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Charlemagne contre les Avars, « Huns » du VIIIe siècle

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Histoire des Français
L’Histoire des Français : systèmes politiques, contexte social, population, économie, gouvernements à travers les âges, évolution des institutions.
Charlemagne contre les Avars,
« Huns » du VIIIe siècle
(D’après « La France guerrière : récits historiques d’après les chroniques
et les mémoires de chaque siècle » (par Charles d’Héricault
et Louis Moland), paru en 1868)
Publié / Mis à jour le dimanche 10 octobre 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 12 mn
 
 
 
Quand Charlemagne succéda — avec son frère Carloman — à son père Pépin le Bref en 768, il se trouvait déjà le plus puissant souverain d’Occident, et étendit considérablement son empire, son règne étant notamment marqué par des expéditions entreprises non dans un but d’établissement ou de pillage, mais inspirées par une intention de gouvernement et commandées par la nécessité, comme les campagnes contre les Avars qu’il mena avec son fils Pépin d’Italie

Dès le commencement du VIIIe siècle, rapporte l’historien François Guizot, les nouveaux maîtres de l’Europe occidentale, les Germains-Romains, étaient pressés au nord-est, le long du Rhin et du Danube, par de nombreuses peuplades germaniques, slaves, etc., qui se portaient sur le même territoire ; au midi, par les Arabes répandus sur toutes les côtes de la Méditerranée, et un double mouvement d’invasion menaçait ainsi d’une chute prochaine les États naissant à peine sur les ruines de l’empire romain.

Charlemagne rallia contre cette double invasion, contre les nouveaux assaillants qui se pressaient sur les diverses frontières de l’empire, tous les habitants de son territoire, anciens ou nouveaux, Romains ou Germains récemment établis.

Charlemagne à la bataille. Enluminure extraite des Grandes chroniques de France enluminées par Jean Fouquet et datant d'environ 1460 (manuscrit français n°6465 de la BnF)
Charlemagne à la bataille. Enluminure extraite des Grandes chroniques de France
enluminées par Jean Fouquet et datant d’environ 1460 (manuscrit français n°6465 de la BnF)

Suivez la marche de ses guerres : il commence d’abord par soumettre définitivement, d’une part, les populations romaines qui essayaient encore de s’affranchir du joug des barbares, comme les Aquitains dans le midi de la Gaule ; d’autre part les populations germaniques arrivées les dernières et dont l’établissement n’était pas encore bien consommé, comme les Lombards en Italie. Il les arrache, pour ainsi dire, aux impulsions diverses qui les animaient encore, les réunit tous sous la domination des Francs, et les tourne contre la double invasion qui, au nord-est et au midi, les menaçait également.

Cherchez un fait dominant qui soit commun à toutes les guerres de Charlemagne ; réduisez-les toutes à leur plus simple expression, vous verrez que c’est là leur sens véritable ; qu’elles sont la lutte des habitants de l’ancien Empire, conquérants ou conquis, Romains ou Germains, contre les nouveaux envahisseurs.

Ce sont donc des guerres essentiellement défensives, amenées par un triple intérêt de territoire, de race et de religion. C’est l’intérêt du territoire qui éclate surtout dans les expéditions contre les peuples de la rive droite du Rhin ; car les Saxons et les Danois étaient des Germains, comme les Francs et les Lombards ; il y avait même parmi eux des tribus franques, et quelques savants pensent que beaucoup de prétendus Saxons pourraient bien n’avoir été que des Francs encore établis en Germanie.

C’était uniquement pour défendre le territoire que la guerre avait lieu. Contre les peuples errants au delà de l’Elbe et sur le Danube, contre les Slaves et les Avars, l’intérêt de territoire et l’intérêt de race sont réunis ; contre les Arabes qui inondent le midi de la Gaule, il y a intérêt de territoire, de race et de religion tout ensemble. Ainsi se combinent diversement les diverses causes de guerre ; mais, quelles que soient les combinaisons, ce sont toujours les Germains chrétiens et romains qui défendent leur nationalité, leur territoire et leur religion, contre les peuples d’autres origines ou d’autres croyances qui cherchent un sol à conquérir.

