Coutumes, Traditions Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres Joutes nautiques cettoises et lyonnaises (D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1909) Publié / Mis à jour le mardi 5 octobre 2010, par LA RÉDACTION Temps de lecture estimé : 5 mn A la fin du XIXe siècle, les joutes sur l’eau connurent un regain d’intérêt, certains journaux sportifs en quête de choses inédites dans leur littérature spéciale s’étant avisés de les découvrir. Du coup, ce vieil amusement de nos ancêtres se trouva promu à la dignité de sport. Voici en quoi consistent les joutes. Deux hommes, montés chacun sur une petite plate-forme placée à l’arrière d’un bateau et armés d’une lance en bois, cherchent à se précipiter mutuellement à l’eau, en se poussant l’un l’autre avec leurs lances et en profitant de l’élan que leur donnent les deux bateaux quand ceux-ci se croisent avec toute la vitesse qu’ont pu leur communiquer les rameurs. La joute cettoise Naturellement, le jeu présente plusieurs variantes, selon les usages du pays ; ainsi jouteurs parisiens et jouteurs du Rhône ne se croisent pas du même côté, quand les deux bateaux sont lancés l’un contre l’autre. Les uns se croisent par la droite, tandis que les autres se croisent par la gauche. Mais là où la différence est capitale, c’est entre les joutes cettoises, telles que les représente la gravure et qu’elles se pratiquent à Cette, Marseille, Cannes, etc., et les joutes lyonnaises, c’est-à-dire les joutes de la vallée du Rhône, parisiennes, etc. Pour les joutes cettoises, les bateaux employés sont pourvus de tintaines. La tintaine est une petite plate-forme inclinée, disposée à l’extrémité de deux longues poutres robustes, solidement fixées en pente assez raide à l’arrière de l’embarcation. Les tintaines sont assez élevées et surplombent l’eau d’environ 3 ou 4 mètres. Les jouteurs cettois sont armés de petites lances en bois fort légères, ayant environ 2 ou 3 mètres et qui se manient d’une seule main. Ils portent une sorte de bouclier en bois assez long à deux pans inclinés. C’est sur ce bouclier que les jouteurs reçoivent le choc de la lance adverse. Pour manœuvrer la lance avec plus de force, ils en tiennent l’extrémité sous l’aisselle. Joutes cettoises. Champions aux prises Au moment où les deux bateaux se croisent, et où les adversaires sont à portée de lance, ils cherchent à se faire mutuellement tomber à l’eau, chacun s’efforçant ne n’y point choir soi-même. La chute est absolument inoffensive, car presque tous les jouteurs sont d’excellents nageurs. Chaque bateau est armé de cinq paires d’avirons solidement manœuvrés par de robustes gaillards qui mettent leur point d’honneur à le faire aller le plus vite possible pour donner plus de puissance au choc du jouteur monté sur leur tintaine. C’est qu’en effet tous les jouteurs sont divisés en deux équipes, l’une bleue, l’autre rouge, couleurs que portent les lances, les avirons, les bateaux ; ils ont été répartis dans les deux camps, de façon que, de part et d’autre, se trouvent en présence autant que possible, des hommes de même force et de même adresse, condition qui rend les joutes bien plus intéressantes. Le tout ne se passe pas sans accompagnement de la musique indispensable, aussi chaque barque porte-t-elle un tambourinaire et un hautboïste, ou un joueur de galoubet. Ce qui anime aussi beaucoup l’embarcation et la tintaine qui sont toujours pittoresquement décorées, c’est que, sur l’échelle conduisant à la plate-forme de cette dernière sont assis les futurs jouteurs. Ces joutes sont toujours très amusantes et souvent le public rit de bon cœur, en voyant les contorsions comiques de certains, dont la lance adverse a rompu l’équilibre et qui voudraient éviter cependant le fâcheux plongeon. Elles demandent aux dires de certains beaucoup plus d’adresse, d’agilité, de souplesse, qualités dont les méridionaux sont éminemment douées, que les joutes lyonnaises et parisiennes, qui, outre un peu d’adresse, requièrent surtout de la force et du sang-froid. D’ailleurs, il y a une différence absolue avec la joute cettoise. Déjà l’embarcation n’est plus la même : au lieu de la chaloupe à quille, on emploie des barques à fond plat. Il n’y a plus de tintaine surélevée, mais un tabagnon (c’est le terme employé par les vieux mariniers du Rhône), qui ne dépasse que de sa longueur l’arrière de la barque et le domine seulement de quelques centimètres. Par exemple, le tabagnon est assez long et presque horizontal, car, au lieu de se tenir à peu près debout, comme les jouteurs cettois, les jouteurs lyonnais se fendent à la manière des escrimeurs. Le poids du corps porte sur la jambe gauche repliée tandis que la jambe droite allongée en arrière s’arc-boute contre le rebord du tabagnon, qui lui fournit ainsi un solide point d’appui. Logo de la Société des Jouteurs Sétois Pavois d’Or, créée en 1902 (Crédit photo : Pavois d’Or) Les lances sont de fortes perches de 6 à 7 mètres de longueur, dont une extrémité porte une boule destinée à faciliter leur mise en main et l’autre une sorte de bouterolle métallique dentelée. Ce bout est destiné à éviter que la lance ne glisse sur le plastron de l’adversaire. Les deux jouteurs montés sur les tabagnons portent, en effet, pendu au cou par une lanière de cuir, un plastron