de même il avait le droit de les révoquer et de les suspendre quand il le jugerait à propos : il défendait donc aux ecclésiastiques de payer sans son ordre les décimes et les subsides auxquels ils auraient consenti. Philippe renouvela par un édit la défense de transporter aucun argent hors du royaume.

Cet édit attira de nouvelles bulles, et en même temps un légat vint apporter au roi de France l’étrange proposition de faire une ligue avec le roi de Perse et de se croiser pour la délivrance des saints lieux. Ce légat était Bernard Saisseti, évêque de Pamiers et ennemi de Philippe ; il eut l’audace de déclarer au prince que la conduite qu’il tenait avec le pape et envers l’Église méritait des peines qu’on n’avait que trop différées, qu’il verrait bientôt son royaume mis en interdit et que lui-même serait frappé d’anathème.

Philippe, indigné, chassa le prélat de sa présence et ordonna qu’on lui fît son procès. Il résulta des informations que Saisseti avait des intelligences avec le roi d’Angleterre, qu’il avait traité Philippe de bâtard, de faux monnayeur, etc. Ce prélat fut arrêté et commis à la garde de l’archevêque de Narbonne ; mais il fallut le consentement de l’évêque de Senlis et de l’archevêque de Reims, parce que Saisseti fut saisi dans l’évêché de l’un et dans l’étendue de la métropole de l’autre. Boniface écrivit à l’archevêque de Narbonne pour lui ordonner de tirer l’évêque de Pamiers des mains des juges séculiers, et au roi pour l’obliger à faire transporter le prélat sur les terres du Saint-Siège et à lui remettre le jugement de cette affaire.

Bientôt parut la bulle Ausculta fili, que Philippe fit brûler le 11 février 1302. Boniface y déclarait que Dieu l’avait établi sur les rois et sur les royaumes de la terre avec plein pouvoir d’arracher, de détruire, de dissiper et d’édifier. Cette bulle fut apportée par Jacques de Normans, archidiacre de Narbonne, qui, admis à l’audience du roi, lui dénonça qu’il avait ordre de l’excommunier et de mettre le royaume en interdit, si lui, Philippe, refusait de reconnaître qu’il tenait du pape la souveraineté temporelle de son royaume.

Le nonce et l’évêque de Pamiers furent reconduits aux frontières, où l’on plaça des corps de garde pour empêcher l’entrée des bulles et des envoyés de Boniface. L’excommunication fut aussitôt lancée. Philippe se plaignit au pape de la conduite qu’il tenait à son égard : le pape refusa audience au député et fit partir un légat qui, arrêté à Mâcon, fut obligé de repasser les Alpes.

Cependant le roi, voulant empêcher les bulles et les censures de Rome d’agiter les esprits et de causer des désordre dans son royaume, convoqua les états au Louvre. Il commença par demander aux évêques et aux abbés, qui presque tous étaient présents, de qui relevait leur temporel ? et ils répondirent qu’ils le tenaient de lui comme de leur souverain : « Je vois avec plaisir, dit alors Philippe, que vos sentiments ne sont pas ceux du pape, qui prétend que le royaume de France est un fief du saint-siège. » La noblesse déclara par la bouche du comte d’Artois que le roi pouvait compter sur tout ce qui dépendrait d’elle pour soutenir les droits du prince et la gloire de l’Etat : « Et moi, reprit Philippe, je m’engage à contribuer de tout, sans excepter ma propre vie, pour conserver la liberté du royaume ».

Il renouvela la défense d’exporter aucun argent, et défendit de sortir de France sans sa permission aux évêques et aux docteurs en théologie, que, par sa bulle Ante promotionem, Boniface convoquait à Rome, sous peine de désobéissance, pour délibérer sur la réforme du royaume et sur les moyens de corriger les violences et les excès du roi. Les états ayant confirmé les libertés de l’Église gallicane, Guillaume de Nogaret, garde du sceau royal, se porta l’accusateur du pape et prononça un discours violent où il prétendit prouver que Boniface était un intrus : il s’engageait à le convaincre d’hérésie, de simonie et de plusieurs autres crimes, et après avoir exposé la nécessité d’un concile général où le pontife serait déposé, il requit et obtint que son discours fût enregistré.

Pierre Flotte, chancelier de France, parla dans le même sens. Les barons écrivirent au collège des cardinaux une lettre énergique, où les actes de Boniface étaient dépeints comme plus propres de l’Antéchrist que d’un pape. Cette lettre fut signée par Louis, fils aîné du roi, par les princes du sang et par tout ce qu’il y avait en France de plus grands seigneurs en même temps, les maires, échevins, etc., représentant le tiers état, écrivirent en corps au sacré collège une lettre non moins véhémente, et dans laquelle on affectait de ne pas donner à Boniface la qualité de souverain pontife.