Leurs guerres ont toutes ce caractère, dérivent toutes de cette nécessité. Charlemagne n’avait point réduit cette nécessité en idée générale, en théorie ; mais il la comprenait et y faisait face, les grands hommes ne procédant guère autrement. Il y fit face par la conquête ; la guerre défensive prit la forme offensive ; il transplanta la lutte sur le territoire des peuples qui voulaient envahir le sien ; il travailla à extirper les peuples étrangers ainsi que les croyances ennemies. De là son mode de gouvernement et la fondation de son empire. La guerre offensive et la conquête voulaient cette vaste unité.

Ainsi, guerres contre les Lombards d’Italie, guerres contre les Arabes d’Espagne, contre les Saxons ou Germains, tels sont les travaux par lesquels l’empereur franc s’efforce d’assurer les trois côtés d’un empire qui ne sera attaqué par la mer que plus tard et après la mort de Charlemagne. La lutte contre les Saxons fut, de beaucoup, la plus longue et la plus considérable, commençant en 772 et se terminant par la soumission de Witikind en 785 ; encore la Saxonie ne fut-elle domptée complètement et assimilée aux autres peuples de l’empire que dans les dernières années du règne de Charlemagne, vers 805.

Au delà des Saxons et des Germains, Charlemagne rencontra un peuple barbare formé du mélange des anciens Huns d’Attila avec la tribu des Avars qui était venue les renforcer vers le milieu du VIe siècle. Ce peuple, maître de l’ancienne Dacie de Trajan et de la province romaine de Pannonie (Hongrie actuelle) avait pour frontières, au midi le Danube et la Sève ; au nord les Carpathes ; à l’ouest, il s’était étendu jusqu’à la rivière d’Ens, et il avait fait de toute cette contrée, cultivée et riche autrefois, une sorte de désert.

Le duc de Bavière Tassillon s’allia avec ces peuples pour soulever la Germanie. Charlemagne, qui fit échouer leur complot et enferma Tassillon dans un monastère, voulut tirer des Huns une vengeance éclatante, et prépara une expédition contre eux, que raconte l’historien Amédée Thierry dans le second tome de son Histoire d’Attila et de ses successeurs, paru en 1856.

« L’annonce d’une expédition contre les Avars produisit dans toute la Gaule une émotion de curiosité qui n’était pas exempte d’inquiétude. De tant de guerres que Charlemagne avait accomplies dans toutes les parties de l’Europe, aucune peut-être n’avait excité au même point que celle-ci les puissances de l’imagination. Ici le pays et la nation étaient complètement inconnus, et ce qu’on en apprenait par les livres contemporains répandus en Occident, c’est que les Avars étaient un peuple de sorciers qui avait mis en déroute, par des artifices magiques, l’armée de Sigebert, époux de Brunehaut, et qui avait failli prendre d’assaut Constantinople ; une race de païens pervers dont la rage s’attaquait avant tout aux monastères et aux églises.

La cavalerie de Charlemagne. Enluminure extraite du Psautier doré (Psalterium aureum) de Saint-Gall, composé vers 890
La cavalerie de Charlemagne. Enluminure extraite du Psautier doré (Psalterium aureum)
de Saint-Gall
, composé vers 890

« Les érudits, qui connaissaient la filiation des Huns et des Avars, en disaient un peu davantage. Confondant le passé et le présent, et attribuant la même histoire aux deux branches collatérales des Huns, ils racontaient les dévastations d’Attila, fléau de Dieu, et sa campagne dans les Gaules. À ce nom, les récits devenaient inépuisables, car il était écrit en caractères de sang dans les chroniques des villes et dans les légendes des églises.

