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Reine Ingeburge de Danemark, capétienne. Naissance, mort, mariage, règne. Capétiennes

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Reines, Impératrices
Biographie des reines et impératrices françaises. Vie des souveraines, faits essentiels, dates-clés. Histoire des règnes
Ingeburge de Danemark
(née vers 1175, morte le 27 juillet 1236)
(Épouse Philippe-Auguste le 14 août 1193)
Publié / Mis à jour le lundi 1er février 2010, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 12 mn
 

A son retour de croisade, l’ennui du veuvage, les exhortations des évêques et l’inquiétude générale qu’avait causée en son absence la maladie qui avait failli enlever son fils, le futur Louis VIII, engagèrent Philippe-Auguste à choisir une seconde épouse. Tandis qu’il hésitait sur les divers rapports qu’on lui envoyait de toutes parts, l’évêque de Hambourg lui fit un portrait séduisant d’Ingeburge, princesse de Danemark, fille de Waldemar le Grand et de la reine Sophie de Russie ; l’ancienne inimitié des Danois et des Saxons était un motif de politique, car Philippe se fortifiait contre l’Angleterre par une alliance avec le Danemark.

Depuis 1182, le trône danois était occupé par Kanut VI, frère d’Ingeburge, lequel répondit à l’évêque de Noyon et aux comtes de Nevers et de Montmorency, députés pour demander la main de la princesse : « Je confierai volontiers ma sœur à vos soins pour être conduite au roi, mais il faut que votre Seigneur s’engage à l’épouser, à ne jamais la renvoyer, et que, pour garants de sa promesse, il laisse en otage plusieurs barons et évêques ». En outre, il préféra s’acquitter d’une dot de dix mille marks d’argent, à l’aide que les ambassadeurs de Philippe promettaient au Danemark contre Henri VI d’Allemagne dit le Cruel, fils et successeur de Frédéric Barberousse. Les plénipotentiaires crurent pouvoir accéder aux conditions exigées par Kanut, et signèrent une charte ; c’est sur ces assurances qu’lngeburge, escortée de chevaliers danois, partit sous la protection des évêques et des nobles barons de France.

Ingeburge de Danemark Plaque de bronze du tombeau, fondue à la Révolution

Ingeburge de Danemark
Plaque de bronze du tombeau,
fondue à la Révolution

Philippe était allé l’attendre à Amiens, dont les maisons furent aussitôt décorées de draps brodés et de guirlandes de fleurs. Ce 14 août 1193, dès qu’elle eut franchi la dernière frontière de France, le roi, monté sur son cheval de bataille, le casque-en tête et revêtu d’une cotte d’armes à mailles d’argent, courut avec empressement au-devant de sa fiancée ; il l’accueillit avec honneur et parut la trouver telle qu’on la lui avait annoncée, belle avec ses cheveux blonds, sa taille élevée et sa main d’une éclatante blancheur, car elle était la plus belle des sœurs du prince du Danemark, « embellie encore, dit un chroniqueur, par sa jeunesse, par la sainteté et l’innocence de ses mœurs ». A l’arrivée de la princesse dans la cité d’Amiens, on célébra le mariage à la cathédrale où tout le peuple suivit et où un prélat avait été mandé d’urgence.

Après la bénédiction nuptiale, et pendant que toutes les cloches d’Amiens carillonnaient, le roi annonça que le couronnement de la nouvelle reine aurait lieu le lendemain. Le soir, tandis que le peuple amiénois célébrait joyeusement le mariage du souverain, Philippe-Auguste alla retrouver Ingeburge qui l’attendait dans un lit parfumé, et se montra empressé tant qu’il fallait, avant de se relever au bout d’un instant. La jeune fille le considéra sans comprendre. Le roi arpenta nerveusement la chambre avant de se remettre au lit, se mettant de nouveau debout quelques minutes plus tard, les mains agitées par un furieux tremblement. Trois fois encore, le roi remonta dans le lit. Trois fois il prit son épouse dans ses bras. Trois fois il se releva pour marcher en serrant les poings. Pris de tremblements, il s’allongea près d’Ingeburge, qui se réveilla le lendemain aussi pure que la veille.