La lettre écrite au pape par les évêques et les docteurs était en termes plus mesurés ; mais elle contenait l’invitation pressante de rétracter des bulles et des censures que ni les ecclésiastiques, ni les universités, ni le peuple, ni la noblesse ne pouvaient approuver. Les cardinaux répondirent à la noblesse et au tiers état que le pape n’avait jamais voulu faire entendre, dans ses lettres et dans ses bulles, que le roi dût le reconnaître pour son supérieur dans le temporel, et que le seigneur Pierre Flotte avait en vain déclamé au Louvre contre cette maxime. Boniface, dans sa réponse aux évêques, leur reprocha avec hauteur de se laisser intimider par des menaces et conduire par des vues terrestres. Il s’emporta contre Pierre Flotte, le traitant de Bélial, d’homme aveugle, qui, avec Nogaret et d’autres encore, inspirait au roi des conseils violents.

Philippe désirait se réconcilier avec le Saint-Siège, et Robert, duc de Bourgogne, s’adressa à deux cardinaux, ses amis, pour les engager à obtenir du pape qu’il écrivît une lettre honnête au roi de France. Cette démarche fut regardée à Rome comme une preuve de l’embarras du roi, et la réponse fut qu’il fallait que ce prince commençât par s’humilier, par convenir de sa faute, donner des marques de pénitence, et faire satisfaction au pape, qui croirait se rendre ridicule à toute la terre s’il écrivait le premier à un roi qu’il avait excommunié.

Boniface tint à Rome, au commencement de novembre (1302), l’assemblée qu’il avait indiquée l’année précédente, et où, malgré la défense de Philippe, se trouvèrent les archevêques de Tours, de Bordeaux, de Bourges et d’Auch ; tous les évêques de Bretagne, excepté ceux de Dol et de Saint-Malo ; vingt-cinq autres évêques, et les abbés de Cluny, de Cîteaux, de Prémontré, de Beaulieu, de Marmoutier et de la Chaise-Dieu. C’est dans cette espèce de concile que Boniface résolut d’envoyer à Philippe la fameuse bulle Unam sanctam, où tous les hommes sont tenus, sous peine de damnation, de se croire sujets du pontife romain.

La doctrine de la domination temporelle était confusément enveloppée dans cette décrétale. Boniface n’osait dire expressément que le royaume de France relevait du Saint-Siège, comme ses prédécesseurs l’avaient souvent dit de l’Angleterre ; mais il distinguait entre les deux glaives : « Il faut, disait-il, qu’un glaive soit soumis à l’autre, c’est-à-dire la puissance temporelle à la puissance spirituelle, autrement elles ne seraient point ordonnées. Donc, si la puissance terrestre s’égare, elle sera jugée par la spirituelle. »

Boniface prétendait, en vertu de cette dernière puissance, avoir le droit de veiller sur la conduite du roi dans l’administration de son État ; d’examiner s’il le gouvernait selon les lois divines ; d’en réformer les abus, d’écouter les plaintes des sujets contre leur souverain, et même de déposer le souverain s’il refusait de se corriger et de recevoir les avis du Saint-Siège. Fleury convient, dans son Histoire ecclésiastique, que « tout l’exposé de cette constitution tend à prouver que la puissance temporelle est soumise à la spirituelle, et que le pape a le droit d’instituer, de corriger et de déposer les souverains ».

La distinction que faisait Boniface entre le domaine direct qu’il rejetait, et le domaine indirect, qu’il s’attribuait sur le temporel des rois, ne pouvait rassurer Philippe. Il rappela son frère, Charles de Valois, qui commandait encore les troupes pontificales ; il assembla de nouveaux états, prit ou renouvela des mesures énergiques, et ordonna la saisie du temporel des évêques et abbés qui étaient allés à Rome sans sa permission : il consentit néanmoins à recevoir en qualité de légat le cardinal le Moine, qui, porteur d’une instruction, en douze articles, vint demander au roi de révoquer la défense qu’il avait faite aux évêques de se rendre à Rome ; de reconnaître que le pape avait le droit de conférer tous les bénéfices vacants, et qu’à lui seul appartenait l’entière disposition des biens de l’Église.

Le légat était encore chargé de représenter à Philippe que, pour avoir souffert qu’on brûlât en sa présence une bulle du pape, un envoyé du roi devait aller à Rome se soumettre à ce qui serait ordonné pour réparation d’un tel affront fait au Saint-Siège. Il était en outre déclaré au roi que ni Lyon ni son territoire ne lui appartenaient point ; qu’il était obligé à restitution pour l’altération faite aux monnaies ; enfin que, si le pape n’obtenait satisfaction sur tous les points, il emploierait les armes spirituelles et temporelles.