« Metz parlait de son oratoire de saint Étienne resté seul debout au milieu des flammes allumées par Attila ; Paris rappelait sainte Geneviève ; Orléans saint Agnan ; Troyes saint Loup. Reims montrait les cadavres décollés de Nicaise et d’Eutrope ; Cologne, les ossements accumulés des onze mille compagnes d’Ursule. Qui n’avait pas ses martyrs et ses ruines ? Le grand roi Charles, dit le moine saxon, poète et historien de Charlemagne, avait hâte de rendre aux Huns ce qu’ils méritaient. Les défaites infligées aux pères et les outrages faits aux enfants stimulaient l’esprit du roi Charles, qui gardait au fond de sa mémoire les monuments des vieilles colères.

« Les préparatifs de la guerre durèrent près de deux ans, et quand Charlemagne eut réuni en Bavière suffisamment d’hommes, de chevaux, d’approvisionnements de tout genre, il se rendit à Ratisbonne, où il établissait son quartier général ; la reine Fastrade l’y suivit. Charles avait voulu que son fils Louis, roi d’Aquitaine, assistât aux opérations de cette guerre et y fît ses premières armes. Sous le léger costume aquitain, que son père aimait à lui voir porter comme un hommage rendu à ses sujets d’outre-Loire, on le voyait cavalcader au milieu des Francs bardés de fer. L’empereur lui ceignit lui-même son baudrier garni de l’épée à la vue des troupes rangées en cercle, et cette remise solennelle des armes fut ce qu’on appela plus tard faire chevalier. Les généraux ayant reçu leurs ordres et chaque corps d’armée sa destination particulière, le roi partit pour les bords de l’Ens où stationnait la division qu’il devait commander en personne.

« Le plan de campagne de Charlemagne, si mûrement préparé, au dire des historiens, semble avoir devancé, par la hardiesse et la science des combinaisons, le génie stratégique moderne. Maître de l’Italie en même temps que de la Bavière, il prit deux bases d’opérations, l’une sur le haut Danube et l’autre sur le Pô. Tandis que l’armée de France attaquerait la Hunnie [Hongrie] de front par la grande vallée qui la traverse, l’armée d’Italie, sous la conduite du roi Pépin, devait franchir les Alpes et la prendre en flanc par les vallées de la Drave et de la Save.

« L’armée franque était partagée elle-même en deux corps destinés à agir simultanément sur les deux rives du Danube. Charlemagne, prenant le commandement du premier corps, composé des Francs proprement dits, des Allemands et des Souabes, devait opérer sur la rive droite, la plus importante militairement, et envahir la Pannonie, le second corps, composé des contingents saxons et frisons, devait suivre les chemins tourmentés et resserrés de la rive gauche, et attaquer le cœur de la Hunnie ; il était commandé par deux généraux francs d’un grand renom, le comte Theuderie et le chambellan Megenfrid. Une flottille nombreuse, portant les approvisionnements de la campagne et en outre les contingents bavarois, devait descendre le fleuve en suivant les mouvements des deux divisions de terre, et fortifier l’une ou l’autre au besoin. Pépin avait reçu l’ordre d’arriver sur les Alpes à la fin d’août et de pénétrer immédiatement dans la Pannonie inférieure ; les opérations sur le Danube étaient fixées à la première semaine de septembre.

« De leur côté, les Avars ne s’endormaient point ; ils avaient profité du répit que leur laissait Charlemagne pour réparer ou compléter leur système de défense, système étrange qui ne ressemble à aucun autre, et qui paraît avoir été imaginé plutôt pour arrêter des courses de brigands, telles que celles des Bulgares et des Slaves, que pour soutenir l’effort des grandes armées organisées, comme celles des Francs. Nous en avons une description curieuse, quoique un peu obscure, dans le récit du moine de Saint-Gall, qui le tenait, nous dit-il, de son maître Adalbert, vieux guerrier qui avait accompagné le comte Gérold et ses Souabes dans la campagne de Hunnie.