Au petit matin, on vint chercher les souverains pour les conduire à la cathédrale où devait avoir lieu le couronnement de la reine. Pendant la cérémonie, on vit le roi pâlir, s’éloigner de sa nouvelle épouse. Lorsque l’archevêque de Reims commença à accomplir les rites du sacre, une onction devant être faite sur la poitrine de la reine, le prélat dénoua la tunique et traça une croix avec le saint chrême sur la peau d’Ingeburge. A ce moment, un léger cri fit se retourner l’archevêque, qui s’immobilisa d’effroi en voyant le roi en proie à une véritable crise de nerfs. Tremblant, frissonnant, les yeux écarquillés, Philippe-Auguste agitait ses mains. Quelques ecclésiastiques s’approchèrent du souverain pour le cacher aux yeux de la foule, et le sacre de la reine se termina, le peuple se répandant dans la ville en fête.

Philippe avoua alors à l’archevêque sa soudaine et violente répulsion pour Ingeburge, affirmant que « moult elle lui déplaisoit », et qu’il ne pouvait supporter sa présence. « Cette femme est ensorcelée, disait-il, elle a fait de moi un impuissant. Il faut qu’elle retourne au Danemark ». Ce brusque changement surprit toute la cour ; Ingeburge délaissée devint le sujet de tous les entretiens. Elle est si belle, disait-on, qui peut en elle déplaire à notre sire ? Quelques-uns disaient que cette beauté froide, ce rude accent du nord qui déparait ses lèvres suffisaient pour motiver l’éloignement du roi ; mais le plus grand nombre attribua cette aversion si soudaine et si forte à l’œuvre de Satan : « Il est certain, dit Rigord, le moine de Saint-Denis, que dès ce moment le démon ouvra en notre sire ».

De vieux chevaliers engagèrent le roi à vaincre cette répugnance et à prendre avec lui la femme qu’il venait d’épouser. Déjà le roi l’avait reléguée dans un couvent, à Saint-Maur-des-Fossés, où Ingeburge attendait avec anxiété ce qu’il allait advenir ; c’est là qu’elle reçut le roi comme son seigneur et son époux, venu la voir pour tenter une dernière fois d’en faire sa femme, sur le conseil de son oncle l’archevêque de Reims. Mais Philippe sentit croître auprès d’elle cette invincible répugnance, et fut encore une fois la proie de tremblements, son visage livide ruisselant de sueur.

Dans ses Histoires d’amour de l’Histoire de France, Guy Breton écrit que lorsque Philippe quitta le couvent, il se laissa aller à un violent mouvement de colère en remontant à cheval, criant : « Rien à faire ! Rien à faire ! Cette femme est vraiment ensorcelée... ». Le lendemain, le nouvel échec du roi était connu de tout Paris, chacun y allant de ses commentaires.

 Pour que le roi ne puisse point, disaient les uns, il faut que la reine ait quelque défaut caché. Peut-être bien une peau de lézard...

 Ou des écailles de poisson sur le ventre, comme cela s’est déjà vu, disaient les autres

 Ouais ! Ouais ! ricanaient les commères. A moins que notre gentil souverain n’ait eu quelques mauvaise surprise en voulant dépuceler la reine...

 Et quoi donc par exemple ?

 Par exemple ? Eh bien ! de voir que sa virginité était restée au Danemark...

Cette dernière supposition, que l’on répéta bientôt, fut un jour émise sur la montagne Sainte-Geneviève où elle suscita la colère des étudiants danois. Des bagarres s’ensuivirent entre ceux qui croyaient à la virginité de la reine et ceux qui la disaient envolée depuis longtemps. L’hypothèse d’une déclaration de guerre du Danemark à la France n’était plus écartée.

Le jour de son ultime tentative auprès de la reine qui se solda par un échec, Philippe réunit ses clercs, et, après leur avoir déclaré qu’il ne pouvait supporter la pensée d’avoir Ingeburge pour femme, il leur enjoignit de chercher des moyens de dissoudre le mariage. Les clercs, dans le plus grand embarras, ne savent que résoudre ; on cherche des motifs de parenté, et on trouve fort à propos que la reine Ingeburge était petite nièce d’Anne de Kiev, femme du roi de France Henri Ier et bisaïeule de l’actuel roi. Cette affinité ne pouvait motiver la séparation, car elle formait dix-huit degrés, mais les clercs ne trouvèrent pas dans leur conscience assez de courage pour résister à la volonté du roi ; tout lui paraissait supportable au prix de cette alliance.