Philippe envoya à Rome une réponse, modérée dans l’expression, sur des demandes dont la plupart étaient si extraordinaires et si opposées aux libertés de l’Église gallicane. Il représentait que, pour la collation des bénéfices et pour l’administration des biens de l’Église, il avait suivi la coutume immémoriale et l’exemple de Saint-Louis ; qu’une bulle, brûlée par les échevins de Laon, l’avait été pour que l’évêque ne pût en user contre eux, et non dans l’intention de manquer au respect dû au chef de l’Église ; qu’en changeant le prix et la qualité des monnaies, il avait usé de son droit, fondé sur l’antique coutume de ses prédécesseurs ; qu’au reste, il ne souhaitait rien tant que de se voir réconcilié avec le pape, pourvu que le pape, de son côté, n’entreprît point sur les libertés, franchises et indults de l’Église gallicane.

Peu satisfait de cette réponse, Boniface ordonna au légat de déclarer à Philippe qu’il était excommunié et de défendre à tous les ecclésiastiques de célébrer devant lui les saints mystères. Alors Philippe fit saisir le temporel des évêques et des abbés qui s’étaient rendus à Rome contre sa défense. Il convoqua les états au Louvre pour le mois de juin (1303). Guillaume du Plessis ou du Plasian prononça dans cette assemblée une harangue plus violente que n’avaient été celles des seigneurs de Flotte et de Nogaret. Il fit le lendemain une longue énumération de ce qu’il appela les crimes du pape, et le roi et les états, adoptant les conclusions de l’orateur, appelèrent au concile général et au pape futur, légitimement élu, de tout ce que Boniface avait fait et pourrait faire dans la suite, par ses excommunications et par ses interdits, tant contre le roi que contre son royaume et contre ses vassaux.

Les évêques et les abbés, même ceux qui avaient été à Rome, et Hugues, visiteur des maisons de l’ordre des Templiers, souscrivirent à la convocation du concile et à l’appel au pape futur. Plus de sept cents actes d’adhésion, qui sont conservés au trésor des chartes, furent envoyés de tous les points du royaume par les ordres monastiques, les chapitres, les universités, les villes et les provinces. Les dominicains de Montpellier, ayant élevé des difficultés, eurent ordre de sortir du royaume dans trois jours.

Boniface publia, en forme de manifeste, la bulle Nuper ad admonitionem, dans laquelle, entre autres plaintes, il reprochait à Philippe d’avoir reçu dans ses États Étienne Colonne, déclaré ennemi du Saint-Siège et de l’Église. Dans une bulle, le pontife ôta le droit des élections à tous les corps ecclésiastiques, se réserva la provision de tous les bénéfices qui viendraient à vaquer, et déclara nulles toutes les élections des évêques, jusqu’à ce que le roi eût reconnu sa faute. Par une troisième bulle, il enleva aux docteurs le droit d’enseigner et de donner des grades en théologie et en droit. Enfin, voulant joindre aux armes spirituelles les armes temporelles dont il avait menacé la France, il écrivit au comte de Flandre pour l’engager à persévérer dans sa révolte armée contre son souverain, et voulant déterminer Albert d’Autriche à entrer dans sa querelle, il consentit à le reconnaître comme roi des Romains.

Mais Albert, qui, dans le traité de Vaucouleurs, avait renoncé aux prétentions de l’empire sur le royaume d’Arles, et avait obtenu de Philippe, en s’alliant à lui, sa renonciation à ce qu’il pouvait prétendre en Lorraine, en Alsace et sur Fribourg, ne jugea pas à propos de s’armer pour augmenter la puissance du pape, qui depuis plusieurs siècles était devenue si redoutable aux empereurs. Philippe crut devoir prendre enfin de nouvelles mesures, et, ne considérant plus Boniface que comme un prince temporel qui lui faisait la guerre, il chargea le seigneur de Nogaret, qui était alors en Italie, de le surprendre, de l’enlever et de le conduire à Lyon, où il se proposait de le faire déposer dans un concile général.

Mais cet ordre ne fut exécuté que pour la première partie, et les violences auxquelles il donna lieu causèrent la mort du pontife. Ainsi finit cette longue querelle du sacerdoce et de l’empire, et, parmi les funestes effets qu’elle produisit, elle parut avoir cet avantage pour l’Église et pour les princes, qu’on fut désormais plus réservé à remuer les questions de l’autorité du Saint-Siège sur le temporel des rois.

Reprenons la série des événements politiques. Pendant la guerre de Flandre, la ville de Gand ayant ouvert ses portes à Charles de Valois (1299), le comte de Flandre et ses deux fils résolurent d’aller à Paris se remettre à la miséricorde du roi ; ils traitèrent avec Charles de Valois, qui promit de les reconduire en Flandre dans un an, si la paix n’était pas faite plus tôt.

Les princes flamands, suivis d’un grand nombre de seigneurs, arrivèrent à Paris et se jetèrent aux pieds de Philippe, qui, les regardant d’un air froid et sévère, dit qu’il leur donnait la vie, mais que le traité, fait contre son consentement, ne serait point exécuté. Le comte de Flandre et ses deux fils, Robert et Guillaume, furent envoyés prisonniers, le premier à Compiègne, le second au château de Chinon, le troisième en Auvergne.