« Qu’on se figure neuf grands remparts ou enceintes de forme à peu près circulaire, et rentrant les uns dans les autres de manière à partager le pays en zones concentriques, depuis sa circonférence jusqu’à son milieu : c’étaient les fortifications des Avars. Ces enceintes, appropriées aux difficultés du terrain, se composaient d’une large haie, établie d’après le procédé suivant : on enfonçait, à la distance de vingt pieds l’une de l’autre, deux rangées parallèles de pieux dont la hauteur était aussi de vingt pieds, et l’on remplissait l’intervalle pr une pierre très dure ou une sorte de craie qui, en se liant, ne formait qu’une masse ; le tout était revêtu de terre, semé de gazon et planté d’arbustes serrés, qui, par leur entrelacement, présentaient une haie impénétrable.

« La zone, laissée entre deux remparts, contenait les villes et les villages, disposés de façon que la voix humaine pût se faire entendre de l’un à l’autre pour la transmission des signaux. Les enceintes, qui longeaient d’ordinaire le lit des fleuves et les pentes des montagnes, étaient percées de loin en loin par des portes servant de passage aux habitants. Une enceinte prise, ils pouvaient se réfugier dans la suivante avec leurs meubles et leurs troupeaux, sauf à se retirer dans la troisième, si la seconde était forcée. D’une enceinte à l’autre, on pouvait correspondre au moyen de la trompette, dont les airs variaient selon des règles convenues. Le nom avar de ces vastes clôtures concentriques nous est inconnu ; les Germains les appelaient hrings ou rings, c’est-à-dire cercles. Adalbert affirmait à son élève que, d’un rang à l’autre, la distance était à peu près celle du château de Zurich à la ville de Constance, ce qui faisait de trente à quarante milles germaniques.

Charlemagne (à gauche) et Pépin d'Italie (à droite). Enluminure insérée dans un manuscrit de 991 et réalisée d'après le Leges Barbarorum des Annales de Fulda, datant d'environ 830, aujourd'hui perdu et composé pour l'érudit et militaire Évrard de Frioul (mort en 866)
Charlemagne (à gauche) et Pépin d’Italie (à droite). Enluminure insérée dans un manuscrit
de 991 et réalisée d’après le Leges Barbarorum des Annales de Fulda, datant d’environ 830,
aujourd’hui perdu et composé pour l’érudit et militaire Évrard de Frioul (mort en 866)

« Le diamètre de ces cercles allait en se rétrécissant à mesure qu’on approchait du centre, et là se trouvait le ring royal, que les Lombards et les Francs appelaient aussi campus, camp, et qui renfermait le trésor avec la demeure des souverains de la Hunnie. Il était situé non loin de la Theiss, et au lieu où l’on suppose que s’élevait le palais d’Attila. Aussi, et sans trop s’arrêter aux obscurités que contiennent la description du moine de Saint-Gall et surtout ses mesures, on s’aperçoit que Charlemagne n’avait pas de minces difficultés à vaincre pour arriver au cœur du pays des Huns. Ces haies, couvertes par des rivières et flanquées de montagnes, sans offrir l’obstacle de bonnes murailles crénelées, arrêtaient une armée envahissante à chaque pas et pouvaient la décourager ; et le Danube, qui les coupait presque toutes par le milieu, permettait à leurs défenseurs d’accourir ou de faire retraite d’une rive à l’autre.

« Cette guerre avec le peuple d’Attila prenait aux yeux de Charlemagne un caractère essentiellement religieux, où dominait le souvenir du passé et comme une idée de revanche contre le Fléau de Dieu. Il voulut y préparer son armée par des mortifications et des prières propres à appeler sur elle la protection spéciale du ciel. Des litanies, accompagnées d’un jeûne général, furent célébrées dans le camp des Francs, qui présenta, pendant trois jours, le spectacle anticipé d’un camp de croisés sous les murs de Jérusalem ou d’Antioche. Charles lui-même nous donne la description de la pieuse solennité, dans une lettre qu’il adresse des bords de l’Ens à Fastrade et dont voici quelques passages :

« Charles, par la grâce de Dieu, roi des Francs et des Lombards et patrice romain, à notre très-chère et très-aimable épouse Fastrade, reine.