C’était le 5 novembre 1193. Le cardinal de Champagne consentit à présider l’assemblée réunie à Compiègne et à laquelle on appela la reine, mais sans lui donner de défenseur, et en la séparant de ses serviteurs ; en sorte que la malheureuse princesse assista à la discussion, sans savoir ce qu’on disait et ce qu’on allait faire ; à !a fin de la séance un interprète lui expliqua la sentence de répudiation. Alors elle fondit en larmes et s’écria : « Mala Francia [Mauvaise France !] » Puis elle se leva et dit avec énergie : « Roma ! Roma ! », pour faire comprendre qu’elle en appelait au pape. Le légat du pape, qui était présent et avait accepté de prononcer l’annulation en pensant qu’Ingeburge s’y soumettrait sans protester, craignit que le pape n’exigeât une enquête sérieuse.

Après ce jugement inique et précipité, Philippe, conseillé par le légat, se hâta d’ordonner le départ de la reine ; mais Ingeburge se refusa positivement à retourner dans sa patrie, préférant l’abaissement où la retenait son époux, à la honte d’une démarche après laquelle elle sentait que nul retour ne serait possible. Le roi se montra cruel envers une femme qui n’avait d’autre tort que d’avoir eu le malheur de lui déplaire ; il la fit enfermer de tourelle en tourelle, sans veiller même à ce qu’elle eût un honnête entretien ; elle fut à la fin confinée à Cysoing, dans un château où elle ne voyait presque que le seul évêque de Tournai, Étienne, que son malheur toucha. « Mon père, lui faisait-elle dire par ses interprètes, mon père, ayez pitié de ma misère ; ma confiance est en Dieu seul, car mes amis et mes proches m’ont abandonnée, et si ce n’était monseigneur de Reims qui m’a fortifiée et consolée, et qui m’a nourrie libéralement depuis mon adversité, j’aurais souffert de la pauvreté autant que les plus malheureux de ceux qui y sont nés ».

L’évêque écrivait en sa faveur au cardinal de Champagne : « Je dirais presque que la reine est mieux faite que Sara, plus sage que Rebecca, plus dévote qu’Anne, plus chaste que Suzanne ; ceux qui disputent de la beauté des femmes assurent que la reine n’est pas moins belle qu’Hélène ni moins noble que Polixène. Son occupation journalière est la prière, la lecture ou le travail des mains. Elle ignore ce que sont les jeux et les amusements : depuis le matin jusqu’à neuf heures, elle prie, agenouillée dans son oratoire ; elle répand devant le seigneur des larmes et des gémissements, moins pour elle que pour son époux. Oh ! si notre Assuérus connaissait le mérite de son Esther, il lui rendrait bientôt ses bonnes grâces, son amour, sa confiance et le trône qu’il lui ôte. Hélas ! cette reine, fille de rois, petite-fille de saints martyrs, est réduite par l’indigence où elle se trouve, à vendre ses meubles, ses habits même, pour pourvoir à sa nourriture. Je l’ai vue pleurer, et j’ai pleuré moi-même avec elle... »

Du fond de sa cellule, Ingeburge continuait à aimer passionnément cet homme dont elle avait rêvé en venant l’épouser, et pensait à lui avec une infinie tendresse. « Je suis sa femme », pensait-elle avec un grand trouble. On saura en effet plus tard, de source ecclésiastique, que l’inocente jeune femme avait été abusée par les outrages insignifiants que lui avait fait subir Philippe-Auguste, et pensait réellement le mariage consommé.

Étienne de Tournai ne se borna pas à écrire en faveur de la reine ; il alla à Rome pour supplier le pape Célestin III de prendre en main la cause d’lngeburge. Kanut avait envoyé aussi deux légats dès qu’il avait appris l’outrage fait à sa sœur. Mélior, prêtre-cardinal, et Cenci, son diacre, vinrent déclarer au roi que la cour de Rome devait décider de cette grande affaire, et que la sentence était irrégulière, démontrant clairement que les liens de parenté invoqués par le concile tenu à Compiègne étaient une grossière invention. « La sentence est valable, dit Philippe fort irrité, et vous n’avez rien à voir dans cette affaire ». Mais les deux prélats répliquèrent : « Tu te trompes ; il appartient à nous seuls, comme délégués du souverain pontife, de te délier du serment que tu as fait envers ton épouse Ingeburge ».