Bientôt Philippe, suivi de la reine et de toute sa cour, parut au milieu de la Flandre en souverain. Il diminua les impôts, accorda aux villes de nouveaux privilèges, ne négligea rien pour gagner l’affection des peuples, et déclara enfin que le comte ayant mérité par sa félonie la confiscation de ses États, il réunissait la Flandre à sa couronne. Il avait assez bien réussi à gagner les Flamands par des manières populaires : il en donna le gouvernement à Jacques de Châtillon, oncle de la reine, qui ne sut pas continuer avec succès ce que le prince avait commencé avec tant de bonheur.

Une sédition, qui éclata à Bruges entre le magistrat et ses habitants, fut le commencement d’une guerre sanglante, où l’on vit un simple tisserand nommé Pierre Leroi, homme hardi et turbulent, et un boucher nommé Bregel, lutter contre toutes les forces de la monarchie française. Châtillon, ayant étouffé la révolte de Bruges, fit construire dans cette ville une citadelle aux dépens des habitants. Il en fit élever deux autres à Lille et à Courtrai ; il fortifia plusieurs autres places qui avaient été démantelées et surchargea la Flandre d’impôts. Bientôt le mécontentement devint général : l’explosion fut terrible. Pierre Leroi se rendit maître de Bruges ; Gand se souleva ; Dam et Ardembourg suivirent son exemple ; Guillaume de Juliers, neveu du comte de Flandre, vint se joindre aux révoltés.

Châtillon rassembla ses troupes et entra dans Bruges. Mais le bruit s’étant répandu que, parmi ses bagages se trouvaient des tonneaux remplis de cordes pour pendre un grand nombre d’habitants, le peuple courut aux armes en criant : Flandre ! Flandre ! Lion ! Lion ! 1 500 cavaliers français et environ 2 000 fantassins furent tués ou assommés. Châtillon eut son cheval tué sous lui : il se sauva dans la maison d’un gentilhomme, qui le cacha, et dans la nuit il s’évada déguisé en prêtre, en traversant à la nage le fossé de la ville, où un valet qui l’accompagnait se noya.

Bientôt Guillaume de Juliers, élu général, s’empara de Furnes, de Bergues, de Vindale et de Cassel. Guy, un des fils du comte de Flandre, arriva suivi de quelques troupes allemandes. Courtrai, Oudenarde, Ypres lui ouvrirent leurs portes. Dans cette extrémité, Châtillon se rendit en France pour presser l’envoi d’une puissante armée : elle ne tarda pas à s’avancer sous le commandement de Robert, comte d’Artois. Il y avait en Flandre un parti français considérable, qu’on appelait la faction du lis. Ce parti, qui, de concert avec Châtillon, n’avait pu arrêter les progrès de la révolte, se réunit à l’armée française, forte de 47 000 soldats.

Le prince flamand était à la tête de 60 000 hommes, qu’il tenait retranchés dans un camp entouré de fossés très profonds. Le comte d’Artois résolut de les attaquer, contre l’avis du connétable de HNesle et de plusieurs autres généraux, et regardant cette armée comme une réunion de gens ramassés et sans discipline, il dit quelques paroles choquantes au connétable, qui avait marié sa fille à un des fils du comte de Flandre ; le connétable, irrité, lui répondit : « Vous verrez que je ne suis point un traître ; vous n’aurez qu’à me suivre, et je vous mènerai si avant que vous n’en reviendrez jamais ».

Le camp des Flamands fut attaqué le 11 juillet 1302. Bientôt les fossés se trouvèrent comblés de morts. La pique, la massue et les flèches faisaient périr un si grand nombre d’hommes et de chevaux, que la terreur se répandit bientôt dans l’armée française et précipita sa fuite. La cavalerie passa sur le ventre de l’infanterie : le désordre était extrême ; le connétable fut tué sans vouloir recevoir de quartier ; le comte d’Artois expira après avoir reçu trente blessures. Deux maréchaux de France, Alain, fils aîné du comte de Bretagne, 6 comtes, 60 barons et plus de 1 200 gentilshommes périrent dans la déroute ou dans le combat. Les Flamands n’eurent que 100 hommes de tués. Jean, fils aimé du comte de Flandre, fut reconnu lieutenant de tout le comté pendant la détention de son père.

Toute la noblesse de France se vit plongée dans le deuil : depuis longtemps il n’avait péri dans un combat tant de gentilshommes. Philippe ne songea qu’à tirer une prompte vengeance des Flamands. Il établit des taxes qui s’élevaient au cinquième du revenu ; il força encore le prix des monnaies, qui, sans changer de poids, se trouvèrent plus hautes d’un tiers que sous les règnes précédents, ce qui excita beaucoup de murmures au dedans et au dehors du royaume ; il convoqua le ban et l’arrière-ban, leva une armée de 70 000 fantassins et de 10 000 cavaliers, en prit lui-même le commandement et alla camper à Vitry, entre Arras et Douai.