« Nous t’envoyons, par cette missive, un salut affectueux dans le Seigneur, et par ta bouche nous adressons le même salut à nos très douces filles et à nos fidèles résidant près de toi. Nous avons voulu t’informer que, le Dieu miséricordieux aidant, nous sommes sain et sauf, et que nous avons reçu, par un envoyé de notre cher fils Pépin, des nouvelles qui nous ont réjoui, de sa santé, de celle du seigneur l’Apostolique, et de nos frontières, situées de ce côté, qui sont paisibles et sûres. Quant à nous, nous avons célébré les litanies pendant trois jours, à partir des nones de septembre qui étaient le lundi, continuant le mardi et le mercredi, afin de prier la miséricorde de Dieu qu’elle nous concède paix, santé, victoire et heureux voyage, assistance, conseil et protection dans nos angoisses. Nos évêques ont ordonné une abstinence générale de chair et de vin, excepté pour ceux qui ne la pourraient supporter pour causes d’infirmités, âge avancé ou trop grande jeunesse ; toutefois, il a été établi qu’on pourrait se racheter de l’abstinence de vin pendant ces trois jours, les riches en payant un sou par jour, les autres au moyen d’une aumône proportionnée à leurs facultés ; chaque évêque a dû dire sa messe particulière, à moins d’empêchement de santé ; les clercs sachant la psalmodie avaient à chanter cinquante psaumes chacun, et pendant la procession des litanies, ils devaient marcher sans chaussure. Telle fut la règle dressée par nos évêques, ratifiée par nous et exécutée avec l’assistance de Dieu. Délibérez avec nos fidèles comment vous célébrerez aussi ces mêmes litanies. Tu feras, quant au jeûne, ce que ta faiblesse te permettra. Nous nous étonnons d’ailleurs de n’avoir reçu de toi, depuis notre départ de Ratisbonne, ni message ni lettre ; fasse donc que nous soyons mieux informé à l’avenir de ta santé et de tout ce qu’il te plaira de nous apprendre. Salut encore une fois dans le Seigneur. »

Amédée Thierry poursuit son récit : « Charlemagne passa l’Ens et traversa, sans trouver d’ennemis, la contrée avoisinante ; ce n’est qu’à l’approche du mont Comagène qu’il aperçut du mouvement, des bandes armées et tous les signes d’une défense énergique. Un bras des Alpes de Styrie, projeté vers le Danube, ne laisse, entre ses escarpements et le fleuve, qu’un étroit défilé, fameux dans l’histoire des guerres danubiennes, le défilé du mont Kalenberg, alors mont Cettius. Il couvre à l’est Vindobona, Vienne, ville obscure jadis, devenue importante dans les derniers temps de la domination romaine. En avant, et du côté de l’ouest, le défilé est couvert lui-même par une montagne qui en protège les approches ; c’est le mont Comagène, dont nous avons déjà parlé.

« Un château établi sur cette montagne et un rempart ou haie fortifiée interceptaient la route, reliant au Danube la chaîne du Cettius embarrassée d’épaisses forêts et ravinée par des torrents. Charlemagne dut faire halte pour assiéger régulièrement le rempart et la forteresse. À l’opposite du mont Comagène, de l’autre côté du Danube, descend, des hauts plateaux de la Moravie, la rivière de Kamp, sinueuse et profonde, qui se jette dans le fleuve par sa rive gauche : les Huns en avaient fait le fossé d’un second rempart, qui formait à travers le Danube la continuation du premier et complétait le barrage de la vallée.