Ils annoncèrent l’intention d’assembler un concile ; mais les menaces du roi empêchèrent l’exécution de ce dessein, car les clercs et les abbés, dit Rigord en sa chronique, « furent tous comme des chiens muets, et nul n’osa japper, tant ils craignaient pour leur peau ! » Cependant le souverain pontife, attendri par les lettres d’Ingeburge, cassa le 13 mars 1195 la sentence de divorce, et les prélats danois s’en retournaient au Danemark lorsque le roi de France, tenu au courant de leurs négociations, les fit arrêter à Dijon, dépouiller, et jeter en prison. La protestation de Kanut et le mécontentement de Célestin à la nouvelle de ce qui s’était passé, ne purent faire lancer l’excommunication par ce dernier, parce que Philippe n’avait pas rompu le dernier lien de l’obéissance, et que, s’il persistait à éloigner sa femme, du moins il n’avait pas recherché une autre épouse.

Le roi brava enfin ouvertement les foudres de l’Église. Il fit chercher une femme par toute l’Europe ; mais ses premières tentatives ne furent pas heureuses : les trouvères faisaient des malheurs d’Ingeburge le sujet de leurs chants, ils en composaient des complaintes, et les nobles suzeraines pleuraient sur la princesse du Danemark, reléguée de château en château, quelquefois privée de la lumière du jour, quelquefois abandonnée aux soins de gardiens infidèles qui oubliaient de veiller à sa nourriture ; car il était arrivé, et cela était notoire, que la reine avait passé un jour sans manger.

Aussi, malgré les lettres du roi de France et les prières de ses envoyés, les nobles dames craignaient ou d’être répudiées ou de se voir ignominieusement renvoyées ; Clémence en Thuringe, et Alix, fille d’un prince palatin, refusèrent. Philippe écrivit à une princesse de Flandre : « Je jure que je vous épouserai, à moins que vous ne soyez laide à faire peur », nous apprend Guillaume Le Breton dans ses Chroniques. Cette promesse ne parut pas suffisante pour faire agréer la demande. Mais à la fin, Agnès, fille de Berthold IV duc de Méranie, après avoir bien demandé si le roi de France était libre et si son divorce était valable, consentit à devenir sa femme.

Le mariage, qui eut lieu en juin 1196, faisait le bonheur de Philippe, lorsque le successeur de Célestin III, Innocent III élu le 8 janvier 1198, déclara que le roi ne pouvait garder Agnès avant que la parenté d’Ingeburge ne fût mieux prouvée qu’elle ne l’avait été jusque-là, et qu’il fallait préalablement cesser tout rapport avec Agnès. Philippe dédaigna cette réprimande et ne répondit même pas. Innocent lui envoya un légat avec une seconde lettre. Philippe reçut le légat, lut la missive, et dit : « Agnès est mon épouse, personne ne pourra m’en séparer ». Le cardinal, Pierre de Sainte-Marie, avait le pouvoir et l’ordre de mettre le roi en interdit, mais il n’osa aller plus loin avant d’en avoir écrit au pape qui ordonna de jeter l’interdit sur le royaume de France le 15 janvier 1200, persuadé que la voix du peuple forcerait le roi à céder.

Le pape Innocent III

Le pape Innocent III

En effet le peuple murmura fort, prit hautement parti contre le roi. En septembre, dans certains endroits, les cadavres, que l’on n’avait pas le droit d’enterrer, dégageaient une telle puanteur que des villages entiers étaient incommodés. Le roi savait quels graves ennuis devaient supporter ses sujets, mais ne voulait pas céder. Pourtant, il finit par s’incliner, et envoya des émissaires à Rome supplier le pape de lever l’interdit et de réunir, pour étudier la validité de son union avec Ingeburge, un concile auquel il s’engageait par avance à se soumettre. Le pape exigea avant toute chose le renvoi d’Agnès et le rappel d’Ingeburge. Philippe-Auguste dut céder. La rencontre pour le retour en grâce de la reine emprisonnée eut lieu à Rambouillet le 7 septembre 1200.