On était déjà au mois de septembre : le jeune comte de Flandre ayant réuni son armée aux environs de Douai, arrêta Philippe jusqu’à la saison des pluies, qui, venant à tomber en abondance, forcèrent le monarque de rentrer en France avant d’avoir rien entrepris. L’armée, sous les ordres du connétable Gaucher de Châtillon, obtint quelques succès pendant l’hiver. Une trêve fut conclue au printemps ; Philippe relâcha le comte de Flandre, alors âgé de quatre-vingts ans, et lui permit de disposer les esprits à la paix. Le vieux comte échoua, et revint à Compiègne, où il savait que la tête de ses deux fils prisonniers répondait de son retour. Il mourut bientôt après dans sa prison ; mais déjà la trêve avait été rompue, et il avait eu la douleur d’apprendre qu’un troisième fils, nommé Guy, pris au combat de Ziriczée par l’amiral Grimaldi, avait été conduit à Paris.

Philippe entra en Flandre (1304), prit Orchies, et vint camper à Mons-en-Puelle, entre Lille et Douai. L’armée flamande, qui était dans les environs, n’osant se risquer dans la plaine contre la cavalerie, prit le parti de s’enfermer dans un retranchement composé d’une immense quantité de chariots. Bientôt ce camp fut menacé d’être investi par la cavalerie française, et, comme les Flamands avaient oublié de faire provision de vivres, ils demandèrent vers le soir à sortir de leurs retranchements pour se précipiter à l’improviste sur le camp des Français.

Cette brusque attaque surprit l’armée sans défense : Guillaume de Juliers pénétra dans la tente du roi, où déjà le couvert était mis pour souper. Philippe, sorti au premier bruit des assaillants, n’avait eu que le temps de monter à cheval : il chargea l’ennemi avec courage, eut plusieurs seigneurs tués à ses côtés, et se défendit jusqu’à ce que son frère, Charles de Valois, fût accouru à son secours.

Bientôt l’action devint générale, et jamais combat ne fut mêlé de plus de confusion ; enfin, la cavalerie française, s’étant rassemblée, entra de tous côtés dans l’infanterie flamande, lui passa plusieurs fois sur le ventre et la mit en déroute. Guillaume de Juliers et 6000 Flamands restèrent morts sur le champ de bataille. L’armée française perdit 1500 hommes. Cette victoire n’abattit point le courage des Flamands : Jean de Namur réunit 60 000 hommes, et tandis que Philippe pressait la reddition de Lille, des hérauts vinrent lui demander une paix honorable ou le défier à la bataille. Le roi, étonné, ne put s’empêcher de s’écrier : « N’aurons-nous jamais fait ? Je crois qu’il pleut des Flamands ».

Il assembla son conseil, et considérant qu’on avait affaire à des furieux désespérés, qui feraient acheter trop cher la victoire, tous les avis inclinèrent à la paix. Le duc de Brabant et le comte de Savoie furent acceptés pour médiateurs. On convint d’une trêve, et l’année suivante, la paix fut signée. Les principaux articles furent que Philippe remettrait en liberté Robert de Béthune, fils aimé du conte de Flandre, ses deux autres frères et tous les seigneurs flamands ; que le roi demeurerait maître de toute la Flandre en deçà de la Lis, c’est-à-dire de Lille, de Douai, d’Orchies, de Béthune, de toutes les autres places et territoires où l’on parlait wallon, et les réunirait à la couronne de France ; que le reste appartiendrait à Robert de Béthune, qui ne pourrait avoir que cinq villes fortifiées, avec le droit réservé au roi de les faire démolir s’il le jugeait nécessaire ; que d’ailleurs Robert prêterait foi et hommage à Philippe, et qu’il lui payerait à divers termes une somme de deux cent mille livres.

Ainsi par ce traité se trouva considérablement affaiblie la puissance des comtes de l’ordre, qui, de tous les grands vassaux de la couronne, étaient, après les rois d’Angleterre, les plus redoutables et les plus dangereux. Pendant le péril qu’il courut à la bataille de Mons-en-Puelle, Philippe avait fait un vœu à la sainte Vierge. Par une ordonnance du mois de septembre, datée du camp près de Lille, il fit, pour l’église Notre-Dame de Paris, une fondation de cent livres de rente. De retour dans sa capitale, il se rendit à la métropole, où il entra monté sur le même cheval qu’il avait sous lui le jour de la bataille ; il fit ensuite ériger en face de l’autel de la Vierge une statue équestre qui le représentait dans le même état où il fut surpris par les Flamands, c’est-à-dire sans autres armes que son casque, ses gantelets et son épée.