de bois épais dont le dos est rembourré et la face avant divisée en neuf cases par de petites traverses. Le plastron est carré et a 40 centimètres environ de côté. Chacun des jouteurs doit viser avec sa lance la case centrale du plastron de son partenaire : s’il touche une des cases adjacentes, il est disqualifié ou le coup est nul. Le jouteur se place donc sur le tabagnon les jambes largement fendues, le plastron reposant à la fois sur l’épaule gauche, le bras et la poitrine ; il tient le pommeau de la lance dans la main droite, à bout de bras, et de la main gauche la maintient horizontalement et la dirige dans la cible visée. Le plus souvent, pour maintenir plus solidement la lance, le jouteur appuie sa main droite contre sa jambe droite. On comprend aisément qu’il faut des hommes relativement forts pour se livrer à cet exercice, car ces lances si longues sont lourdes à manier ; il les faut également adroits, car, mal manœuvrées et atteignant le partenaire en dehors du plastron, elles pourraient lui faire des blessures terribles : il faut bien savoir que ce cas ne se présente pour ainsi dire jamais. Dans le Lyonnais, les joutes ont lieu à l’occasion des grandes fêtes patronales et autres qui prennent le nom de « vogues ». On dit, « faire la vogue », « aller à la vogue ». Ainsi de celle qui se déroule à Givors, petite ville située sur le Rhône, un peu en dessous de Lyon : c’est l’une des plus grandes vogues de l’année. Dès le matin, accompagnés par une nombreuse et bruyante musique, escortés et suivis d’une innombrable foule de badauds et de gamins enthousiasmés, défilaient en cortège, à travers les rues de la ville, les jeunes gens, les « vogueurs », organisateurs de la fête et qui, l’après-midi, allaient jouter. Ils étaient encadrés par les rameurs et pilotes des deux embarcations, portant sur l’épaule leurs rames, à manche court et à palette ramassée et plate comme une sorte de pelle. Jeunes gens et rameurs, tous portent chemises, gilets et pantalons blancs. Une file de rameurs, ceux de l’embarcation bleue, ont des ceintures et les rubans de leurs chapeaux de paille bleus ; l’autre file, appartenant au bateau rouge, des ceintures et rubans de chapeau de cette couleur. Comme il est impossible, à cause du courant extrêmement rapide, de jouter sur le Rhône, les joutes avaient lieu l’après-midi dans la Gare d’eau, qui est un port en eau morte de 60 à 80 mètres de large et fort long. Inutile de dire l’affluence des spectateurs qui se pressaient sur les deux rives et dans une quantité d’embarcations. Là, comme partout où il se pratique, ce spectacle est infiniment goûté. Dans la barque bleue et la barque rouge, deux ou trois jouteurs sont assis ou couchés à l’avant, attendant leur tour de monter sur le tabagnon, où se tient déjà l’un d’eux. Généralement, les premières joutes sont exécutées par les débutants. Les forts ténors sont réservés pour la fin. Joute à la Gare d’eau de Givors Les deux barques prennent un champ assez large pour que leur élan soit le plus fort possible ; les rameurs pagayent à tour de bras, bien en cadence, pendant que la musique joue ses airs les plus entraînants : mais soudain, elle s’arrête, les rameurs lèvent leurs avirons, juste au moment où les adversaires sont près de s’atteindre avec leurs lances ; il ne faut pas, en effet, que la barque ait le moindre balancement, car le contre-coup ferait dangereusement dévier les pointes des lances. Généralement, l’un des adversaires tombe à l’eau, quelquefois tous les deux exécutent le plongeon ; mais il arrive aussi que ni l’un ni l’autre ne tombent, les lances résistent, se courbent, et les barques sont mutuellement écartées ; d’autres fois, les lances cassent : c’est alors un délire d’applaudissements qui saisit la foule. Chaque couple de jouteurs exécute deux passes et, s’il y a lieu, une belle. Ensuite les vainqueurs des éliminatoires luttent entre eux et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un champion invaincu à qui est remise une écharpe d’honneur. Au début du XXe siècle, un grand music-hall parisien organisa un simulacre de joutes sur la scène. Deux bateaux roulaient sur deux rangées de rails parallèles. Huit rameurs, sur chacun d’eux, faisaient le geste de pagayer. Les jouteurs, montés sur les tabagnons, portaient une ceinture où était accroché un fil de fer qui passait ensuite sur une poulie. Cette poulie roulait sur un crible situé dans les frises et parallèle aux rails des barques ; l’extrémité du fil de fer était tenue par des machinistes invisibles de la salle. Quand un jouteur était projeté hors du tabagnon, pour éviter qu’il se fît mal en tombant sur la scène, il était retenu à l’aide du fil de fer. Pendant que les spectateurs applaudissaient le vainqueur, ils riaient des gesticulations éperdues auxquelles se livrait son malheureux adversaire, que les machinistes taquins laissaient parfois planer un peu en l’air bien malgré lui. Si le music-hall s’était ainsi emparé des joutes, c’est dire que le succès de celles-ci était grand auprès du public, qui aime beaucoup ces spectacles, aux péripéties multiples, et où triomphent la force et l’adresse, qualités qui ont toujours valu l’admiration des foules à ceux qui en sont heureusement doués. 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