Agnès vint à cette assemblée composée de tous les tenanciers de la Couronne de France ; mais sa tristesse, ses vêtements de deuil, les inquiétudes mortelles que décelait sa pâleur, ne purent entrer en balance avec le malheur de l’interdit ; aucun chevalier ne prit sa défense ; l’avis unanime du parlement fut que le roi renvoyât Agnès de Méranie, et reprit Ingeburge jusqu’à ce que le pape eût fait revoir la sentence. Alors Philippe, s’adressant à l’archevêque de Reims : « Il est donc vrai, lui dit-il, que cette sentence de divorce a été annulée par le Saint-Siège ? - Cela est vrai, monseigneur, répondit le prélat. - Eh bien ! sire archevêque, vous qui l’avez prononcée, vous ne saviez donc ce que vous faisiez ? » L’archevêque ne répondit pas un mot, et le roi sortit. Après avoir fait conduire Agnès au château de Poissy, il fit installer la reine répudiée dans le château de Saint-Léger-en-Yvelines, près de Paris. L’interdit fut aussitôt levé.

Quelque temps plus tard, les deux époux virent arriver un légat chargé d’assembler un concile. Le cardinal Octavien, revêtu de cette mission, ayant convoqué le concile à Soissons, la reine Ingeburge y fut mandée ; on lui prépara un siège à côté de celui du roi, et le légat prenant la parole, demanda à Philippe s’il voulait promettre de reprendre sa femme Ingeburge et de renvoyer Agnès de son palais et de son royaume, jusqu’à ce que la sentence de parenté fût de nouveau examinée et résolue. Le roi promit, mais il ne pouvait retenir les pleurs que le dépit lui arrachait.

Le concile avait fixé à six mois et deux semaines la réunion de l’assemblée qui devait enfin décider la question du divorce, question bien simplifiée par la mort d’Agnès le 20 juillet 1201. L’intérêt qui s’attache à un amour partagé ne peut pallier la dureté du roi à l’égard d’Ingeburge, répudiée, humiliée et maltraitée. Cette princesse fut reçue comme reine à l’abbaye de Notre-Dame de Soissons, où sa conduite parut pleine de sagesse et de modestie. Le concile tint six séances dans l’espace de quinze jours.

A la dernière, un jeune homme inconnu, remarquablement beau, s’étant levé du milieu de l’assemblée, parla en faveur d’Ingeburge avec une éloquence, une convenance, une douceur qui frappèrent tous les assistants, et qui parut faire impression sur le roi. Cependant rien encore n’annonçait la fin de la décision les examens se prolongeaient, les envoyés du roi de Danemark arrivaient, le royaume était en suspens : tout à coup le roi fait dire aux prélats et aux clercs qu’il consent à reprendre sa femme, et qu’ainsi leur réunion devient inutile. Les Pères assemblés, en recevant la missive royale, apprennent que Philippe vient d’aller enlever sa femme à l’abbaye de Notre-Dame de Soissons ; qu’il l’a mise en croupe sur son cheval, et qu’il l’emmène à la demeure royale.

Cette brusque obéissance qui dispersa le concile, ne fut point un gage de bonheur pour les deux époux. La répugnance du roi pour Ingeburge s’était accrue de toutes les amertumes et de tous les chagrins qu’il avait subis à cause d’elle ; Ingeburge lui inspirait une aversion qu’il disait insurmontable, et dont jamais il ne fit connaître la cause ; quand il s’en expliquait, il disait qu’il fallait qu’il y eût « sortilèges et maléfices ». Au bout de quelques semaines, il relégua de nouveau la reine loin de lui ; elle passa de longues années renvoyée de château en château, de monastère en monastère sans que les remontrances du pape, les conseils des évêques triomphassent de l’aversion de Philippe.

Rendant Ingeburge responsable de la mort d’Agnès, Philippe donna des ordres pour que la prisonnière, désormais enfermée à Étampes dans la tour de Guinette, fût traitée avec la dernière sévérité. Il pensa qu’en lui rendant la vie intenable, il l’amènerait peut-être à demander elle-même la dissolution du mariage, et organisa une persécution de tous les instants qu’Ingeburge endura sans se plaindre. Un jour de 1203 pourtant, les souffrances étant trop vives, elle écrivit au pape cette lettre émouvante :