C’est vers ce temps que Philippe perdit sa femme, Jeanne de Navarre, qui avant sa mort avait fondé le collège de Navarre à Paris, et qu’il maria Louis, son fils aîné, avec Marguerite, fille du duc de Bourgogne. Benoît XI, qui avait succédé à Boniface VIII, leva l’excommunication lancée contre Philippe ; il annula la bulle qui retirait au roi la collation des bénéfices et celles qui avaient révoqué des privilèges accordés aux rois de France ; mais il exclut de l’absolution Nogaret et Sciarra Colonne, et les excommunia de nouveau, eux et leurs complices.

Benoît XI mourut le neuvième mois de son exaltation : le conclave s’assembla à Pérouse, et comme il était divisé en plusieurs partis, l’élection du nouveau pape partagea les esprits pendant neuf mois. Enfin, par l’influence de Philippe, les suffrages se réunirent sur Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, qui avait, dit-on, promis au roi, dans une entrevue ménagée avec lui près de Saint-Jean d’Angély, d’annuler tout ce qu’avait fait Boniface VIII ; rétablir les Colonne dans leurs biens et dignités ; d’accorder au roi des décimes pour cinq ans. L’archevêque lui promit aussi « une chose importante, que Philippe se réservait de lui de mander en temps et lieu, et qu’il devait tenir encore secrète. »

Il fut élu, prit le nom de Clément V, manda le sacré collège à Lyon, où il fut couronné, et transféra le siège pontifical en France, où six papes de suite le retinrent pendant soixante-dix ans. Bientôt ce pape accorda les décimes, rétablit les Colonne, créa un grand nombre de cardinaux français, cassa tous les actes faits contre la France par Boniface VIII, et permit d’instruire le procès de ce pontife comme s’il avait été vivant.

Philippe eut à apaiser en 1306 une sédition populaire excitée par l’altération des monnaies de l’État. Le peuple vint assiéger le roi dans le Temple, où il se trouvait alors ; les provisions qu’on apportait pour sa bouche furent enlevées ; la maison d’Étienne Barbette, maître de la monnaie, fut pillée. Philippe fit dissiper la populace par ses soldats, et plusieurs des mutins furent pendus dans les faubourgs de Paris.

Dans une entrevue qu’il eut avec le pape à Poitiers (1306), Philippe lui rappela sa promesse d’accorder une chose qu’il lui demanderait en temps et lieu, et il requit Clément V de condamner solennellement la gloire de Boniface, de faire déterrer son corps, de faire brûler ses os comme ceux d’un hérétique et de recevoir juridiquement l’accusation de quarante-trois hérésies et autres crimes, dont les témoins, qui seraient produits, s’engageaient à fournir la preuve. Le pape comprit que si Boniface était condamné comme hérétique, les créations de cardinaux faites par ce pontife devenaient nulles, ce qui entraînait la nullité de sa propre élection.

Il n’y avait d’ailleurs pas moyen d’attaquer dans sa foi un pontife qui l’avait fait éclater avec tant de pureté, dans la Sexte (ou sixième livre des Décrétales), publiée par ses ordres. Clément ne pouvant ramener Philippe, prit le parti de dissimuler. Il proposa de faire juger ce procès dans un concile général, et le roi, quoique peu satisfait, ne put rejeter l’offre de ce concile, qu’il avait lui-même demandé.

Alors le pape publia une bulle, en forme de lettre au roi, dans laquelle il reconnaissait qu’en tout ce que ce prince avait fait contre Boniface, ses intentions avaient été droites et sincères, et que, s’il avait encouru quelques censures à cette occasion, il en était parfaitement absous. Enfin le pape ne négligea rien de ce qui pouvait maintenir l’harmonie entre Philippe et lui. Il donna pouvoir à l’archevêque de Reims et à l’abbé de Saint-Denis d’excommunier les Flamands et le comte de Flandre, s’il leur arrivait de contrevenir à la paix que le roi leur avait accordée. Il proposa une croisade contre l’empereur de Constantinople, en faveur du comte Charles de Valois. Il s’entremit enfin pour rétablir la bonne intelligence entre Philippe et le roi d’Angleterre, qui refusait, depuis le traité de 1303, de venir en personne à Amiens rendre hommage et prêter serment de fidélité au roi, sous prétexte qu’on lui retenait le château de Mauléon, sur lequel il avait des prétentions.

En 1307, Philippe envoya Louis, son fils aîné, prendre possession du royaume de Navarre, qui lui était échu par la mort de sa mère. Ce prince fut couronné à Pampelune, et se fit suivre à son retour par 300 gentilshommes navarrois, qui furent comme autant d’otages de la fidélité de leurs compatriotes. Édouard II, qui avait succédé à son père sur le trône d’Angleterre, épousa Isabeau, fille de Philippe, et vint à Boulogne recevoir cette princesse, ratifier le traité fait en 1303, et faire hommage à Philippe pour le duché de Guienne et le comté de Ponthieu (1308).

Albert d’Autriche, roi des Romains, ayant été assassiné par son neveu Jean, duc de Souabe, Philippe songeait à mettre la couronne impériale sur la tête de son frère Charles, duc de Valois, et, connaissant l’influence que les papes exerçaient sur le collège des électeurs, il voulut déterminer Clément V à le servir dans cette occasion, et il projeta d’aller à Avignon solliciter l’intervention du pontife avec 6 000 chevaux.