La victoire de Charlemagne sur les Avars. Peinture d'Albrecht Altdorfer (1518)
La victoire de Charlemagne sur les Avars. Peinture d’Albrecht Altdorfer (1518)

« Le rempart de la Kamp arrêta le corps d’armée du comte Theuderic, comme celui de Comagène avait arrêté Charlemagne ; mais il fut plus promptement enlevé, soit force naturelle moindre, soit moindre résistance, les Avars ayant porté leurs principaux moyens d’action sur la rive droite. Plusieurs assauts tentés par Charlemagne contre le château et la haie de Comagène avaient échoué, et les assiégés, munis d’une énorme quantité de machines de jet, lui faisaient éprouver de grandes pertes, quand les troupes de Theuderic, maîtresses des lignes de la Kamp, parurent sur la rive gauche et que la flotte, arrivée à propos, se déploya en bon ordre sur le fleuve.

« Cette vue ranima le courage des Francs en même temps qu’elle remplit les Huns de terreur. Craignant d’avoir la retraite coupée, ces barbares s’enfuirent avec leurs troupeaux ou dans les bois épais que recelait la montagne, ou derrière la plus prochaine enceinte, laissant le château de Comagène, puis la ville de Vienne à la merci du vainqueur. Le château fut rasé, les machines de guerre détruites, la haie brûlée et nivelée, et Charlemagne dépêcha le jeune roi d’Aquitaine, son fils, pour annoncer à la reine Fastrade le double succès qui inaugurait si bien la campagne.

« Un second cercle, placé à quelque distance au-dessous de Vienne, ne fut emporté qu’après une grande bataille, et les Francs ne trouvèrent plus de résistance jusqu’au Raab. Cette rivière et les marais du lac Neusiedel servaient de fossé à un troisième rempart bien garni de tours et défendu, près du confluent de la rivière, par la forte place de Bregetium. Charlemagne, n’osant l’attaquer de front, franchit la rivière dans un lieu où elle était guéable, força la haie et tourna la place, qui se rendit à son approche. Pendant ce temps-là, le comte Theuderic enlevait, de l’autre côté du Danube, un rempart construit le long du Vaag et reliant le fleuve aux Carpathes.

« Les deux corps de l’armée de terre avaient glorieusement rempli leur tâche ; ce fut le tour de la flotte. Entre les embouchures du Vaag et du Raab, situées presque en en face l’une de l’autre, le Danube, gêné par les atterrissements que ces deux rivières roulent incessamment dans son lit, se divise en plusieurs bras et forme sept îles, dont la plus grande (celle de Csallokozi) et la plus septentrionale n’a pas moins de vingt lieues de long sur six de large.

« Ces îles, couvertes de joncs et de saules, entrecoupées de marécages et de fondrières, et sans routes certaines, avaient servi d’asile aux habitants accourus des deux rives, avec leurs propriétés et leur bétail. Les Huns s’étaient même retranchés assez solidement dans la plus grande, qui présentait des bords élevés et un accès difficile ; mais ils avaient compté sans la flotte, qui commença par les bloquer et les attaqua ensuite de vive force. Le siège dura trois jours. Après beaucoup de sang versé, les Huns se rendirent, et l’on trouva dans leur enclos un amas considérable de grains et des troupeaux sans nombre ; les habitants, hommes, femmes, enfants, furent réduits en servitude.

« De son côté, le jeune roi d’Italie n’était pas resté oisif. Son armée, composée en majeure partie de Lombards et de Frioulois, et qui comptait un évêque parmi ses généraux, s’était portée, suivant ses instructions, directement sur la Pannonie inférieure pour prendre la Hunnie en flanc et se rejoindre au corps d’armée de Charlemagne. Arrivée au sommet des Alpes, le 28 août, elle en était descendue probablement par la vallée de la Drave pour pénétrer, entre cette rivière et la Save, dans ce qu’on appelait la presqu’île Sirmienne.