« Je suis persécutée par mon seigneur et mari Philippe qui, non seulement ne me traite pas comme sa femme, mais me fait abreuver d’outrages et de calomnies. Dans cette prison il n’y a aucune consolation pour moi, mais de continuelles et intolérables souffrances. Personne n’a le droit de venir me voir, ni ne l’ose. Aucun religieux n’est admis à réconforter mon âme en m’apportant la parole divine. On empêche les gens de mon pays natal de m’apporter des lettres et de causer avec moi. La nourriture que l’on me donne est à peine suffisante ; on me prive même des soins médicaux les plus nécessaires à ma santé. Je ne peux pas me baigner. Si j’ai besoin d’une saignée, je n’ai personne pour y recourir. Et, à cause de cela, je crains que ma vue n’en souffre et que d’autres infirmités plus graves encores ne surviennent. Je n’ai pas non plus assez de vêtements et ceux que je mets ne sont pas dignes d’une reine. Enfin, ce qui rend ma misère plus insupportable, ce sont les femmes acariâtres que le roi m’a données comme société. Elles me parlent d’une façon railleuse et offensante. Je n’entends que des grossièretés ou des insultes.

« Les lettres que Votre Sainteté m’a envoyées, je n’ai pu les recevoir. Découragée et incertaine de ce que je ferai dans l’état où je suis, dégoûtée de vivre, je tourne les yeux vers vous, Saint-Père. Je pense à mon âme, pas à mon corps. Je meurs chaque jour pour garder entièrement le droit au mariage. Si mon seigneur Philippe, célèbre roi des Français, trompé par les ruses du diable, voulait encore une fois plaider sa cause contre moi, je désirerais être conduite dans un endroit où je puisse m’expliquer librement et, remise en liberté, obtenir Votre Miséricorde Apostolique d’être relevée des déclarations qui auraient pu m’être arrachées par la contrainte ».

Cette lettre émut le pape qui adressa de sérieuses remontrances à Philippe-Auguste, lequel fit adoucir la détention d’Ingeburge. Le souverain pensa alors à se remarier pour la quatrième fois, mais s’il avait bien une liaison avec une jeune personne que les chroniqueurs nomment « la demoiselle d’Arras » (qui lui donna un fils devenu archevêque de Noyon), Philippe voulait une femme légitime. Il caressait cet espoir sachant désormais le pape disposé à reprendre la procédure de dissolution de son mariage avec Ingeburge en tenant compte de l’accusation de sorcellerie portée contre elle.

Mais les événements politiques bouleversèrent les desseins du roi de France et le portèrent à se rapprocher d’Ingeburge. En reprenant au roi d’Angleterre Jean sans Terre la Normandie, l’Anjou et le Poitou en 1204-1205, il suscita l’inquiétude chez ses voisins les comtes de Flandre, de Boulogne et l’empereur Othon IV de Brunswick, qui s’allièrent avec Jean pour mettre fin aux ambitions du souverain. Comprenant la menace, Philippe-Auguste fit fortifier Paris et les principales villes du domaine royal : Reims, Châlons-sur-Marne ou encore Péronne. Jugeant nécessaire une flotte pour tenir tête à l’Angleterre, il songea au Danemark, dont les navires étaient les plus beaux d’Occident.

Cette réflexion ne fut certainement pas étrangère à sa décision de reprendre en 1208 Ingeburge à ses côtés, bien que, suivant la chronique, il le fit « pour en finir avec les remontrances de l’apostole de Rome ». La libération d’Ingeburge était en effet nécessaire pour espérer négocier une alliance avec la cour danoise. La nouvelle situation de la reine fut confortée quelques années plus tard, en 1212, lorsque las de l’attitude de Jean sans Terre, le pape Innocent III le déposa de son trône et appela les princes chrétiens à une croisade contre lui. Si Jean se soumit au pape l’année suivante, il se prépara à prendre en tenaille le royaume de France, en lançant une attaque depuis la Guyenne, seule partie de l’Aquitaine lui appartenant encore, tandis que ses alliés lanceraient une attaque au nord. L’appui du royaume de Danemark apparaissait désormais comme étant primordial.

Ingeburge était une compagne reconnue lorsque le roi de France atteignit, par la victoire de Bouvines (27 juillet 1214) la plénitude de sa majesté. Elle survécut à Philippe-Auguste, dont elle ferma les yeux quand il mourut (1223), et qui lui réserva dans son testament des terres et des biens. Ingeburge se retira près de Corbeil, dans une île de l’Essonne, au prieuré de Saint-Jean-en-l’Ile qu’elle avait fondé. Devenue une reine douairière fort discrète, elle traversa le règne de Louis VIII et de Blanche de Castille, s’éteignant le 27 juillet 1236, dix ans après l’arrivée au trône de Saint-Louis.

Ingeburge n’eut aucun enfant avec Philippe-Auguste.

 
 
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