Mais Clément V, instruit du projet de Philippe quand ce monarque le tenait encore secret, et considérant dans quelle dépendance, lui et ses successeurs pourraient tomber, si la couronne impériale et la couronne de France se trouvaient dans la même maison, se hâta d’écrire aux électeurs en les effrayant du dessein de Philippe, et Henri de Luxembourg fut promptement élu roi des Romains. Sa nomination était déjà confirmée par le pape, tandis que Philippe se préparait encore au voyage d’Avignon.

Dès lors, il n’y eut plus entre lui et Clément V que politique et dissimulation. Philippe, pour chagriner le pontife, le pressa de nouveau de travailler au procès de Boniface. Clément V avait indiqué le concile de Vienne pour le 1er octobre 1310. Philippe demanda qu’en attendant les accusateurs de Boniface pussent d’avance produire leurs pièces : le pape y consentit et publia une bulle qui donnait permission de déposer juridiquement devant lui à Avignon. Nogaret et d’autres accusateurs et témoins se rendirent dans cette ville. Nogaret et du Plessis ou du Plaisan publièrent des mémoires dans lesquels Boniface était accusé de n’avoir pas reconnu l’immortalité de l’âme ni la présence réelle. Ces accusations ayant excité de vives réclamations, Philippe crut prudent de prescrire aux accusateurs de se désister de leurs poursuites.

Alors Clément V publia une bulle portant que le roi de France n’avait eu nulle part aux violences faites à Boniface, et il ordonna qu’on effaçât des registres de la chancellerie romaine tout ce qui pourrait choquer le roi et préjudicier aux droits et aux privilèges de sa couronne. En même temps, il donna par une autre bulle l’absolution à Guillaume de Nogaret, à condition qu’il ferait le voyage d’outre-mer et y demeurerait jusqu’à ce qu’il en fût rappelé par le Saint-Siège ; qu’avant son départ, il accomplirait huit pèlerinages en divers lieux et que ses héritiers demeureraient chargés de ces pénitences s’il venait à mourir avant de les avoir accomplies.

L’accusation d’hérésie portée contre Boniface fut examinée au concile de Vienne et déclarée sans fondement. C’est dans ce même concile que furent condamnés les Templiers. Philippe le Bel avait fait arrêter dès le 13 octobre 1307 tous ceux qui se trouvaient dans son royaume et saisir tous leurs biens. La bulle qui prononce l’extinction de leur ordre est du 22 mai 1312. Déjà cent treize templiers avaient péri dans les flammes à Paris (1310), et le roi fit brûler le grand maître derrière les jardins de son palais.

La ville de Lyon, détachée du royaume depuis quatre cent quatre-vingt-dix ans, et qui était devenue successivement partie des royaumes d’Arles, de Bourgogne, de l’empire et avait enfin reconnu ses archevêques comme souverains, fut définitivement réunie à la couronne en 1313. La même année, Édouard II vint à Paris avec sa femme Isabeau et un grand nombre de seigneurs anglais. Philippe arma ses trois fils chevaliers, et les deux rois se croisèrent pour la terre sainte, ainsi qu’ils s’y étaient engagés au concile de Vienne ; mais ce ne fut qu’une démonstration, sans autre résultat que celui que cherchaient les deux princes de pouvoir lever plus facilement de nouveaux impôts.

Philippe n’avait pu encore contraindre les Flamands à l’exécution entière du traité. Il cita leur comte à comparaître au parlement de Paris pour y être jugé comme coupable de félonie, fit marcher une grande armée sur les frontières et lancer l’excommunication contre les Flamands. Le comte se soumit, et donna en otage son fils Robert ; mais les frais de la guerre avaient exigé l’établissement de nouveaux impôts : il en fut mis un de six deniers par livre sur tout ce qui se vendrait. Cet impôt, qui devait être payé en commun par l’acheteur et par le vendeur, agita le royaume, et déjà tout tendait à une révolte générale. La noblesse se confédérait en Bourgogne, en Champagne, en Picardie et dans d’autres provinces.

Philippe alors supprima l’impôt, fit entendre qu’il avait été établi à son insu et en rejeta la responsabilité sur ses ministres : elle coûta cher, sous le règne suivant, au surintendant des finances. Des chagrins domestiques vinrent affliger les dernières années de Philippe. Il se vit réduit à faire arrêter, pour le désordre de leurs mœurs, les femmes de ses trois enfants : Louis le Hutin, Philippe le Long et Charles le Bel.