« Là elle s’était trouvée en face d’un des rings intérieurs, qui contenait d’autant plus de richesses, que les Huns l’avaient cru plus à l’abri des attaques. Ils les défendirent vigoureusement, mais le ring fut enlevé, et le butin qu’on y trouva dédommagea amplement le soldat de ses fatigues.

« Ainsi la Pannonie avait été parcourue dans toutes ses directions par les armées de la France, et la Hunnie transdanubienne avait été occupée jusqu’au Vaag ; il ne restait plus que la grande plaine que traverse la Theiss et les cantons situés dans les Carpathes ou à l’est des montagnes jusqu’à la mer Noire. La saison avançait et la prudence conseillait à Charlemagne de ne point engager ses troupes au commencement de l’hiver dans ces pays de marécages et de rochers où elles auraient à souffrir de la disette et des inondations plus encore que des hommes. Une épizootie qui s’était mise sur les chevaux de l’armée et en avait déjà fait périr la plus grande partie, eût été, à elle seule, une raison suffisante de ne pas pousser plus loin. Charlemagne termina donc là la campagne.

Vases du trésor de Nagyszentmiklós découvert en Hongrie en 1799. Probablement enterré vers 796 après la prise du Ring Avar, il est aujourd'hui exposé au musée d'Art et d'Histoire de Vienne, en Autriche
Vases du trésor de Nagyszentmiklós découvert en Hongrie en 1799.
Probablement enterré vers 796 après la prise du Ring Avar, il est aujourd’hui
exposé au musée d’Art et d’Histoire de Vienne, en Autriche

« Le dernier coup fut frappé à quelques années de là, en 796 : la Hunnie fut de nouveau attaquée, comme la première fois, par l’Italie et par la Bavière. Héric marcha par la rive droite du Danube ; il assaillit, au printemps, un des rings intérieurs et y trouva un immense butin qui fut envoyé à Aix-la-Chapelle. Le jeune roi Pépin, s’avançant jusqu’aux plaines marécageuses de la Theiss, eut la gloire d’assiéger et de prendre le ring royal, habitation des Kha-Khans et lieu de dépôt du trésor de la nation. En vain Tudun, le khakhan ou roi des Huns, était venu près du jeune roi d’Italie pour le fléchir et obtenir rémission : Pépin ne s’arrêta point jusqu’à ce qu’il eût mis le pied dans ce sanctuaire de la nationalité Avare, et que l’étendard du protecteur de l’Église, qui venait de recevoir en hommage du pape les clefs de la confession de saint Pierre, flottât sur l’ancienne demeure du Fléau de Dieu. La paix fut conclue sur les ruines du ring, et Tudun, avec les chefs principaux de la Hunnie, accompagnèrent le vainqueur jusqu’aux bords du Rhin, et de là à Aix-la-Chapelle où il devait retrouver son père.

« L’entrée de Pépin dans Aix-la-Chapelle, ou plus exactement dans Aquisgranum, présenta comme une image des triomphes de cet ancien empire romain dont Charlemagne rêvait la résurrection avec tant d’ardeur. On vit défiler devant le triomphateur les étendards conquis, les dépouilles des chefs groupées en trophées, et dans une longue suite de chariots découverts le trésor des rois Avars : des monceaux d’or et d’argent monnayé, des lingots, des pierreries de toute sorte, des tissus d’or, de soie, de pourpre, des vases précieux enlevés aux palais et aux églises, et dont la richesse et la forme indiquaient s’ils provenaient des pillages de la Grèce, de l’Italie ou de la Gaule. Tudun et les nobles Avars, dans une attitude morne et humble à la fois, faisaient partie du cortège ; on pouvait se demander si c’était comme captifs ou comme alliés. Tudun, s’agenouillant devant Charlemagne, lui prêta serment de fidélité suivant le cérémonial des Francs. »

 
 
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