Vers ce temps, le roi fut attaqué d’une maladie de langueur dont la cause et le remède échappèrent à l’art des médecins. Il fut transporté à Fontainebleau, et mourut dans la chambre où il était né, le 29 novembre 1314, âgé de 46 ans. Quelques historiens ont dit que le grand maître du Temple, avant d’expirer, avait ajourné à comparaître devant Dieu le pape dans quarante jours et le roi quatre mois après. Cette double époque de la mort de Clément V et de Philippe le Bel donna sans doute lieu d’inventer cette prophétie, qui entra d’abord dans la croyance populaire : vraie, elle serait un témoignage de l’iniquité de Philippe ; fausse, mais généralement reçue de son temps, elle semblerait l’accuser encore de passion et de cruauté.

Philippe signala son règne par une habile administration. Le premier il réunit les trois ordres aux états généraux (1303). Les divisions qui existaient entre le clergé, les seigneurs et les communes, les réduisant à choisir Philippe pour médiateur, permirent à ce monarque de dominer facilement. Il vendit à tous les ordres en particulier des chartes, des lettres patentes, des diplômes, qui augmentèrent les jalousies et les haines. « La nation, dit Mably, ne parut en quelque sorte assemblée que pour reconnaître d’une manière plus authentique les nouvelles prérogatives de la couronne et en affermir l’autorité. »

Philippe obtint tous les subsides qu’il demanda : s’il ne divisa pas, il profita des divisions existantes et les entretint pour régner. Quoiqu’il ne reste aucun mémoire, aucun document qui fasse connaître en détail ce qui se passa, dans les états convoqués par Philippe, on ne peut douter qu’ils n’aient favorisé toutes ses entreprises. « La noblesse et l’argent, tout, dit le président Hénault, était allé se perdre dans l’Orient, par les croisades : il fallait réparer ces deux pertes ; l’anoblissement pourvut à l’une, en attendant que le commerce pût réparer l’autre. » C’est en attendant cette dernière ressource, qui était trop éloignée, que Philippe se vit réduit à altérer les monnaies, et comme il est le premier roi de France qui ait exécuté cette entreprise dangereuse, il fut appelé faux monnoyeur.

Sous son règne, les monnaies varièrent continuellement. En 1305, le marc d’argent, qui n’avait valu que deux livres, fut élevé à huit livres dix sous. Les plaintes éclatèrent de toute part ; les denrées montèrent à un prix excessif, et les transactions furent interrompues. Philippe fit fabriquer cette même année (1305) des espèces d’un si bon titre que le marc d’argent ne valut plus l’année suivante que deux livres quinze sous six deniers. Les murmures contre le roi cessèrent ; mais ils redoublèrent contre les seigneurs qui n’eurent pas la prudence de suivre cet exemple.

Habile à parvenir à ses fins, le roi publia une ordonnance par laquelle il réglait qu’un officier royal serait établi dans chaque monnaie seigneuriale, et que le général de la sienne ferait l’essai de toutes les monnaies qu’on y fabriquerait, pour reconnaître si elles avaient le poids et le titre requis. Il voulut interdire aux barons la fabrication des espèces d’or et d’argent. Il écrivit au duc de Bourgogne une lettre impérieuse pour qu’il eût à exécuter dans ses États les ordonnances sur le fait des monnaies. Il fit saisir en Guyenne les coins de la monnaie de Bordeaux, et par une ordonnance (1313), il gêna si fort la fabrication des monnaies seigneuriales que plusieurs barons trouvèrent plus avantageux de lui vendre leur droit.

Ainsi Philippe sut enlever à ses vassaux un des privilèges les plus essentiels à la souveraineté, et abolit pour toujours dans le Languedoc la servitude de corps, qu’il changea en un cens annuel. Il restreignit les apanages aux seules branches males (1314). Il rendit le parlement sédentaire (1312). « Ce fut l’institution des parlements, dit Loyseau, qui nous sauva d’être cantonnés et démembrés comme en Italie et en Allemagne, et qui maintint ce royaume en son entier ». Philippe créa le parlement de Toulouse, parce que celui de Paris, rendu sédentaire, ne pouvait plus suffire à l’étendue de son ressort.

Les premières lettres d’érection en duché-pairie furent données à Jean, comte de Bretagne (1297), pour remplacer la pairie du comté de Champagne, que Philippe avait réunie à la couronne par son mariage avec Jeanne. A la même époque furent érigés en comtés pairies les comtés d’Anjou et d’Artois. En l’an 1309, Philippe régla qu’il y aurait près de sa personne trois clercs du secret : c’est l’origine des secrétaires d’État. Une ordonnance défendit pour toujours les duels en matière civile (1305). D’autres ordonnances furent rendues contre l’usure, contre les juifs ; il en est une sur le luxe, qui est curieuse par les détails où le roi entre sur chaque condition, et qui fait connaître les mœurs et les usages de cette époque. « L’anoblissement, dit le président Hénault, en élevant le courage des roturiers, a amené parmi eux le luxe des grands, dont il les a par là rapprochés encore davantage ; en sorte que le luxe, qui avait banni l’égalité de chez les Romains, l’a rétablie chez les Français. »

 
 
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